Chaire Social Media Monetization – Peut-on faire payer l'utilisateur de social media ?

Les modèles économiques des médias en ligne, et plus encore des social media, sont de manière générale construits autour de la gratuité d’accès au service. Cela s’explique à la fois par la forte concurrence qui règne dans ces secteurs, et par les effets de réseau qui caractérisent ces services (le service n’étant intéressant que lorsqu’il a attiré un nombre important d’utilisateurs, le faire payer d’emblée est généralement une stratégie perdante). Les acteurs doivent-ils pour autant renoncer à faire payer l’utilisateur, dans un contexte où la publicité est faiblement rémunératrice ? Retour sur la table ronde de la chaire Social Media Monetization du 3 novembre.

 

Nicholas Vieuxloup, Directeur des Opérations Marchés émergents et partenariats chez Viadeo

Si la gratuité prônée par Chris Anderson ne correspond pas au credo de Viadeo, le freemium, en revanche, permet de trouver l’équilibre via une publicité moins intrusive : Viadeo le conçoit comme un « hameçon », surtout aux débuts du site où la gratuité a permis d’asseoir une communauté suffisante pour pouvoir ensuite proposer un service de qualité… et donc le vendre.
La notion de masse critique, tant vantée il y a six ou sept ans, est aujourd’hui à nuancer. Car dès qu’une société investit en communication virale pour recruter, sa base gonfle. Mais la masse critique est rarement qualitative : il vaut mieux se reposer sur une communauté active et productive pour valoriser le service.
Chez Viadeo, le modèle freemium correspond à 50% des revenus. La publicité en apporte 20% et la vente d’outils aux cabinets de recrutement permet de compléter. Si le modèle freemium n’est pas la base du business model de Viadeo, il leur permet toutefois de « passer au travers des vagues ».

Le freemium repose sur un travail pédagogique de longue haleine : le site s’efforce quotidiennement de démontrer les bénéfices de l’abonnement payant. Il faut aussi identifier les bonnes solutions de paiement : le paiement par mobile et micro-paiment ont par exemple de l’avenir dans les pays émergents où la carte bleue est moins répandue qu’en Europe.
Les utilisateurs français de Viadeo sont entre 10 et 15% à opter pour l’offre premium aujourd’hui, contre 6% aux débuts du site. Les équipes marketing ont dû faire évoluer les offres au coup par coup, en observant continuellement les comportements des utilisateurs : les offres portent surtout sur des formules « 3 mois » et « 1 an », les accès plus limités dans le temps étant souvent considérées comme trop cher.

L’incitation à l’abonnement s’est faite pendant un temps via une pop-up informant que certains services était réservés aux abonnés… aussi lucrative qu’elle ait été, la technique a été abandonnée car jugée trop agressive : « si les pop-up invitant à l’achat sont possibles sur les sites de e-commerce, elles sont inadaptées aux social media qui se veulent porteur d’un service fort auprès d’une communauté ». L’abandon des pop-up a été compensé par une refonte des offres et un gros effort pédagogique : les bénéfices de l’abonnement ont été mieux mis en avant et mieux expliqués.
Les utilisateurs qui payent sont les plus actifs et donc ceux qui profitent le plus des services : les cabinets de recrutement, les chercheurs d’emploi, les commerciaux, les professionnels du web…

Concernant le taux de transformation utilisateur/abonné, Viadeo a instauré un cercle vertueux : en travaillant le référencement naturel, le social media est parvenu à un recrutement de meilleure qualité qu’à l’époque où il comptait beaucoup sur les adwords. Les internautes savent maintenant pourquoi ils arrivent sur le site de Viadeo et comprennent de suite les avantages de l’abonnement. C’est pourquoi  « les premières secondes passées sur la homepage sont les plus importantes » : c’est le moment-clé où le site doit susciter l’inscription voire l’abonnement sans publicité agressive, en mettant en avant ses services et leurs bénéfices.

