#Adosphere Qu’est ce qui se cache dans le smartphone des jeunes ?

Par Arnaud Paillard

Prête moi ton mobile et je te dirais qui tu es… En moins d’une décennie l’usage du mobile chez les adolescents a pris une ampleur sans équivalent. Comment comprendre ces usages ? En quoi se distinguent-ils vraiment des usages du reste de la population ? Quelles nouvelles cultures juvéniles se dessinent au travers de ces usages quotidiens ?

L’analyse des usages des adolescents est d’autant plus délicate qu’elle est aux prises avec plusieurs représentations contradictoires de la part de leurs aînés qui oscillent souvent entre incompréhension générationnelle et valorisation marketing de la culture adolescente. Autant de discours qui imposent bien souvent une lecture monolithique des usages du numérique par les jeunes générations.

« Il faut bien que le monde change. » C’est par ces paroles que Paul, interviewé par RFI dans le cadre de l’émission Bienvenue en adosphère juge le recours intensif aux réseaux sociaux par la jeune génération. Les pratiques de cette classe d’âge, parfois appelée Milleniums, Digital Natives, ou, plus sobrement Z, interrogent aussi bien les institutions que les marques, qui se donnent le même objectif : comment s’en rapprocher ? Au fond, est-ce que le monde est vraiment en train de changer ?

Éléments de réponse au Social Media Club France  avec Ziad Maalouf, journaliste à RFI et réalisateur de l’émission L’atelier des médias, dont Bienvenue en adosphère est une production récente, Jamila Yahia Messaoud, directrice du département cinéma et comportements médias à Médiamétrie, Monique Dagnaud, directrice de recherche à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, spécialiste de la cyber-culture des jeunes. Une session animée par Maxime Drouet (Directeur digital chez Burson Marseller i&e) et Aurélien Viers (Directeur du pôle visuel L’Obs).

*** Revoir la conférence en vidéo ici > https://goo.gl/2xlfsg

Key facts & Figures

Lorsque Médiamétrie s’intéresse aux jeunes, il identifie à un groupe de 15 à 24 ans :

  • qui disposent en moyenne de 9,4 écrans à la maison,
  • possèdent un mobile pour 95% d’entre eux
  • …et 87% un smartphone (+15 points par rapport à la moyenne de la population),
  • Ils ont en moyenne 15,9 contacts avec leur mobile par jour,
  • 93% d’entre eux sont inscrits sur au moins un réseau social, 66% sont multi-inscrits,
  • Facebook est le réseau social le plus utilisé par les jeunes, avec 82% d’inscrits, suivis     par Snapchat, avec 44% d’inscrits.

« Les adultes nous voient comme des personnes qui passent leurs journées sur Facebook »

La question est posée : est-ce que les jeunes sont obsédés par les réseaux sociaux ? S’ils les utilisent davantage, en effet, ils en ont surtout une utilisation différente. Une utilisation, en fait, très cloisonnée. Pour Jamila Yahia Messaoud, « les jeunes vont sélectionner les réseaux sociaux qu’ils utilisent en fonction du public qui les fréquentent. Facebook, par exemple, est là où il y a tout le monde. » Le réseau social de Mark Zuckerberg est utilisé par les adolescents, sans pour autant être véritablement aimé par ces derniers. Pour eux, c’est un réseau social où l’on trouve les parents, les oncles, voire, les profs.

Présentation Social Media Club Médiamétrie13

Pour autant, il existe un véritable enjeu pour les marques dans leur présence sur les réseaux sociaux, et particulièrement sur Facebook : les jeunes ne sont manifestement pas contre des contenus sponsorisés, à partir du moment où ceux-ci sont authentiques, pertinents, et divertissants. 30% des 15-24 ans suivent par ailleurs des marques sur les réseaux sociaux, et 46% des artistes, selon Médiamétrie. Cette proximité avec les marques sur les réseaux sociaux serait un gage d’authenticité dans les rapports avec celles-ci.

