La vérité sur le social media, par Alexis Mons


Voilà une étude qui fait déjà réfléchir beaucoup de monde, et c’est une bonne nouvelle. Elle vient d’IBM, s’appelle what customers want et tient en 20 pages.

L’essentiel est dans le graph ci-dessus. Ce que dit le schéma est simple : les marques se tromperaient sur les attentes des consommateurs sur les réseaux sociaux. Elles y verraient en particulier tout sauf de la fidélisation business de base, alors que ce serait au contraire ce qu’ils attendraient d’elles. Nous serions donc dans le plus parfait malentendu.

Personnellement, c’est Brian Solis qui m’a mis le doigt dessus, dans un billet au titre signifiant : getting back to reality et au contenu à l’avenant. On peut tergiverser sur la profondeur du panel et les conditions de cette étude. Pour ma part, la messe est dite. Ce billet s’ajoute à quantités de signaux convergents qui brossent dans le sens du poil de vieilles convictions. D’où cette prose.

Aux sources du désenchantement, le malentendu ?

Il est aisé d’y voir une des raisons profondes à ce que Cédric Deniaud appelle du désenchantement, un sentiment que je rencontre pour ma part de plus en plus sur le terrain. Mais le problème ne serait pas simplement une questions d’idées courtes, e copier-coller et d’enième course aux fans par jeux-concours-attrape-concouristes. Le problème ne serait pas dans les limites d’approches par le buzz, l’enchaînement des coups tactiques sans stratégie de long terme. Le problème serait dans la compréhension même de ce que sont les réseaux sociaux, dans ce qu’y font les gens, dans ce qu’il est légitime d’imaginer qu’ils ont envie de faire avec une marque.

Cette étude n’est pas un message isolé. Dans le genre, il y en a eu un autre, en début de ce mois, dans une étude ETO, qui disait que 70% des internautes n’aiment pas l’utilisation de leurs données personnelles par les marques, même indirectement (dans un panel de 36000 personnes, tout de même).

Cette étude reliée à d’autres et on peut se dire qu’une proportion importante des gens n’aiment pas, aujourd’hui, voir les marques dans leur environnement social. Quand la pub est bien à sa place, à droite, dans la page Facebook, elle est à sa place, mais ceux qui jouent savent aussi quelles sont les taux généralement infinitésimaux de clics dessus. Quand la pub, quel que soit le nom qu’on lui donne, se colle au milieu du mur, et même si c’est vous-même qui avez « liké » celle-ci de votre propre chef, ce n’est quand même pas un de vos amis, les vrais. La preuve en est que la principale source de désamour (et de « unlike ») est l’agacement à une trop grande intrusion dans le mur. Et l’expérience montre que le seuil critique est vite atteint. Dans une lecture « nouveau média » des choses, sachant que les réseaux sociaux ne sont pas des médias, vu des utilisateurs, nous ne sommes qu’au début d’un apprentissage collectif et sociétal, pour faire à la fois acceptation et efficacité marketing. Par le passé, les médias de masse ont aussi à passer par ce moment-là. Il faut donc faire preuve de patience et en tenir compte.

Une marque n’est pas une personne

Une marque n’est pas une personne. Je sais bien que ce n’est pas ce que l’on dit. Et moi-même je dis souvent à mes interlocuteurs qu’ils doivent se penser comme une personne quand ils parlent aux gens sur le web social. La vérité, c’est que la personne dont on parle, c’est eux, en tant que collaborateur en uniforme de la marque, et que les gens qui leur parlent le font finalement à peu près comme quand ils parlent à quelqu’un de la marque en vrai. Mais cela ne veut pas dire que la marque est devenue une personne. Elle s’est simplement incarnée.
Je me suis encore récemment retrouvé face à une marque qui vivait avec un profil sur Facebook. Pas une page, mais un de ces bons vieux profils d’avant les pages. Le point d’entrée de la discussion était qu’ils avaient atteint le plafond de 5000 amis et ne pouvaient en avoir plus. LOL. Après leur avoir expliqué qu’ils étaient chanceux de ne pas avoir été viré purement et simplement et leur avoir fait le topo sur l’art des pages-fans, il était révélant de les voir déçus parce que les pages ne leur permettait pas un accès aussi profond et proche que ne leur permet un profil sur Facebook. Evidemment, quelques semaines plus tard, le fameux profil a été suspendu.

