Les réseaux sociaux d’entreprise : des usines à gaz ?

Par Océane Redon

Si les grandes entreprises françaises tentent d’adopter leurs propres réseaux sociaux depuis plusieurs années, qu’en est-il de l’application réelle de ces sobrement nommés réseaux sociaux d’entreprise (RSE) ? Sont-ils bien intégrés ? Quels sont leurs objectifs ? Quelles méthodes mettre en place pour les développer au mieux ? Afin de répondre à ces questions, plusieurs grandes entreprises françaises, comme Orange, Thales et Vinci, ont accepté de lever le voile sur leurs expériences. Entre ambition et réalité, bienvenue dans l’univers encore méconnu du RSE.

Pour en discuter, le Social Media Club France a invité Ziryeb Marouf, directeur applicatifs RH Groupe et réseaux sociaux chez Orange Corporate ainsi que Laura Mathieu, chef de projets à la Communication Digitale chez Thales à partager leur expérience lors d’une table ronde à laquelle Anne-Sophie Maneau, chargée de communication digitale chez Vinci, était présente. Cette discussion, articulée autour du thème «Les réseaux sociaux d’entreprise : des usines à gaz ?», était animée par Nicholas Vieuxloup, co-président du Social Media Club France, Maud Clerc, responsable du digital et des médias sociaux à HEC Paris et Antonin Torikian, directeur de l’Institut FABERNOVEL.

Idéalement, chaque entreprise aurait son propre réseau social d’entreprise (RSE), qui lui permettrait de s’affranchir des GAFA (qui récupèrent au passage des données confidentielles) tout en s’appuyant sur les plateformes social media américaines. Idéalement encore, chacun de ces RSE serait ergonomique et intuitif pour offrir aux collaborateurs d’un groupe, quel que soit leur âge, leur position géographique ou leur métier, un espace convivial et informatif où échanger, se dévoiler et gagner en productivité. Le tout dans la plus complète sécurité.

« Lorsque nous avons lancé notre RSE en 2010 [baptisé Plazza et hébergé au début sur Share Point mais aujourd’hui sur Jive], il devait répondre à trois usages : profiter aux relations de pair à pair, permettre la création de communautés spontanées sur des thèmes transverses, et permettre la création de communautés initiées par la direction, sur des sujets comme le développement durable ou l’égalité hommes / femmes mais aussi initiées par des managers pour un travail d’équipe », explique Ziryeb Marouf (Orange).

Un RSE transverse, global, collaboratif et productif

Pour permettre aux collaborateurs de se connaître et de travailler ensemble, ce RSE doit instaurer des rapports plus horizontaux que verticaux (pour éventuellement détrôner l’intranet, synonyme d’informations top-down), permettre des créations de groupe sans régularisation ou autorisation préalable. Ziryeb Marouf (Orange) visait surtout l’adoption d’un seul et unique RSE, commun aux différents métiers et présent dans tous les pays où le groupe est installé.

Autant d’intentions partagées par le groupe d’électronique spécialisé dans l’aérospatiale, la défense, la sécurité et le transport terrestre Thales, qui n’a pas encore son RSE mais travaille sur le sujet activement depuis fin 2015. Laura Mathieu (Thales) souhaite ainsi développer un réseau propre « collaboratif et transverse » sans pour autant l’appeler RSE. Elle aspire à la création d’un réseau « global pour une meilleure intelligence collective, mais qui soit aussi capable de fournir une intelligence personnalisée », avant de dévoiler sans ambages la véritable finalité de ce chantier : « Ce RSE doit permettre d’être plus efficient. »

Car si les différents RSE qui émergent dans les entreprises françaises sont portés par les hautes directions et s’intègrent dans les stratégies digitales globales, c’est avant tout pour des logiques productivistes et avec des ambitions plus ou moins affichées de rentabilité.

Notre RSE devra répondre « aux besoins métiers » pour faciliter les collaborations entre les équipes afin de devenir une véritable « digital workplace », dévoile Laura Mathieu (Thales). « Il doit permettre de travailler mieux mais pas forcément plus », précise Ziryeb Marouf (Orange), qui souligne n’avoir aucun objectif en termes de ROI ou KPI. Pourtant, son projet de RSE a été appuyé dès le début par les services de ressources humaines et est indexé dans la stratégie digitale du groupe.