Présentation Social Media Club Médiamétrie2

C’est vers Snapchat qu’il faut se tourner si l’on veut voir un effet de génération sur l’utilisation des réseaux sociaux. Loin du cliché d’une jeunesse obsédée par les réseaux sociaux, Ziad Maalouf voit dans l’attrait des jeunes pour la marque au petit fantôme une forme de maturité et de contrôle de son image sociale. « Ce qui m’a marqué, c’est l’utilisation de Snapchat. Ils affirment que c’est pour protéger leur vie privée, pour que ne pas que les photos que l’on envoie ne deviennent un « dossier ». On se rend compte que les jeunes sont beaucoup moins exposés, en fait, que nous, adultes. » Paradoxalement, les jeunes seraient moins exposés sur un réseau social où l’image joue le premier rôle. Quel est alors le rôle de celle-ci dans la communication chez les ados ?

« L’image, c’est la communication »

Bien plus qu’un réseau social où l’on mettrait ses photos en ligne, comme l’est déjà Facebook, Snapchat sert en fait à communiquer par l’image. « L’image, c’est la conversation ! » assène Ziad Maalouf, « non plus pour critiquer, mais pour s’insérer. » Le selfie n’est pas ce geste narcissique tant décrié, mais un geste de contextualisation de l’utilisateur dans son environnement. Jamila Yahia Messaoud confirme : « l’image est devenue vraiment la manière de s’exprimer. Ça permet aux jeunes de s’exprimer. Plus que la vidéo, l’image remplace le texte. »

Et Ziad Maalouf de convoquer le sociologue de l’image André Gunthert. Selon lui, le selfie serait une révolution, non seulement iconographique, mais aussi sociologique et politique. L’image, et particulièrement l’autoportrait, serait une contextualisation dans le temps et l’espace, qui permet aux ados de s’affirmer comme producteurs et diffuseurs de contenus. « Là, on passe déjà dans ce qui est difficilement imaginable pour beaucoup d’adultes. » Pour Monique Dagnaud, « une image est polysémique, et signifie davantage qu’un texte. Internet rencontre un succès important parce que l’on n’a pas besoin d’être dans une culture de l’écrit pour s’informer, échanger et comprendre. » Et Monique Dagnaud de citer l’exemple des Apprentis d’Auteuil, une structure de re-scolarisation de jeunes en difficulté : « Les jeunes qui sont pris dans la frénésie numérique ne sont pas ceux auxquels je m’attendais. Ce ne sont pas les jeunes étudiants. Les jeunes des milieux difficiles commentent et partagent plus de contenus. Ils ont un taux d’équipement en smartphones qui est supérieur à celui des cadres de plus de 50 ans. Ce sont des jeunes qui sont isolés socialement, et qui trouvent sur les réseaux sociaux une forme de rattrapage social. »

La vidéo n’est pas en reste. C’est d’ailleurs le recours à ce format qui tord le cou à une autre idée reçue : le smartphone n’est pas l’écran préféré des ados. Si, selon Jamila Yahia Messaoud, :

« 88% des jeunes jugent le smartphone indispensable »

73% d’entre eux les utilise essentiellement pour des raisons très pratiques : trouver un itinéraire, disposer d’informations sur la météo ou la circulation routière. Les mêmes usages que les adultes, au fond, même si le smartphone des jeunes leur sert également à assurer leur présence sur les réseaux sociaux. L’exemple d’Instagram, à cet égard, est éloquent : il n’est possible de poster des photos que depuis un smartphone, et non depuis un desktop.Présentation Social Media Club Médiamétriep11

 

Il reste que le smartphone n’arrive qu’en troisième position pour les écrans préférés des ados, derrière la télé, pour la taille de l’écran, et l’ordinateur, à la première place, jugé plus rapide, notamment pour le visionnage de vidéos.

