Réseaux sociaux et « révolutions arabes », par Chem Assayag

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On a beaucoup parlé des réseaux sociaux lors des « révolutions arabes » ; on sentait même chez certains la tentation de parler de « révolution Facebook » ou de « révolution Twitter ». Pour des raisons que je vais développer tout ceci paraît un peu excessif.

Tout d’abord pour situer quelques chiffres le taux de pénétration de Facebook en Tunisie n’était que de l’ordre de 20% fin 2010, ce qui en fait pourtant le pays le plus connecté au réseau social en Afrique en proportion de la population. En Égypte nous étions à peine à 7% de pénétration… Bien entendu les jeunes, les diplômés, les leaders d’opinion sont surreprésentés parmi les utilisateurs de réseaux sociaux et ce sont aussi eux qui étaient en pointe lors des évènements en Tunisie ou en Égypte. Dès lors ils ont réussi à capitaliser sur ces outils pour mobiliser, animer et étendre les protestations mais l’immense majorité des populations de ces pays n’utilise pas les réseaux sociaux. On peut penser que la vraie révolution médiatique qui a permis la révolution tout court est plutôt liée à la pénétration massive au cours des quinze/vingt dernières années de la télévision par satellite dans les pays arabes. Toute personne qui s’est promenée dans les rues du Caire, de Tunis ou de Casablanca a pu voir les forêts de paraboles qui recouvrent les toits ; paraboles qui ont permis à tous de découvrir ce que se passait ailleurs, dans les pays démocratiques, là où des populations vivaient sous d’autres régimes, d’autres rapports à la liberté.

Au-delà des aspects chiffrés, il y’a aussi une dimension qualitative, fondamentale, dans l’appréciation du rôle des médias sociaux qui nous semble avoir été abordée de façon erronée. La plupart des discours autour des médias sociaux sont tenus par des gens qui en sont des adeptes et des promoteurs. Il y’a un discours globalement technophile et positif autour de ces réseaux, qui par ailleurs s’auto-alimente via leur utilisation et leur développement  Paradoxalement, en ces temps où le citoyen s’interroge de plus en plus sur les aspects ambivalents des technologies, les réseaux sociaux sont, parfois, parés de toutes les vertus. Par définition ils seraient en quelque sorte du « bon côté » car ludiques, conviviaux émancipateurs. Dans le cas des révolutions arabes cela signifie qu’ils sont évidemment  dans le camp des manifestants, des aspirants à la liberté, des  combattants et des défenseurs de la démocratie. Or comme souvent on confond ici l’outil et les usages que l’on peut en faire. Les réseaux sociaux sont des outils et à ce titre ils sont neutres, c’est d’une grande banalité mais il faut le rappeler. Ils ne sont ni bons ni mauvais. Un tweet peut aussi bien mobiliser des individus pour manifester contre le tyran que diffuser un ordre du tyran pour tirer sur les individus en question. Une photo sur Tumblr peut aussi bien dénoncer les exactions d’une police politique que permettre d’identifier un manifestant pour l’emprisonner. Les réseaux sociaux ne sont pas « du bon côté », ils ne sont « d’aucun côté ».

Derrière tous ces outils en effet il y a des hommes et ce qui compte c’est l’usage qu’ils vont en faire. Parfois dans un mouvement un peu naïf, que certains appelaient le progrès, nous tendons à l’oublier.

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A propos de l’auteur :
Chem Assayag est Directeur Général Adjoint de la société New Media PLus, éditrice du site de vidéos pratiques vodemotion.com. Il travaille depuis une vingtaine d’années dans le secteur des nouveaux médias et des nouvelles technologies. Il s’exprime ici à titre personnel.

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