Communication de crise 2.0

Rapidité de diffusion de l’information, engagement de l’audience, emballement médiatique… Quelles mécaniques peut-on observer dans les controverses en ligne ? Comment qualifier les interactions des acteurs en jeu ? Le Social Media Club vous livre les réponses d’experts invités lors d’une session de travail privée animée par Maxime Drouet, Directeur exécutif de l’agence i&e.


Un combat asymétrique

Emmanuel Bloch, Doctorant à l’IFP, Directeur de la Communication Externe chez Thales et auteur de « Communication de crise et médias sociaux« , propose de mettre en parallèle l’utilisation des nouvelles technologies de l’information par les mouvements de contestation et les stratégies de combat dites « asymétriques » déployées sur les théâtres d’opération militaire ces dernières années, notamment en Afghanistan.

Un ennemi difficilement identifiable. Les mouvements de contestation en ligne peuvent fédérer des dizaines de milliers de personnes, spontanément, suite à un appel lancé par des ONG comme Greenpeace ou Avaaz. Les entreprises ciblées ne peuvent clairement identifier leurs détracteurs, tant ils sont nombreux et épars. Emmanuel Bloch explique que les entreprises se retrouvent dans la même situation que les soldats de l’alliance occidentale « qui n’ont qu’une vague idée de ceux contre qui ils se battent en Afghanistan : des rebelles, répartis dans plus de quatre-cent groupes, qui se fondent dans la population ».
Clémence Lerondeau, Responsable Internet chez Greenpeace France, explique que toutes les actions de l’ONG sont annoncées sur son compte twitter (plus de 70 000 abonnés) avant de faire l’objet d’un communiqué de presse. Avant même d’être couvert par les médias traditionnels, les actions de Greenpeace sont donc relayées par la société civile, « facilement mobilisable », qui va pouvoir « au moins partager une vidéo sur son profil, sinon envoyer un mail à un directeur de cabinet ou à un PDG… ».

A chaque camp son tempo… Les activistes ont des structures très courtes permettant une forte décentralisation de la décision. De l’autre côté, les grands groupes sont tellement hiérarchisés qu’il peut se passer plusieurs heures avant qu’un communiqué ne soit validé. Or ce temps a un coût. Qu’il s’agisse du conflit armé en Afghanistan ou d’une controverse 2.0 impliquant une entreprise, Emmanuel Bloch explique que « le faible maîtrise l’agenda ». Une proactivité revendiquée par Greenpeace. Clémence Lerondeau confirme qu’une action peut être préparée en une heure : « une fois la sécurité des activistes assurée et la responsabilité légale évaluée, l’action peut démarrer ». Le porteur de revendications peut diversifier ses actions chaque jour pour faire durer un conflit que le « fort » paye au prix cher : avocats, commissions d’experts… Les forces vives du groupe mis en cause sont alors employées à gérer la crise, au détriment de leur fonction première.

…son objectif… Contrairement aux conflits dits « symétriques » comme la 1ère Guerre Mondiale, où chaque partie vise à détruire son ennemi, les conflits « asymétriques » font s’opposer des forces qui n’ont pas le même objectif. Tandis que le « fort » aspire à stabiliser le territoire, le « faible » cherche à faire basculer l’opinion publique de son côté. « Chaque soldat français tué en Afghanistan mine la légitimé de cette guerre dans l’opinion » explique E. Bloch, et c’est ce que recherche les « rebelles ». Du point de vue communicationnel, les activistes veulent faire adhérer la société civile à leur cause, tandis que l’entreprise cherche à défendre ses parts de marché.

… et ses règles. En Afghanistan, les actions des forces occidentales sont calquées sur les règles d’engagement de l’OTAN, du moins en théorie. Emmanuel Bloch indique que, à l’inverse, « les rebelles suivent leurs propres règles : attentats, voitures piégées… ». Cette asymétrie se retrouve dans la communication de crise. Les entreprises peuvent payer cher si elles ne respectent pas la loi française. A l’inverse, les activistes se montrent moins scrupuleux en détournant les logos ou les publicités… quitte à enfreindre le code de la propriété intellectuelle ? Pour Clémence Lerondeau de Greenpeace, il s’agit surtout de « respecter d’autres règles », par exemple celles du Hacker manifesto qui « établit une éthique, celle de la recherche de la vérité et de la transparence ». C’est pour obliger Volkswagen à communiquer sur l’impact écologique de ses voitures et à proposer des modèles moins polluants que l’ONG a détourné l’une de ses pubs TV. La vidéo sera temporairement retirée de Youtube, sur demande de Volkswagen, au nom de la violation des droits d’auteur de George Lucas, créateur de Star Wars… « ce qui n’a pas empêché la chaîne de continuer à héberger des dizaines de parodies de la saga » note la Responsable Internet de Greenpeace.

