Compte-rendu de la conférence "Des lieux aux contenus : les nouveaux horizons du check-in"

Lieux et contenus : deux paradigmes recouverts par une même pratique, le check-in. Le Social Media Club organisait en octobre une conférence pour faire la lumière sur ce « buzzword ». Retour sur les interventions de nos invités, Elodie Fagan de Yelp, Julien Chamussy de Admoove, Patrice Slupowki, en charge chez Orange de l’appli TVCheck et Laurent Esposito, VP Digital chez Bolloré Média et blogueur.


Le check-in ou l’inscription d’un « temps de l’occasion opportune » : Introduction de la conférence par Jean-Maxence Granier, Directeur du cabinet d’études Think Out.

La géolocalisation marque le passage de réseaux de personnes (réseaux sociaux) et de contenus à des réseaux de lieux… auxquels certains se plaisent à accoler « l’internet des objets ». Le monde réel est innervé par le monde virtuel par couches successives qui représentent autant de nouvelles fenêtres d’actions et de rencontres pour les acteurs et les dispositifs en jeu. Shopping, rencontres, produits culturels, contenus d’actualité… la notion de check in anime et dynamise une partie des évolutions qui ont cours aujourd’hui.

Une analyse fonctionnelle permet de relever quatre grandes catégories d’usages :

  • La fonction indexicale : elle joue sur la synchronicité, c’est-à-dire sur la possibilité d’être au même endroit au même moment qu’un ami, un contact. L’utillisateur joue et exploite les effets de hasard pour favoriser la rencontre… à la manière des Grecs et de ce qu’ils ont appelé le Kaïros (« temps de l’occasion opportune »).
  • La fonction symbolique : l’utilisateur façonne son identité à coups de check-in. Il se laisse définir par les lieux qu’ils traversent et se valorise délibérément en signalant les adresses les plus prestigieuses.
  • La fonction d’archive : La timeline des check-in peut également se lire comme un journal « extime » : elle conserve les traces de nos passages, de nos rencontres pour les restituer tel un journal de bord.
  • Enfin, la fonction de recommandation, bien connue, qui permet de donner une opinion.

Les motivations du check-in varient d’une personne à l’autre, mais toutes se caractérisent pas la richesse des bénéfices attendus en retour. Ces nouveaux « espaces-temps » d’expérience de l’utilisateur apparaissent comme autant de nouveaux champs d’actions pour les médias et les marques. Le check-in peut s’apparenter à une réactualisation du « Opt-in »… mais reste à trouver l’équilibre entre la pertinence des stimuli que l’utilisateur peut recevoir et l’intrusion dans la vie privée.


Elodie Fagan, Yelp : Le check-in, une pratique ludique qui garantit la création de contenus.

Fondé en 2004 à San Francisco, Yelp est un réseau social mettant en relation les meilleurs commerçants avec les utilisateurs (63 millions de visiteurs uniques chaque mois dans le monde). Le leitmotiv de Yelp : aider les internautes à se repérer, à repérer leurs amis et à repérer les meilleurs commerces.

Une application mobile a été développée en complémentarité du site : si le site est davantage visité en journée pour chercher un lieu de sortie, c’est l’appli qui est utilisée les soirs et week-ends pour générer des itinéraires vers des adresses. Après chaque check-in via l’appli, le « Yelper » est invité à venir laisser un avis sur le site. L’appli sert de relai en appelant à la contribution pour améliorer les contenus du site.
Le check-in comporte une dimension ludique très importante chez Yelp qui a instauré une vraie compétition entre les utilisateurs en décernant des badges aux plus assidus d’entre eux. Ces récompenses fonctionnent comme une incitation à multiplier les avis sur les commerces, ce qui garantie la richesse édito du site.
Yelp s’applique à couvrir toutes les fonctionnalités proposées par les services de géolocalisation : aider dans les décisions monétaires, proposer des réductions, aider les commerçants et les utilisateurs à se trouver et enfin susciter la création de contenus… Un modèle gagnant puisque c’est Yelp qui alimentera en contenus la fonctionnalité SIRI (portée par l’Iphone 4S aux Etats-Unis) pour localiser les meilleurs commerces et y orienter les utilisateurs.


Julien Chamussy, Admoove : « Le check-in matérialise la présence d’un client »

L’activité d’Admoove repose sur un constat : le mobile est un « point de passage ». C’est un outil de génération de trafic en magasin, un moyen de paiement et enfin un moyen de fidélisation du client. Dans ce nouvel écosystème, le mobile apparaît comme le lien entre un univers digital qui offre un accès à une richesse d’infos et le monde réel dans lequel on se promène, on entre dans des commerces… D’où la création d’une plateforme de publicité mobile géolocalisée qui propose à des groupes médias ou des éditeurs de sites de valoriser leur inventaire publicitaire grâce au filtre de la géolocalisation. Le Parisien, la chaîne météo du groupe Figaro, le comparateur de prix Prixing, ou l’appli « Stop pervenche » comptent parmi les clients d’Admoove.
Les données de géolocalisation sont récupérés par ces éditeurs qui utilisent la brique de géolocalisation html5 et à partir desquelles Admoove génère du trafic vers un réseau de distribution. Pour ce faire, Admoove recourt au geofencing : les annonces publicitaires sont diffusées en priorité sur les applis des utilisateurs qui se trouvent dans les zones définies avec le distributeur qui a placé ses points de vente sur une carte et défini les zones et horaires de diffusion des pubs autour de ces points de vente.
Ce couplage de savoir-faire produit 10 millions de pages avec publicité par mois. Un volume modeste par rapport aux volumes du web, mais un volume mieux valorisé car géolocalisé.