Un accès à l’actualité « par inadvertance » et une consommation collective

Pour Monique Dagnaud, « les jeunes des milieux défavorisés vont très peu sur les sites d’info, à peine 24%. Par contre, ils sont beaucoup plus consommateurs que la moyenne de petites vidéos. Ces jeunes de milieux défavorisés accèdent, presque par inadvertance, à l’information du monde par le biais de ces petites vidéos. » Ce qu’elle appelle « petites vidéos », ce sont ces extraits de JT, ces vidéos d’humouristes ou de Youtubeurs qui durent généralement entre 2 et 10 minutes. « Il y a une communauté de commentaires autour de l’actualité de ces petites vidéos. Ces jeunes se forgent une vision du monde par la consommation et l’échange de ces vidéos. »

Il existe également une terra incognita des canaux d’information des jeunes : ce sont les jeux vidéos. « Lors des attentats du 13 novembre, on s’est aperçu que pas mal de jeunes s’étaient informé via les plateformes de socialisation de jeux vidéos » lâche Ziad Maalouf, avant d’ajouter : « ce qui est fascinant, c’est que ces plateformes, où des millions de personnes se rassemblent, eh bien on ne les connaît pas. » Des médias sociaux par accidents où l’actualité se partage de façon informelle entre gamers sur les chats des jeux en ligne.

Les 15-24 ans accèdent ainsi à l’information au sein d’une communauté de pairs.

« Les jeunes vont consommer de l’info de façon collaborative : un individu va s’intéresser à un sujet si quelqu’un de son environnement s’intéresse à ce sujet. »

assure Jamila Yahia Messaoud. Ce qui ne veut pas dire que les grands médias n’ont pas un rôle à jouer :« il y a aussi un des marques médias très importantes et reconnues comme telles, comme l’AFP ou Le Monde, » conclut-elle.

Les jeunes multitasks : surdoués ou juste moins concentrés ?

Ce qui est en tout cas certain, c’est la diminution de l’information textuelle dans l’accès à l’information des jeunes. Pour Monique Dagnaud, s’ils « lisent beaucoup de courts textes », ils lisent moins longtemps, « de moins en moins de livres. Le rapport à l’alphabétisation a changé. » Est-ce à dire que les jeunes ne peuvent plus lire ?

Jamila Yahia Messaoud rapporte une anecdote personnelle : « j’ai une fois observé une jeune fille en train de regarder la télé, avec un écouteur dans une oreille, et le téléphone dans la main : elle regardait une émission, écoutait les commentaires audio de ses copains sur la même émission, et lisait ce qui s’en disait sur Twitter en même temps. », avant de conclure : « il y a une observation à avoir sur le long terme pour savoir quel est l’impact de ce type de comportements. La question de savoir quel sera l’impact de cette consommation simultanée de contenus ou de cette réalisation simultanée de tâches sur l’attention des individus est primordiale.»

Pour Ziad Maalouf, c’est clair, au moins dans l’éducation :

« il est inhumain que des gens soient sur un écran alors que vous faites cours. Je pense qu’on devrait installer des bastions dénumérisés dans l’école ». Pour lui, ce n’est pas les écrans qui sont fautifs, mais « la connexion avec l’extérieur. »

Autre son de cloche pour Monique Dagnaud, pour qui on se concentre trop sur l’ultra connexion des jeunes, sans s’interroger sur la résonnance de cette connexion dans des usages sociaux plus généraux : « tout est plus compliqué que de dire que les jeunes sont simplement plus connectés, il ne faut pas aplatir le thème des pratiques numériques des jeunes, mais le déplier.

Il y a une dimension du smartphone que l’on ne signale jamais, c’est sa fonction de décompresseur social : il sert à se vider la tête quand les jeunes s’ennuient. » Autre exemple : les rencontres par internet. Pour Monique Dagnaud, « aujourd’hui, on rencontre de nouveaux amis, et des partenaires sexuels par le numérique. » Pour autant, est-ce si différent que de traîner après le lycée au café du coin, comme le font Tomasi et sa bande de potes dans les années soixante-dix dans Le Péril Jeune ? Pour Monique Dagnaud, cela ne fait aucun doute :

« on assiste à une réarticulation de la société, qui passe bien sûr par le numérique, mais qui est très intégrée au monde réel. Après l’école, on hang out à la sortie, et ça se prolonge à la maison via le numérique. Les jeunes ne sont jamais autant sortis, ce qu’on ne dit jamais, » conclut-elle.

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