Les séquences dites de « bashing » sont assez régulières sur les social media. Propos virulents, diffamation, attaques personnelles… ces internautes sont-ils intouchables ? Comment expliquer leurs comportements ? Sont-ils plus graves ou plus nombreux sur le web ? Annonceur ou internaute lambda, comment réagir à cette violence ?
Raphaël Rault, avocat au Barreau de Lille et spécialiste du droit du numérique, Fouad Bencheman, journaliste pour GQ et pour le Plus du Nouvel Obs, Quentin Ledoux, Community Manager et par ailleurs auteur du blog Psychologie Digitale, analysent l’incivilité sur le net, les dérives et les risques liés à de tels comportements.

 

Quelles sont les motivations d’un bashing, d’un tweet diffamant ?

« Troller pour exister »
Les comportements anti-sociaux sur le net traduisent les dérives de la « démocratisation » d’internet. Insultes, harcèlement, dénigrements, alimentent les sites et les forums. Médiatisé tristement par le suicide d’adolescents en Grande-Bretagne, en Irlande, aux Etats-Unis, le réseau Ask.Fm, véritable «machine à trolls» pour Quentin Ledoux (psychologue social), est une plateforme où les jeunes échangent sous la forme de questions-réponses, souvent violemment. David Cameron avait d’ailleurs appelé à son boycott en août dernier. Pourquoi ce site suscite-t-il l’engouement des adolescents ? «Ils cherchent à avoir de la reconnaissance. Anonyme, l’adolescent va montrer qu’il est là en « trollant ». Avec internet ils ont le sentiment d’avoir le contrôle de leurs relations sociales, de leur identité, de leur image. On peut choisir qui on veut être » analyse Quentin Ledoux. Un comportement motivé par une frustration : « l’adolescent a du mal à se sentir unique, il pense qu’il peut donner son avis sur tout et avoir une légitimité. La violence refoulée sur internet s’exprime plus fortement que dans le monde physique ». Le trolling, dont les impacts sont ravageurs chez les adolescents, est également un acte qui s’exerce sur des personnes qui « cristallisent » la toile, comme dernièrement, la dame à la fourrure. Repérée à plusieurs reprises sur les chaînes télévisées pour avoir hué et sifflé le Président F. Hollande au nom « du peuple français » (sic), lors du défilé du 11 novembre, la manifestante a rapidement été identifiée par les internautes comme membre de groupements politiques de la « droite forte ». En quelques heures, les internautes l’ont moquée en inondant sa page Facebook d' »étrons virtuels« , un mode opératoire déjà utilisé sur la page de Christine Boutin.


« Le bashing, jeu du hater »
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Toucher un sujet « troll » peut susciter des émulations et des réactions de violence en cascade. Fouad Bencheman, journaliste, en a fait l’expérience en publiant un article sur le match Playstation 4 vs Xbox sur le site Le Plus du Nouvel Obs. Parce qu’il défendait la stratégie de Microsoft, l’article a déclenché près d’une centaine de commentaires de la « communauté pro-Sony », du hater cordial au hater vindicatif. « Le hater va essayer de vous toucher personnellement, physiquement. (…) Quand on aborde un sujet troll, on perd la politesse de l’internaute lambda « . Résultat : un hater lance un forum  pour critiquer le journaliste, et progressivement s’installe une théorie sur l’identité de l’auteur, soi-disant acquis à une cause. Devant ce déferlement d’attaques, comment se défendre ? « Il faut tenter de répondre tant que le dialogue est possible. On peut se tourner vers l’hébergeur pour identifier l’adresse email des haters. Mais souvent les flots de données sont inexploitables. Remonter à la source devient difficile, plus encore lorsqu’il s’agit de bashing en groupe » témoigne Raphaël Rault.


Encourager le trollage pour exister ?
La virulence sur les réseaux sociaux, et parfois même la violence ne profiteraient-elles pas aux médias ? Devant la course à l’audience, les chaînes télévisées développent de nouvelles stratégies comme la création des hashtags d’émissions, qui poussent aux commentaires sur les réseaux. La téléréalité en particulier se nourrit de ces comportements sur le net. « Les commentaires sont intrinsèquement négatifs. A partir du moment où il y aura un hashtag, le téléspectateur voudra y participer, manifester son avis sur telle personne, tel programme. Il passera deux heures à commenter un programme pour dire qu’il est nul. La Social TV, c’est une autre forme d’existence sur internet. La grande question est : comment les plates-formes et les marques vont-elles monétiser ce comportement ? » remarque Fouad Bencheman.

 

Quelle marge de manœuvre pour la justice ?

Face aux injures, au harcèlement, au cybersquating, ou aux 500 millions de tweets publiés chaque jour, la justice tâche de s’adapter. La loi Godfrain (1988) ou la « Netiquette » de l’A.F.A (Association des Fournisseurs d’Accès à Internet) sont quelques unes de ses armes : le délinquant s’expose en effet à des sanctions pénales dès qu’il porte atteinte aux Droits de l’Homme, au droit de la vie privée, d’une entreprise ou au droit de la propriété intellectuelle. Concernant l’usurpation d’identité, c’est la Lopsi2 (loi de l’orientation et de la programmation pour la performance de la sécurité Intérieure d’identité) qui entre en jeu.


Identifier l’auteur du contenu

N’importe quel contenu peut être identifié sur internet, également son auteur grâce à son adresse IP que les hébergeurs peuvent retrouver. Encore faut-il que le prestataire technique s’exécute et communiquer le nom de l’internaute en cause. Car « les hébergeurs n’ont pas l’obligation de modérer le contenu. Ils ont seulement l’obligation de réagir rapidement si un contenu manifestement illicite est signalé. Aux réseaux de décider si le contenu est illicite. Sur Twitter, les systèmes de modération n’existent pas car le coût serait trop conséquent et il n’y a pas de moyens techniques possibles vu le nombre de contenus. » explique Raphaël Rault. Sans oublier que supprimer du contenu de façon abusive est un délit, à l’encontre du principe de Twitter qui est de ne pas supprimer ou d’interdire du contenu. Dans ce cas, comment atteindre les diffamateurs ? La démarche est difficile car les lois étatiques françaises ne peuvent pas être appliquées à l’étranger. L’hébergeur, avec un siège en Californie, est régi par la loi de son Etat.


Condamner l’auteur d’un contenu public diffamatoire

A quel moment un contenu peut-il être retenu contre un internaute, saisi comme preuve dans un contentieux ? L’enjeu est d’abord de savoir si le message est privé ou public. Dans l’affaire de salariés licenciés pour avoir diffamé leur hiérarchie sur Facebook, la justice a jugé qu’il y avait diffamation car le contenu était accessible à tous via une communauté. Dès lors qu’un contenu est visible hors d’une communauté d’intérêt (amis, proches), le contenu est jugé public.


Juger l’intention d’un contenu, d’un tweet
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Retweeter un twitt diffamant peut-il être sanctionné de la même façon qu’on sanctionne l’auteur du message initial ? Le partage de lien peut engager la responsabilité de celui qui va le diffuser. Le contentieux se reposera sur l’élément moral. Y a-t-il eu volonté de dénigrer, véhiculer un message de haine, de violence, ou d’incitation à la violence ? A chaque contentieux sur le numérique, la justice doit procéder au cas par cas. « Les règles juridiques donnent un garde-fou, mais la justice ne peut pas tout réglementer. Il n’est d’ailleurs pas question de créer un deuxième système judiciaire sur internet » conclut Raphaël Rault

 

Pour aller plus loin

Contre la censure du net, la vidéo du TEDex-talK d’Antonio Casilli