Dans ces applications, le check-in est fondamental car il matérialise la présence d’un « prospect » à une heure et dans un lieu précis. En effet, le secteur de la pub géolocalisée est confronté au problème de la « rupture média », soit le passage du monde du mobile au monde du réel. Les régies publicitaires sont rémunérées en fonction du nombre de clients que leurs annonces ont généré. Or le check-in permet de savoir combien de personnes sont entrées dans un commerce grâce à la pub générée par Ad
moove.

Le check-in comporte néanmoins des inconvénients :

  • Le check-in reste un clic et risque donc de perdre 5 à 15% des clients au passage ! Il faut veiller à mutualiser les actions en les rassemblant au sein d’une même appli via des onglets plutôt que d’envoyer sur un site externe.
  • Les régies pub ne doivent pas se focaliser sur la dimension sociale, statutaire du check-in qui biaise les données car il est de préférence effectué dans des lieux prestigieux.
  • Même si les check-in par NFC, code-barre ou tag scannés en magasin sont tentants, il faut savoir que le simple mot de passe fonctionne mieux car les commerçants comme les utilisateurs ne sont pas forcément prêts.


Patrice Slupowski, Orange, TVCheck, « Le check-in agit comme un pont entre médias digitaux et télé traditionnelle »

L’application TVCheck peut être assimilée à une « machine à reconnaître un programme ». Le téléspectateur n’a qu’à s’asseoir devant la TV avec son iphone qui reconnaît automatiquement le programme en cours. L’utilisateur peut alors « checker » qu’il visionne l’émission, gagne des points, et l’information est publiée sur son profil Facebook.
TVCheck a transposé le modèle de Foursquare au monde de la tv : il récompense les fans d’une émission qui checkent assidûment. L’appli se veut être un dispositif social qui permet aux TVspectateurs de faire en un lieu précis ce qu’ils faisaient sur des plateformes « dispersées et bruyantes » car non dédiées, Twitter et Facebook en tête. TVCheck fait office de « réseau vertical » et thématique permettant d’isoler une conversation.

L’équipe de Patrice Slupowski a travaillé à lier le monde de la télévision et celui d’internet, qui se croisent de plus en plus souvent mais sans rencontrer les dispositifs adéquats à leur symbiose. Pourtant la pratique du « multi-tâches » appellent ce genre de plateforme : deux tiers des adolescents regardent la télévision avec un autre écran entre les mains, « l’écran compagnon », sur lequel beaucoup d’actions sont effectuées, notamment devant des programmes sportifs ou de tv réalité qui monopolisent moins l’attention que les fictions.
Une étude rapporte même que 62% des téléspectateurs surfent sur internet en regardant la tv, que 46% utilisent un téléphone mobile, 38% utilisent facebook… et 20% des 18-24 ans sont sur twitter pendant leur émission tv favorite.

Le check-in permet de faire le lien entre entre médias digitaux et télé traditionnelle. Producteurs, chaînes de télévision et mêmes publicitaires s’emparent du programme TV comme d’un objet qui va leur permettre d’entrer en relation avec l’utilisateur via son check-in et ses actions de commentaire de l’émission.
TVCheck est un service gratuit qui repose donc sur le modèle de l’engagement. Pour éviter la « check-in fatigue », le service a pris les contours d’un jeu social, récompensant chaque check-in par des points qui permettent à terme de devenir « master » d’une émission.


Laurent Esposito, Groupe Bolloré, auteur d’un blog sur la TV Sociale : La désintermédiation au cœur de la TV sociale

La TV est sociale par essence : d’abord dans la synchronicité qu’elle déclenche en rassemblant des millions de personnes devant leur écran au même moment. Sur un mode asynchrone également, la TV est sociale pour son « water cooler effect », c’est-à-dire sa prédisposition à déclencher des conversations « phatiques » dans la sphère sociale, permettant de nouer le contact selon le modèle de la communication de Jakobson.
La TV sociale se matérialise de trois manières :

  • Le check-in qui agit comme un filtre social de recommandation et qui permet un flux de conversation.
  • Le social viewing ou co-viewing au gré de hashtags sur Twitter ou de page Facebook.
  • La TV participative qui se joue en amont de l’émission, mais aussi pendant et après : avant, en invitant les téléspectateurs à contribuer ou témoigner ; pendant, en votant pendant l’émission pour un candidat ; après grâce aux plateformes de replay et aux commentaires qui viennent enrichir le contenu.

Une nouvelle chaîne de valeur se crée autour de cette TV sociale qui permet la désintermédiation. L’écosystème se modifie en intégrant des acteurs qui n’intervenaient pas auparavant. L’agrégation des dispositifs permet de nouvelles interactions entre les acteurs, faisant passer les médias d’une économie de l’attention à une économie de l’engagement. Avec la TV sociale, ce n’est plus le temps de « cerveau disponible » qui est promis aux annonceurs, mais une interaction sociale avec les tvspectateurs. Ainsi, aux Etats-Unis, l’émission Xfactor et son sponsor Pepsi Cola ont créé 2 plateformes de social TV. Pepsi Pulse qui agrège les tweets avec le hashtag de l’émission pour restituer l’humeur des téléspectateurs, le tout brandé par Pepsi, et Pepsi Sound Off, une belle performance de gamification qui permet aux téléspectateurs-joueurs d’apparaître dans le spot de publicité Pepsi diffusé en cours d’émission.

En conclusion de cette conférence, Jean-Maxence Granier est revenu sur le statut du public télévisuel, qui pourrait être de plus en plus intégré aux process de production des programmes. Le public n’est plus isolé chez lui et confère aux programmes une tonalité « in praesentia » telle que l’on peut la retrouver au théâtre. Les dispositifs sociaux agrégés à la TV viennent matérialiser le sentiment de communauté de téléspectateurs autour d’une émission.