Le business model de Viadeo n’est pas uniforme : il s’adapte aux territoires. En chine, le réseau professionnel compte huit millions de membres et s’enrichit de près 400 mille nouveaux inscrits par mois. S’il est compliqué de faire payer des abonnements à cette population, le site peut en revanche compter sur la publicité, les services vendus aux cabinets de recrutement… et le micro-paiement, bien plus développé en Asie qu’en Europe.

 

Antoine Papot, Social Marketing Manager chez OUAT Entertainment

Sur les 780 millions d’utilisateurs de Facebook dans monde, 53% jouent sur la plateforme sociale et 20% ont déjà payé pour des biens virtuels. La France compte 23 millions de casual gamers, soient 78% des joueurs en ligne et 59% de la population connectée… Autant de données qui font de la plateforme sociale un terrain de jeu sans pareil pour les éditeurs d’applications. Antoine Papot liste les avantages du social gaming :

  • Un carrefour d’audiences, avec 350 millions de joueurs.

  • Un public majoritairement féminin avec un panier moyen plus important celui des hommes.

  • Le marché des social games est le plus dynamique du jeu vidéo avec 700 millions de dollars par an aux Etats-Unis.

  • La génération de trafic et d’engagement puisque les jeux sociaux incitent au recrutement d’amis.

  • La dimension « chronophage » des jeux sur Facebook qui prennent entre 10 et 15 minutes, avec des sessions renouvelées en moyenne 2 à 3 fois par jour… autant de temps et d’espace disponibles pour la publicité.

Facebook est au centre du business model du social gaming : les campagnes de recrutement de jeu se font via les Facebook ads, ce qui fait des éditeurs de jeux les premiers annonceurs sur Facebook. Quant aux commissions sur les Facebook Credits, qui s’élèvent à 30% depuis juillet 2011, elles représentent 11% des revenus du réseau social (en forte croissance). De fait, les indicateurs-clés de performances des éditeurs de jeux sont basés sur une économie virtuelle : la vente de biens virtuels représentent 60% des revenus de OUAT Entertainment.
Cet éditeur d’applis de jeux repose sur le modèle freemium : l’accès à l’application est gratuit, mais une fois la première partie finie, le joueur ne peut continuer qu’en achetant du « temps » s’il ne veut pas attendre que la partie se recharge. Il peut aussi acheter un « bien virtuel », un accessoire ou un vêtement pour son personnage. Le taux de transformation joueur/acheteur oscille entre 1 et 3% pour un panier moyen (ARPPU) de 5 à 15 dollars par mois : au final, la rentabilité d’un joueur (APRU) se situe entre 20 cents et 2 dollars.

Parce que 20% de leurs joueurs n’ont jamais joué à un jeu vidéo, les éditeurs de social games offrent une exploration contrôlée : « on laisse penser au joueur qu’il est libre de ses actions, en réalité il est guidé par un système d’objectifs. On teste et analyse ensuite différents ‘tunnels’ pour maximiser la rétention, la viralité et in fine la monétisation ». Aux game designers revient la tache de limiter les « frictions » en facilitant l’invitation d’amis et le paiement de parties ou de biens virtuels.

40 à 60% des utilisateurs n’autorisent pas les applis à accéder à leurs données et ne peuvent donc pas jouer. Les éditeurs ont deux solutions : ils peuvent maximiser le taux d’acceptation, en limitant le nombre de paramètres demandés pour ouvrir le plus possible le jeu, ou au contraire demander le maximum de paramètres pour s’appuyer sur une base très qualifiée et pouvoir tracker le comportement de différents profils-types dans le jeu… et leur tendance à l’achat.

L’avenir du social gaming ? Il tient beaucoup aux Facebook Credits et à leur internationalisation, leur démocratisation à travers l’ouverture aux produits réels (musique ou VOD par exemple) et leur développement sur mobile.
Par ailleurs, l’audience drainée et l’engagement généré sur les social games en font un nouveau média publicitaire : le placement de produit est une source de revenus supplémentaires non négligeable. Des opérations comme celles de La Redoute dans le jeu Totally Spies! Fashion Agents devraient se multiplier.