 

Technologies : des courbes d’apprentissage opposées. Tandis que les ONG s’approprient et maîtrisent rapidement les outils du web, les entreprises sont encore en phase d’apprentissage des médias sociaux. Chez Greenpeace, les actions en ligne passent par l’ensemble des canaux : mails, réseaux sociaux, vidéo virale… mais ce n’est pas tout : l’ONG est passée maître dans la mise au point d’outils pour informer les internautes et leur permettre de mobiliser autour d’eux, par exemple avec le logo « OGM, j’en veux pas » ou le « kit de campagne Nestlé ».

Le choix du « caporal décisif ». Une guerre a beau être parfaitement planifiée en amont, le comportement des soldats qui sont sur le terrain peut tout faire basculer. On pense à l’affaire de la prison d’Abou Ghraib qui a durablement entaché la réputation de l’armée américaine ou, en mars dernier, au massacre de 16 civils afghans par un soldat US. « L’échelon le plus bas joue un rôle décisif dans la réussite d’une mission » analyse Emmanuel Bloch. Sur un terrain bien moins grave, celui de la communication, les community managers sont trop souvent des stagiaires, alors qu’ils jouent le rôle de porte-parole.


Une diplomatie sur mesure

Le risque de l’effet Streisand. En 2003, Barbra Streisand porte plainte contre un journaliste pour limiter la diffusion d’une photo sur laquelle figure sa maison. Trouvant la réaction de la star disproportionnée, les internautes publient et partagent le cliché… qui comptabilisera plus de 400 000 vues.
C’est le risque auquel s’exposent les grands groupes lorsqu’ils décident de « fermer tous les robinets », selon Clémence Lerondeau qui regrette que Volkswagen ait demandé à Youtube de supprimer la vidéo de Greenpeace au lieu de se saisir des canaux de communication pour faire valoir ses arguments : « ils auraient pu commenter sous la vidéo, publier un billet sur un blog… » . Resté sans réponse, Greenpeace a entamé une guerre d’usure et poursuit ses actions à l’encontre de l’industriel ! « Créer le malaise chez une entreprise pas tout à faire propre : c’est le business model des ONG comme Greenpeace » selon Dimitri Granger, Consultant en stratégie online chez Net Intelligenz.

Accepter le dialogue à chaud. En 2010, Nestlé est accusé par Greenpeace de contribuer à la déforestation de l’Indonésie en recourant à l’huile de palme pour élaborer ses produits. L’ONG agit sur tous les leviers de la viralité, poste une vidéo qui est largement partagée sur les réseaux. La marque donne la réplique avec un communiqué de presse… 24 heures après. Un temps de réaction bien trop important selon Dimitri Granger : « tout le monde a vu la vidéo de Greenpeace, mais personne n’a vu la réponse faite par Nestlé car elle est arrivée trop tard ».

Unifier les réactions. Paris, New York, Mexico, Hong Kong… La dispersion des multinationales autour du globe ne joue pas en leur faveur. Clémence Lerondeau a observé que la « crise Volkswagen » a été traitée différemment selon les bureaux. Alors qu’en Europe Volkswagen a fait fi des questions ou commentaires des internautes, fermant tous les espaces de conversation, le bureau d’Argentine « pays modèle en terme de community management », s’est montré ouvert et très réactif. Pour Dimitri Granger, l’hétérogénéité des réponses est un enjeu crucial pour les grands groupes : « la Chine, par exemple, est un web à part entière ».

Adapter les niveaux de réponse. Depuis la question du consommateur inquiet à l’insulte du « hater » provocateur, les interactions entre les internautes et les marques recouvrent un faisceau très large. Dimitri Granger explique que le CM doit ajuster son discours : donner aux personnes inquiètes des infos précises, en indiquant un lien qui traite la question sur le site de la marque, et expliquer aux plus virulents que la violence de certains propos les obligent à supprimer leurs commentaires.

Humaniser le discours. Le web est une opportunité pour les marques qui vont plus loin que le simple recrutement de fans et se montrent disposées à interagir. Pour Dimitri Granger, rien ne sert de faire le dos rond : « certains sujets sont rémanents ». Mieux vaut prendre à bras le corps le problème, aussi épineux soit-il, pour entrer dans une démarche de transparence : « le web reste de toute façon le meilleur endroit pour faire entendre ses arguments, bien mieux que n’importe quel communiqué de presse ».

Ne pas céder au « tropisme Facebook ». Maxime Drouet, Directeur exécutif de l’agence i&e, explique que « même si le web entier semble se résumer à Facebook pour les médias traditionnels », les autres espaces de conversation ne doivent pas être négligés. Facebook est sans conteste la première vitrine de l’entreprise mais « c’est d’abord sur les forums que se prépare une crise : le cas Mediator y était largement discuté dès 2003 » rappelle D. Granger. Mettre en place sa propre plateforme de dialogue pourrait être l’un des modèles à suivre. Areva s’est montré précurseur en ouvrant dès 2007 le site www.alternatives.areva.com. La curation permet également de créer du lien et d’entretenir une relation en se positionnant comme référent sur une certaine catégorie d’infos, comme a choisi de le faire Greenpeace en partageant sa veille quotidienne sur la thématique environnementale.