L’individualisation de la pub : la prochaine révolution du marketing digital ?

Par Aymeric Marolleau

Malgré sa bonne santé, le marché de la publicité en ligne voit grandir la menace des adblockers. Pour rendre leurs messages plus acceptables, agences et annonceurs misent sur une personnalisation de plus en plus fine. Mais, outre que les données ne sont pas toujours fiables, cette tendance ne risque-t-elle pas de faire perdre à la publicité de sa magie et de sa capacité à susciter l’émotion ? Pour réconcilier création et individualisation, le secteur se cherche un chef d’orchestre et tente de casser les silos.

La publicité en ligne se porte bien. Début mai, l’IAB Europe indiquait en effet que le marché européen de la publicité digitale a dépassé celui de la télévision pour la première fois en 2015, avec 36,2 milliards d’euros pour le premier (plus 13,1 % par rapport à 2014), contre 33,3 milliards pour le second. Cette croissance est particulièrement portée par le mobile et la vidéo, qui représentent désormais respectivement un quart et 16,7 % du marché du display.

Mais tous les signaux ne sont pas au vert pour autant. Ses acteurs s’inquiètent en particulier de la montée des adblockers. Déjà adoptés par près d’un internaute français sur trois selon l’IAB, ils pourraient faire perdre environ 10 % de sa valeur au marché mondial de la publicité en ligne en 2020, soit un manque à gagner de 27,8 milliards de dollars, selon le cabinet Juniper Research. « Les utilisateurs d’adblockers perçoivent souvent la publicité comme intrusive, et ont des inquiétudes sur la confidentialité de leurs données », remarque Nicholas Vieuxloup, co-président du Social Media Club France.

Quelle sera la prochaine étape de la publicité en ligne ? Et particulièrement de la publicité vidéo, qui représente déjà plus de 30 % du marché ? Branchées à nos données, les annonces seront-elles plus pertinentes et donc plus acceptables aux yeux des internautes ? L’avenir de la publicité vidéo sera-t-il programmatique ? Pour répondre à ces questions, Luc Vignon, dirécteur général de SFR Régie, Frédéric Malègue, fondateur de GingaLab et de l’agence brand and native content Goyaves, Pierre-Yves Moriette, directeur général de GingaLab, Thomas Jamet, CEO de l’agence média IPG Mediabrands et Marc Lewitanski, Directeur général et Vice-président de Cospirit, étaient conviés au NUMA le 25 mai par le Social Media Club. La session était animée par Nicholas Vieuxloup (Social Media Club France).

Personnalisation : le bon message, au bon moment, à la bonne personne

Pour rendre la publicité plus acceptable, agences et annonceurs tentent d’imaginer de nouveaux formats et de nouvelles manières de cibler leurs publics en ligne. Par l’innovation autour des données, ils cherchent à faire de la publicité un service aux consommateurs, avec des messages et des contenus toujours plus personnalisés. L’agence Gingalab a par exemple conçu un format vidéo, baptisé ACVA, qui permet une individualisation des vidéos suivant le profil du user. Les usages sont principalement la pub : offrir une video customisée qui séduit et apporte des infos personnalisées, mais aussi l’éditorial :offrir un journal vidéo personnalisée suivant les centres d’intérêt de chacun. La première version de cette technologie ACVA est commercialisée en partenariat avec SFR, il s’agit de « GeolocAd », où la pub vidéo est adaptée en temps réel selon la localisation géographique de l’internaute, mais aussi la météo. Aujourd’hui, SFR et GingaLab souhaitent aller plus loin et lancer rapidement des campagnes ACVA avec une complète personnalisation selon le profil de chaque user : les items proposes, les éléments d’identification seront personnalisées, en sus d’un itinéraire en vidéo vers le point de vente et/ou d’une référence visuelle à la météo.

Pour Luc Vignon, de SFR Régie,  » la publicité est rejetée quand elle n’est pas bonne, pas belle, et quand elle manque sa cible”. Mais elle serait acceptée lorsqu’elle rend un service au consommateur, avec une esthétique travaillée et un format surprenant. Le mobile se prête bien à ces exigences : “Lorsqu’on peut tirer parti de toutes ses spécificités, c’est un outil magique pour les publicitaires”, souligne Luc Vignon. Notamment, remarque Thomas Jamet (IPG Mediabrands), parce que « les applications de votre smartphone permettent de savoir où vous vous trouvez toutes les trois minutes. » La communication en magasin, par exemple, paraît bien acceptée aux intervenants : « une offre promotionnelle au moment de l’achat est perçue comme un geste positif, et la donnée issue des cartes de fidélité est riche et de bonne qualité », explique Marc Lewitanski, de Cospirit.

