Chaire Social Media Monetization – Social Media, entre audience et viralité : le point de vue scientifique

Le terme de viralité est accolé à chaque succès sur le web sans que l’on sache ce qu’il recouvre exactement. La chaire Social Media Monetization s’est proposé de décrypter ce phénomène à l’occasion d’une conférence, le 13 décembre, dédiée au modèle d’audience des social media.
Jean-Samuel Beuscart et Kevin Mellet, chercheurs en socio-économie à Orange Labs, nous ont présenté quatre tentatives de définition de la viralité.
Retrouvez également ici les interventions de Rémi Douine, Pierre-François Chiron et Hubert Munyazikwiye.

 

1. La viralité comme courbe de succcès

Les courbes de succès sur le web se caractérisent par une montée exponentielle jusqu’à atteindre un pic à partir duquel le partage du contenu décline progressivement, jusqu’à l’oubli. Le web social peut donc être envisagé comme une succession de focalisations collectives, plus ou moins intenses et qui se succèdent les unes aux autres. Modélisées sous forme de courbes, ces séquences combinent deux effets :

  • Un attrait pour ce que les autres regardent déjà : par mimétisme, l’internaute s’intéresse à ce qui suscite de l’intérêt.

  • Un attrait pour la nouveauté, qui signifie également l’obsolescence obligée du contenu.

C’est en conjuguant ces facteurs de mimétisme et de nouveauté que le chercheur Huberman a mis au point une méthode pour prédire le succès d’un contenu à partir de son audience initiale.
Notons néanmoins la faiblesse de ce modèle : les courbes agrégeant plusieurs effets (contagieux, éditoriaux…), il est difficile de connaître la combinaison idéale qui garantisse la viralité d’un contenu. La vidéo de Susan Boyle, par exemple, a bénéficié des effets conjugués de la circulation de proche en proche et de reprises dans les médias traditionnels.

 

2. Analyse de la contagion pure

Une deuxième approche consiste à repérer ce qui relève spécifiquement du bouche-à-oreille en isolant les autres facteurs. En étudiant le succès d’un corpus de photos sur Flickr, un groupe de chercheurs a pu mettre en évidence plusieurs trajectoires :

  • Certaines photos sont viralisées suite à leur exposition éditoriale : par exemple après avoir été mises en avant sur la page d’accueil d’un site média.

  • D’autres connaissent un succès continu, croissant, qui met beaucoup plus de temps à se dessiner, et qui repose sur la recommandation personnelle.

  • Le parcours « hybride » reste cependant la norme, en s’appuyant sur une combinaison du bouche-à-oreille et de la visibilité éditoriale.

Les auteurs de cette étude ont mis en évidence l’équivalence de ces deux phénomènes dans le succès de viralisation des photos : si le bouche-à-oreille peut se prévaloir d’être à 53% à l’origine de leur circulation, la visibilité éditoriale leur vaut elle 47%.

 

3. Les individus sont-ils « virulents » ?

Cette troisième approche s’intéresse non pas à la structure des contenus à succès mais aux personnes qui les porte et à leur potentiel de viralité.

Dans les années 50, Lazasfeld et Katz nuancent l’influence supposée des médias sur la population : elle se ferait en deux temps. Des « leaders d’opinion », attentifs aux messages des médias, redistribueraient les informations à leur réseau respectif. Les recommandations de l’entourage impacteraient donc bien plus l’individu que les médias quant à ses comportements de vote ou de consommation.
Un concept traduit en marketing par la « courbe en S » : une fois découverte par quelques influenceurs portés sur l’innovation, l’information est transmise à l’ensemble de la population, d’où l’importance du ciblage des leaders d’opinion, comme l’explique Malcolm Gladwell dans The Tipping Point.

Ce schéma, peu contesté pendant un demi-siècle, a été revu par Duncan J. Watts et Albert-László Barabási qui tendent à complexifier le phénomène : si le réseau est peu concentré, les influenceurs ne sont pas très influents. En revanche, si le réseau est très concentré, alors les influenceurs sont très difficiles à influencer… la viralité reposerait donc sur des conditions très restrictives. Il faut en effet que le réseau soit hyper-concentré et que les personnes influentes soient elles-mêmes facilement influençables… ce qui en fait des individus paradoxaux.

Pour comprendre les dynamiques de diffusion sur internet, le chercheur Watts propose la métaphore de l’incendie : le vent, la sécheresse du terrain sont au moins aussi déterminants que le nombre de foyers initiaux dans la diffusion d’un feu de forêt.
De même, pour la viralité, s’il est intéressant de connaître la source et les points de passage d’un contenu, il faut aussi tenir compte de l’intervention de paramètres extérieurs : par exemple le travail effectué par les médias classiques ou la publicité qui peuvent sensibiliser une population à recevoir une innovation et à la transmettre.

 

4. La nature des contenus

Trois théoriciens proposent de s’intéresser aux spécificités des contenus viraux.

  • Jonah Berger, un chercheur anglo-saxon, explique que nous partageons prioritairement des contenus « futiles ou émotionnels » non comme fin mais comme moyen de créer du lien à distance. Puisqu’il est difficile de partager des sentiments forts à distance, Internet serait propice à la circulation de contenus à forte dimension émotionnelle. Hubert Guillaud a proposé sur InternetActu un compte-rendu de cette étude.

  • Henry Jenkins, dans Convergence Culture, s’oppose à la métaphore de la viralité qui ferait des internautes des êtres passifs. Figure majeure des cultural studies, le chercheur explique que les contenus viraux le sont avant tout parce qu’ils font l’objet de réappropriation par les individus… comme le Lolcat, quintessence de la culture virale, qui se prête à une réinterprétation permanente, ou au « braconnage culturel » comme l’a appelé Michel de Certeau.

  • Bill Wasik, l’inventeur des flash mob, considère lui que le contenu importe peu. Le potentiel viral relève davantage d’un « jeu auto-référentiel » : il s’agirait de faire passer le contenu au second plan. Ce qui importe, c’est la dynamique de buzz, le fait d’en être, ou au moins de deviner ce qui va faire l’objet du prochain buzz.

 

En conclusion, ces différentes études rendent possible l’identification de formes virales au travers de séquences de focalisations de l’attention collective, mais il est très difficile d’identifier ce qui relève de la contagion pure.

Seules certitudes :

  • Il n’existe pas d’individus qui soient influents en toutes circonstances.

  • Le buzz semble se porter plutôt sur des types de contenus spécifiques sans devenir pour autant prévisible.

  • Le buzz est toujours l’effet conjugué de plusieurs influences dont celle des médias, que le mythique « bouche-à-oreille » pourrait faire oublier.

Pour approfondir le sujet, Jean-Samuel Beuscart et Kevin Mellet ont écrit « Le succès sur Internet repose-t-il sur la contagion ? Une analyse des recherches sur la viralité », un article paru dans la revue Tracés, n° spécial « contagions » (co-écrit avec Thomas Beauvisage et Thomas Couronné).

Vous pourrez lire également sur notre site le résumé des interventions de Rémi Douine, Pierre-François Chiron et Hubert Munyazikwiye : en ligne ici.