Groupon et le citoyen schizophrène, par Chem Assayag

economiser-groupon

Au croisement du web 2.0 et de l’e-commerce nous assistons depuis quelques mois à l’essor sans précédent du shopping social via les sites d’achats groupés. Les pionniers, Groupon et Living Social – soutenu par Amazon -, se livrent une bataille féroce sur ce secteur à laquelle se joignent désormais Google avec Google Offers et Facebook avec son propre service d’achat groupés (Facebook Deals lancé pour l’instant dans 5 villes aux US).

Ce qui intéressant avec ce type de services c’est qu’ils sont l’expression ultime du rôle déflationniste joué par Internet : on l’oublie souvent mais le web aura été lors des dernières années un formidable outil de contrôle et de baisse des prix. En ce sens Internet est le meilleur ami de Jean Claude Trichet.

En effet Internet aura d’abord permis à tout un chacun d’accéder en tout lien et à toute heure à l’ensemble des offres disponibles pour un produit donné ; le consommateur n’est plus limité par sa zone géographique d’achat habituel et peut mettre en concurrence l’ensemble des vendeurs sur un territoire sans limites – symétriquement le vendeur en étendant les frontières de sa zone de chalandise peut espérer des volumes de ventes supérieurs et donc comprimer les prix. Naturellement le consommateur se porte vers les offres les plus compétitives.

Le développement des comparateurs (Kelkoo, touslesprix,…) a amplifié cette tendance permettant à tout instant au consommateur de choisir la meilleure offre… obligeant alors les sites marchands à adapter leurs catalogues en temps réel notamment sur la composante prix.

En parallèle Internet permettait l’essor fulgurant du marché de l’occasion et de la revente à travers des sites comme Ebay ou Price Minister ; par définition la valeur des biens échangés sur ces sites est inférieure à celle de biens neufs et donc là aussi Internet tire les prix vers le bas.

Sachant que les ventes par Internet ont représenté Europe près de 172 milliards de dollars en 2010, soit environ 6% du commerce de détail – et déjà plus de 10% au UK -, la pression à la baisse exercée par Internet sur les prix commence à avoir une vraie incidence macro-économique sur leur évolution. En outre avec un taux de croissance du e-commerce bien supérieur à celui du commerce en général le phénomène va s’amplifier.

L’achat groupé ou le social shopping en proposant systématiquement des réductions de 40%, 50% voire plus sur l’achat de produits ou de services est l’avatar ultime de ce type de logique. Ici il s’agit bien d’utiliser Internet uniquement pour acheter des produits ou des services à des prix bradés. En revanche ce qui est nouveau c’est que les sites d’achat groupé ont une dimension locale forte : les offres sont valables à l’échelle d’une ville (il est d’ailleurs étonnant qu’un groupe comme Pages Jaunes n’ait pas développé une offre sur ce segment de marché). Il ne s’agit plus de mettre en concurrence des marchands disséminés sur toute la planète, mais d’amener le meilleur prix en bas de chez vous. Dès lors la dimension déflationniste un peu invisible de l’internet prend un visage très concret : celui du coiffeur du coin de la rue ou de la pizzeria d’en face qui écrase ses prix.

Or ce commerçant du bas l’immeuble cela peut être soi même, le parent ou l’ami de tout un chacun ; ce même parent ou ami qui ne manquera pas de pester contre ces « deals » qui tuent ses marges mais qu’il ne peut pas refuser faute de voir son chiffre d’affaires s’étioler. Ce même parent ou ami qui est ravi para ailleurs de bénéficier des bonnes affaires en tant que consommateur. A ce titre Internet contribue à développer notre attitude de citoyen schizophrène : ravi de faire des économies en tant que consommateur, et en même temps inquiet de voir les comptes de résultat se détériorer, puisque les marges sont sans cesse comprimées, et donc en pâtir directement ou indirectement comme salarié. Internet agit alors comme l’ouvrier chinois qui est notre ami d’un jour et notre ennemi du lendemain.

En ce sens Internet participe bien de cette mondialisation étrange où nous sommes à la fois gagnants et perdants en fonction des casquettes que nous endossons.
Chem Assayag

chemassayag

A propos de l’auteur :
Chem Assayag est Directeur Général Adjoint de la société New Media PLus, éditrice du site de vidéos pratiques vodemotion.com. Il travaille depuis une vingtaine d’années dans le secteur des nouveaux médias et des nouvelles technologies. Il s’exprime ici à titre personnel.



Nous ouvrons notre blog aux contributions des membres du Social Media Club France concernant l’actualité, les usages et les retours d’expériences de professionnels liés aux médias sociaux. Membres du SMCF, n’hésitez donc pas à nous faire parvenir vos articles.