Chaire du divertissement numérique – La délinéarisation des contenus

L’introduction de composantes sociales et interactives
dans la conception de contenus linéaires

Cette première rencontre organisée par la Chaire du divertissement numérique a porté une réflexion sur l’introduction de composantes « sociales » et interactives dans la conception et la production de contenus linéaires. Pour débattre :

 

Charly Lemega (Sortane) : éclairage sur le potentiel créatif offert par les nouveaux dispositifs sociaux et interactifs

Sortane est une production entièrement autofinancée, un projet de passionnés qui n’en demeure pas moins remarquable du point de vue créatif. A l’initiative du projet : Charly Lemega et Vincent Sawicki, accompagnés d’une équipe d’une dizaine de personnes, toutes bénévoles. La fiction se déploie sur un temps court (10 jours) via une websérie de 8 épisodes et un jeu en réalité alternée (ARG). La trame de l’histoire : trois amis sont à la recherche d’une jeune étudiante disparue dans un parc abandonné aux allures inquiétantes… à l’internaute de mener l’enquête et de récolter des indices sur cette mystérieuse affaire …
Le dispositif joue sur la frontière entre réalité et fiction, rendue poreuse par l’utilisation des outils et services de communication en ligne comme supports de la production de cette fiction. Les internautes peuvent en effet interagir avec les personnages par email ou via les réseaux sociaux : le public « entre » alors véritablement dans l’univers de la fiction et endosse lui-même le rôle d’un personnage, celui d’un enquêteur, dialoguant avec les protagonistes de l’histoire et, de ce fait, pouvant orienter la trame de l’histoire vécue et influencer la narration.

Sans budget pour la promotion, l’équipe de Sortane n’attire à ce jour qu’un petit nombre de joueurs. Mais cette faible audience a pour autant eu le mérite de permettre aux créateurs de personnaliser au maximum leurs réactions en fonction du joueur et des informations dévoilées ou récoltées sur celui-ci et ainsi d’offrir à chaque internaute une expérience singulière. Et il convient de noter qu’à l’heure actuelle, dans le mode « bootstrapping » dans lequel évolue l’équipe, l’ensemble de la dynamique interactive est gérée à la main par les porteurs du jeu.


Alain Degove (Detective Avenue) : pistes pour une industrialisation de la production transmedia

Detective Avenue est un projet soutenu par Orange et le CNC, et produit par Murmures Productions. L’objectif annoncé des créateurs était de construire une production entre « Fenêtre sur cour » et HBO Voyeur : tout comme Sortane, Detective Avenue s’appuie sur les ressorts d’une enquête. Il s’agit pour l’internaute d’élucider une affaire de meurtre au sein d’un immeuble dont l’un des locataires est le coupable.

Concernant le processus créatif : les auteurs (Aurélie Belko, Sabine Cipolla et Marc Eisenchteter, tous trois issus du secteur cinéma/TV) ont travaillé sur les personnages et la trame narrative avec Laurent Guérin venu apporter son expertise en matière de nouveaux médias ainsi qu’Alessandro Costa, game-designer, pour constituer la « bible » proposée à Orange qui a également apporté son expérience en termes de jeu.  La multiplicité des acteurs impliqués dans l’écriture et la production de Detective Avenue  témoigne de l’arborescence de compétences spécifiques à ce type de production transmedia.  Pour Alain Degove, il n’a pas été aisé de faire cohabiter et travailler ensemble et sur un même projet ces univers radicalement différents aux langages distincts. Cela a nécessité un gros travail de management et près de 6 mois de réglages au terme desquels l’ensemble des acteurs impliqués ont compris leur rôle respectif.