Des expériences parsemées d’embûches

Mais avant d’atteindre ce RSE transverse, global, collaboratif et productif tant souhaité par les entreprises, encore faut-il avoir les méthodologies adéquates pour le mettre en place. Ziryeb Marouf (Orange) ne peut s’empêcher de reconnaître que la première version de son RSE (2010-2015) a rencontré « des deuils et des gamelles, comme l’usage mobile par exemple ». Le spécialiste des métiers des concessions et de la construction Vinci, précise qu’il est important qu’il soit ajusté aux besoins des collaborateurs et à leur niveau d’équipement. Thales a également recueillis plus de 250 retours auprès ses employés actuels, pour contribuer à solutionner leurs besoins de travail collaboratif.

Entre ambitions affichées et réalité des faits, il y a donc souvent un fossé. D’ailleurs, de manière globale, les RSE sont encore souvent qualifiés d’ « usine à gaz » et leurs mises en place peuvent s’apparenter à une « cacophonie ». Il s’agit même d’une « arlésienne » pour Nicholas Vieuxloup (Social Media Club France), qui ajoute : « Le RSE couvre des réalités différentes d’une entreprise à l’autre. On ne sait plus trop de quoi on parle. » Ziryeb Marouf (Orange) confirme d’ailleurs la complexité de cet outil en comparant sa version initiale à « un monstre en termes de maintenance » !

Des pistes à creuser

Si aujourd’hui Orange, Thales et Vinci peuvent faire un retour d’expériences, il n’existe pourtant encore aucune recette magique qui garantisse un RSE réussi. Ainsi, Anne-Sophie Maneau (Vinci), adepte du « test & learn », loue l’importance de l’expérience utilisateur pour faciliter les usages.. Ziryeb Marouf (Orange) glisse également quelques pistes d’explorations : « Notre RSE doit s’adresser à tout le monde », donc être disponible via un cloud sécurisé. « Il doit être device agnostic », ce qui signifie décorrélé du service informatique et disponible via un mail et un mot de passe.

Pour plus d’efficacité, il doit être « ouvert à l’extérieur d’Orange », donc aux clients et aux fournisseurs.

Laura Mathieu (Thales) met également en avant plusieurs pré requis indispensables : « Un tel projet doit toutefois embarquer toutes les fonctions, que ce soit le système d’information, l’ingénierie ou les ressources humaines. »

Embarquer les collaborateurs

Ecouter les collaborateurs, leurs retours d’expériences et leurs ressentis serait donc nécessaire (mais pas suffisant) pour créer un RSE efficace et utilisé. D’ailleurs, dans son travail préparatoire, Thales a travaillé avec l’agence de design thinking Haigo, mais surtout avec l’ensemble des collaborateurs. «Nous avons interrogé nos collaborateurs pour identifier les problèmes qu’ils rencontrent actuellement », explique Laura Mathieu (Thales). « Nous sommes dans un dialogue permanent avec les utilisateurs de notre RSE, grâce notamment à la mise en place d’un comité utilisateurs renouvelé chaque année », confirme Ziryeb Marouf (Orange).

Pour inciter ses collaborateurs à réagir, liker, commenter ou même initier des fils de discussions, Orange ose également la transparence. « Chaque semaine, nous publions sur la page d’accueil du RSE une infographie donnant le nombre d’utilisateurs, les actifs, les nombres de communautés », précise Ziryeb Marouf.

Une piste qui semble pour l’instant porter ses fruits. « Notre ambition était d’atteindre en 2015 60 000 inscrits, sur les 154 000 personnes du groupe. Aujourd’hui, nous en avons 101000 dont 46.000 actifs. D’ici 2018, notre objectif est que 50% de ces utilisateurs soient actifs sur le réseau », continue-t-il. « L’indice d’adoption n’est qu’un indice parmi d’autres », confirme Laura Mathieu (Thales), qui ajoute : « le parcours utilisateur est tout aussi essentiel » et doit être étudié par des data analytics. Pour que l’entreprise ajuste au fur et à mesure son réseau aux besoins de ses collaborateurs afin de co-créer un outil transverse/global, personnalisable, accessible, collaboratif et productif.

 

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