Il est parfaitement légitime de la part de Facebook, à ce que les profils soient des vrais gens et à ce que les marques et choses qui n’en sont pas soient des pages. Cela correspond à une distinction claire qui correspond à la pensée des gens. Profiter de la situation pour pénétrer plus profond que cela ne le devrait dans les données personnelles et la nature de relation n’est pas seulement contraire au droit sur les traitement de données personnelles, c’est une intrusion. Il ne faut alors pas s’étonner que les gens n’aiment pas la manipulation de leurs données par les marques. Certaines pratiques entretiennent ces idées et pourrissent le climat, nuisent à une sortie rapide, par le haut, de la phase d’apprentissage.
Il ne faut jamais oublier que le web social a d’abord été conçu et investit pour et par les gens. Ce n’est que dans un second temps qu’il est devenu (et devient) un espace marketing et marchand. Il est donc parfaitement légitime que les gens soient méfiants, sinon plus, devant leur introduction dans ce qu’ils peuvent considérer être comme leur espace. Un peu comme la réaction de certains à l’arrivée de certaines marques ou type de commerce dans leur rue. Avec le temps et sous réserve de montrer patte blanche, ça se passe.

L’arrivée d’une marque sur le web social ne va pas de soi. Elle entre dans un espace de proximité interpersonnel. La posture qu’elle y prend doit avoir un sens cohérent avec la nature sociale de ce qui se passe in situ, de ce qu’elle est et de l’histoire qu’elle a avec les gens. Un petit « like », le fait de suivre, n’est pas une bague au doigt, c’est juste une intention.

Les gens ne changent pas, ils font autrement

Si j’ai appris quelque chose et de longue date avec le digital, c’est qu’on se fait vite des idées sur les gens. On s’imagine qu’ils deviennent différents, sinon qu’ils mutent. Ce n’est pas le cas. Nous restons des hommes, nous adoptons simplement d’autres manières de faire. Et si nous pouvons paraître inviter de nouvelles choses, ce n’en sont pas fondamentalement en terme de caractéristique profonde de la manière dont nous vivons.

Développer des usages sur le web social, notamment sur Facebook, ne change pas la nature profonde de ce que je suis. Cela réarbitre la consommation de mon attention et le champ des opportunités et modalités relationnelles par lesquelles je développe une relation avec les autres plus riche et efficiente. Je peux maintenir de la relation de manière plus fréquente, à moindre coût, voire avec plus de valeur. C’est toute la leçon de la force des coopérations faibles.
Je pense donc qu’on se fait des noeuds au cerveau pour rien. Ce que nous raconte cette fameuse étude, c’est rien moins le fait que les gens ne changent pas, les marques non plus et l’intérêt bien compris des deux entre eux tout autant.

Placés tous les deux dans le web social, les gens y attendent ni plus ni moins que ce qu’ils veulent, ou on l’habitude de faire, avec cette marque. Et elles ont tout à gagner à y transposer ce qu’elles font déjà, en premier lieu du CRM et ses coupons et programmes de fidélités que leurs clients comprennent déjà. La seule chose qui change, ce sont les modalités et les opportunités que ce soit plus simple, plus efficace, plus profitable. Le crowdsourcing et l’intelligence collective découlent des échanges et peuvent être stimulés, développés. Ils constituent des opportunités à partir de, mais il faut bêtement commencer par le commencement et constater la présence d’utilisateurs actifs et engagés avant de viser la lune. Encore une fois, être patient et voir loin, penser business. Pour le reste, tout est mesurable sur le digital et la business intelligence existe. Et cela n’empêche nullement d’être créatif et innovant, porteur de progrès, bien au contraire !

Chez Emakina, nous avons de nombreux exemples à l’appui de ce postulat. L’immense succès de Yunomi, en bénélux, en est un. Cette plateforme, devenue un des tous premiers lieux socionumériques des femmes en bénélux, transforme une relation bien comprise avec Unilever, dans le cadre de laquelle le couponing et la fidélité ont été intelligemment revisité.

En fin de compte cette étude tombe à point nommé, à un stade de maturité bienvenu dans la mutation des marques à l’ère du social business. Cela renforce l’importance à concevoir l’approche des réseaux sociaux comme un sujet de fond, qui adresse le modèle, l’organisation et une démarche sur le fond. Le relationnel est quelque chose qui se construit patiemment. Il y a assez de contenu et discussion sur le sujet de la confiance à l’ère du web social pour que je ne développe pas plus ici. L’idée, au terme de ce billet, c’est qu’il faut moins imaginer du parfaitement neuf que déjà réinterpréter la relation existante, la compréhension mutuelle entre la marque et ses clients. Cela dit, si la relation est pourrie ou inexistante, tout peut être inventé, évidemment, sauf les clés de pensée relationnelle de la culture marketing des gens, celle qui crée l’attention et la connexion.

Le mieux est l’ennemi du bien.

alexismons

A propos de l’auteur :
Alexis Mons est cofondateur et Directeur Général Délégué de Emakina.fr, agence de marketing interactif et relationnel.
Billet initialement publié sur le blog d’Emakina.fr


Ce billet est le premier d’une longue série, du moins nous l’espérons ! Nous ouvrons en effet notre blog aux contributions des membres du Social Media Club France concernant l’actualité, les usages et les retours d’expériences de professionnels liés aux médias sociaux. Membres du SMCF, n’hésitez donc pas à nous faire parvenir vos articles.