Cette équipe créative a été mobilisée durant les 5 semaines qu’a duré l’expérience Detective Avenue. L’objectif était d’engager une « production en temps réel » basée sur 60 épisodes de 2 minutes 30 au format vidéo, diffusés de façon régulière, la fiction se déployant en outre sur une variété de supports favorisant la participation à l’audience : application iPhone, mise en place d’un répondeur et d’une boîte email, présence du personnage principal sur Facebook… C’est ce dernier point qui fait toute l’originalité de l’expérience offerte au public. En effet, il est invité à mener son enquête sur le coupable d’un meurtre, coupable dont l’identité n’est révélée qu’à l’issue des 5 semaines. Pour cela, il peut entrer en contact avec les personnages via les réseaux sociaux, par email ou par SMS. Ces interactions en « live » avec l’audience ont nécessité une véritable gestion en temps-réel et une gestion de communauté intense de la part des auteurs. En revanche, les contraintes de la production ont empêché la prise en compte des réactions de la communauté dans la narration. Tout était donc prévu à l’avance et rien n’a pu être modifié.

Alain Degove a pu constater que ces défis à relever pour l’audience, cette mécanique de frustration propre à l’enquête (énigmes complexes, systèmes de points)  ont permis l’émergence d’une communauté de joueurs enclins à échanger entre eux et à partager leurs indices et découvertes. Résultat : ces différents mécanismes d’engagement de l’audience ont attiré 16 000 joueurs (comptes créés) tandis que le site web générait quelque 5 millions de pages vues et attirait 100 000 visiteurs uniques.
Outre ce dispositif « live », du contenu reste actuellement disponible en ligne permettant à tout internaute de rejouer la fiction en différé, le coupable dont il s’agit de découvrir l’identité étant désigné à chaque nouvelle visite sur un mode aléatoire.

Malgré un apport de 380 000 euros par Orange et de 400 000 euros par le CNC, Alain Degove estime le budget total insuffisant pour pouvoir assurer une promotion optimale autour de Detective Avenue. Le producteur regrette le manque de visibilité offert à la fiction : une plus large promotion lui aurait garanti une audience massive : 200 000 euros a minima auraient été nécessaires. Le projet n’a donc pu atteindre ses objectifs en termes de rentabilité et ce, malgré la mise en place de dispositifs de micropaiements (SMS et appels surtaxés), générateurs de revenus. Il reste enfin à noter que peu d’annonceurs se sont montrés intéressés par le
programme. Pour Alain Degove, ceci est dû à la difficulté rencontrée par la régie d’aborder ce type de nouveau média.

 

Cyril Huet (United Spirit) : opportunités marketing du « social reality game »

Cyril Huet est cofondateur de United Spirit, une agence de communication numérique. Son point de vue est intéressant en ce qu’il révèle les opportunités de ces nouvelles productions interactives intégrant des fonctionnalités sociales pour ses clients annonceurs. Il prend pour exemple le 29 HOOD PROJECT : un projet de reportage 2.0 mêlant réalité (une websérie relatant le tour du monde bien réel de deux amis surfers) et fiction (forte scénarisation du contenu diffusé chaque semaine), dont l’originalité réside dans l’implication de l’audience dans l’écriture et la construction des séquences. Durant les 12 mois de ce « social reality game », les internautes seraient en effet amenés à participer au processus créatif en soumettant chaque semaine un scénario pour l’épisode à venir.

Selon Cyril Huet, cette mécanique participative permet le recrutement d’une communauté de contributeurs « engagés » et actifs (ici les amateurs de sport de glisse), hautement valorisable pour une marque. Impliqués dans le processus créatif, les individus constituant l’audience deviennent ainsi ambassadeurs de la marque, les fonctionnalités de recommandations propres aux réseaux sociaux permettant une diffusion virale du contenu à leurs différents réseaux de pairs.
Malgré ce concept innovant, United Spirit est encore à la recherche d’une marque partenaire pour rendre possible l’expérience utilisateur de 29 HOOD PROJECT.


Conclusion

Si les idées ne manquent pas pour exploiter les fonctionnalités sociales et interactives offertes par les nouveaux médias, force est de constater que le financement demeure au final le problème majeur auxquels se heurtent les producteurs de ces contenus d’un nouveau genre.