Après le desktop et le mobile, la personnalisation gagne même l’affichage, via les écrans numériques dans les lieux publics (aéroports, centres commerciaux, métro…) et peut-être demain la télévision, à condition que la réglementation évolue. « Nous nous rapprochons du rêve d’adresser le bon message à la bonne personne, au bon moment », considère Marc Lewitanski (Cospirit). Pour Frédéric Malègue, de GingaLab, la publicité classique, avec une création et un message unique, souffre « d’une certaine déperdition, car elle ne peut toucher toutes les cibles. Mais demain, un algorithme semblable à ce qu’a inventé Criteo pourrait nous permettre par retour d’expérience d’adapter à chaque sous-segment de clientèle le message, l’égérie, et tous les autres éléments propres à susciter l’identification et l’aspiration. Notre conviction, c’est que cela sera banal dans cinq ans ».

Ne pas remplacer la magie par les maths

Mais attention à l’excès d’individualisation, qui peut créer un malaise et avoir un effet contre-productif. Ainsi, selon une étude menée en 2016 par Rapt Media, 57 % des millennials quittent et désactivent un service lorsqu’ils sentent qu’une publicité, un site ou une application a poussé trop loin la personnalisation. Il faut dire que certaines anecdotes ont marqué les esprits. Comme l’expérience racontée par Mashable d’une professeure américaine qui a tenté de cacher sa grossesse aux annonceurs en quittant les réseaux sociaux et en arrêtant d’utiliser ses cartes de crédit et de fidélité… jusqu’à ce que les autorités la soupçonnent finalement d’être impliquée dans des activités criminelles. La pop culture s’est même emparée du sujet, à l’instar de la série animée South Park, s’amuse Marc Lewitanski.

Si bien que certains grands annonceurs prennent leurs distances avec l’utilisation des données en ligne. Thomas Jamet rapporte ainsi que les directeurs marketing et les présidents de grandes marques, telles qu’Unilever et Mars, ont fait savoir qu’ils n’étaient pas intéressés par la publicité ciblée. « Ils croient plutôt aux annonces en télévision et au cinéma, celles qui marquent les esprits, coûtent des millions d’euros, avec des contenus et des stars. Ils ne cherchent pas à adresser telle ou telle personne, mais à parler au plus grand monde, explique le directeur général d’IPG Mediabrands. Au départ, nos métiers visent à créer de l’émotion. Les maths et les data s’y sont ajoutés, mais il ne faut pas oublier la magie, ou on ne produire plus que des choses désincarnées et intrusives. Les publicités les plus efficaces sont celles qui marquent les esprits, sont partagées, commentées, provoquent l’acte d’achat et installent la marque dans la durée. La technologie est certes primordiale, mais il faut l’utiliser comme un support d’émotion et y injecter de la narration ».

La personnalisation souffre d’une autre faiblesse : la qualité des données elles-mêmes. « C’est le principe du « garbage in, garbage out » : si vous adaptez une publicité à une personne, mais que votre base de données est mauvaise, que la donnée est fausse, alors la publicité ne sera pas du tout personnalisée. Or, il y a de vrais problèmes dans la qualité de la donnée en entrée », fait valoir Marc Lewitanski (Cospirit). Notamment parce que le tracking, en particulier sur mobile, est parfois défaillant. « Les utilisateurs ne sont pas connecté en permanence sur leurs applications, les cookies n’y sont pas pris en charge, et les alternatives ne sont pas toujours très respectueuses de la vie privée », explique Luc Vignon (SFR Régie).

A la recherche du chef d’orchestre

Dès lors, comment réconcilier la création avec l’automatisation et l’individualisation que le mode d’achat programmatique a rendus possibles ? « Cela nécessitera beaucoup plus de travail en amont, pour prévoir toute la scénarisation, et de nouveaux métiers”, répond Thomas Jamet. Mais il pointe un obstacle : « casser les silos et dépasser les barrières entre média et création reste très difficile en France, où les annonceurs n’aiment pas mélanger leurs agences digitales, de publicité, de relations presse… Il reste d’un côté les créatifs, et de l’autre ceux qui mettent les contenus dans les tuyaux. » Le directeur général d’IPG Mediabrands plaide donc pour plus d’intégration.

« Le one to one massifié va bouleverser tout l’écosystème et toute la chaîne, de l’annonceur à l’entreprise qui crée le format, en passant par celle qui déroule la stratégie média. Tous les moyens techniques sont là, il ne manque plus que le chef d’orchestre pour les mettre en musique », estime de son côté Luc Vignon (SFR Régie). Pour Marc Lewitanski, de Cospirit, les agences médias peuvent prétendre à endosser ce rôle : « Notre métier, c’est le conseil BtoB, sur la stratégie média idéale et la meilleure façon de toucher une cible. Les annonceurs ont besoin d’un acteur qui s’assure que l’enthousiasme que génèrent ces nouvelles méthodes ne nous amène pas à un manque d’intelligence sur la manière dont on va les traiter. Il faut bien comprendre les savoir-faire pour les injecter dans les systèmes, de façon à ce que les réponses soient pertinentes ». Et finalement délivrer le bon message, au bon moment, à la bonne personne, sans susciter le rejet de la publicité.

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