Une actualité très politique des réseaux sociaux, saison oblige, mais également chargée en innovations avec le lancement de Snapchat Discover en France et la rumeur grandissante des petites voix des chatbots sur messenger.

«Snapchat Discover, année zéro»                      

Depuis le 15 septembre 2016, les utilisateurs français de Snapchat peuvent accéder à du contenu issu des médias français sur Discover, la fonctionnalité de l’application au petit fantôme. Huit médias se sont lancés dans l’aventure, et pas forcément ceux qu’on attendait. Si Melty, Tastemade, Vice, Cosmopolitan et Kombini étaient attendus au tournant, ce n’était pas le cas du Monde, de l’Équipe, et de Paris Match. Aurélien Viers revient sur cette nouveauté dans le paysage médiatique français.

 «On sait qu’en France, Snapchat, c’est déjà le troisième réseau social, avec plus de huit millions d’utilisateurs. C’est donc normal que les grands médias s’y intéressent. La première constatation, c’est le haut niveau de qualité du contenu produit sur la plateforme. Derrière les comptes Discover, et on l’avait déjà constaté aux États-Unis, on trouve des grosses équipes dédiées, bien constituées, pluridisciplinaires, impliquant des vidéastes, des motion designers, des chefs de projet, des infographistes, des data analystes, et, bien sûr, des journalistes. Les médias ont bien compris que se lancer dans l’aventure Snapchat impliquait de composer correctement les équipes dédiées. »

«Sur la pratique, il est intéressant de constater le retour à une approche assez classique : on retrouve un chemin de fer, une heure de bouclage pour sortir l’histoire, bref, des choses qui nous ramènent un peu en arrière, au temps du de la version papier. Sur la forme, on redécouvre le plaisir de feuilleter un journal, grâce à la très bonne adéquation des formats avec le support. Pendant longtemps, les médias se sont contentés de reproduire des formats conçus pour ordinateur sur le mobile : on avait des photos en paysage qui fonctionnaient assez mal sur le mobile, et c’était pareil pour la vidéo.

Là, le format et la navigation sont parfaitement adaptés au mobile : on fait à la fois glisser l’écran de droite à gauche, comme sur un album photo, et on scrolle vers le bas, dans la profondeur, pour avoir plus d’infos. L’avantage de ce type de formats, c’est qu’il permet une hybridation entre des formats très courts, comme un petit bonbon, qui peuvent être compris en cinq secondes, et des formats un peu plus longs, plus narratifs ».

Au Social Média Club, la question que l’on se pose est simple : est-ce que ça marche? Quels sont les premiers retours d’expérience des éditeurs? Quelle est la stratégie, quels sont les buts? «On voit que cela correspond à un pari : celui d’aller toucher les ados, complète Aurélien Viers avec de nouveaux contenus, sur leur plateforme, et également d’intéresser certains annonceurs. Est-ce que cela va payer? Quand des ados vont sur Snapchat pour communiquer en s’amusant avec leurs amis, est-ce qu’ils ont envie de se plonger dans des infos, parfois sérieuses, et pas très “lol”? C’est véritablement Snapchat, année zéro. Nous attendons les premiers retours d’expérience».

«Sur les formats publicitaires en revanche, on est en train de se demander si on n’a pas, enfin, trouvé le Graal d’une alliance contenu/pub qui fonctionne. La pub sur ordinateur est souvent perçue comme intrusive, et cela explique en partie le succès des adblockers. En revanche, sur Snapchat, le chargement est très rapide, on peut passer, les pubs peuvent être fermées dès la première seconde, et, d’un autre côté, elles sont en plein écran et bien visibles, et visent un public prisé par les marques : les jeunes».  Enfin un format pub idéal pour les lecteurs… et les annonceurs? »

Médias : tous «désintermédiés»? Tous court-circuités?

L’autre grande question d’actualité de l’année 2016/2017, selon Aurélien Viers : «Est-ce que ce sera l’année de la grande désintermédiation pour l’information politique?»  Plusieurs signes montrent l’érosion du rôle des médias dans la sélection et l’analyse de l’information. Si l’on prend la campagne présidentielle aux États-Unis, on constate qu’en face des médias traditionnels, il y a des offres hors média de plus en plus puissantes, et qui ont autant d’impact que les pages des grands médias. Il peut s’agir des contenus issus directement des candidats, mais aussi des pages de militants, d’ONG, de pure players sortis de nulle part… sans parler des sites d’infos, de pages Facebook bidons.

«Tout ça, bien sûr, est assez ancien. Le temps où Robert Namias, le directeur de l’info du journal télévisé de TF1 dans les années quatre-vingt-dix pouvait dire “un sujet qui ne passe pas au 20 h de TF1, c’est un sujet qui n’existe pas” est définitivement révolu depuis l’arrivée du web». Aujourd’hui cependant, plusieurs éléments viennent accentuer ce phénomène. L’apparition des algorithmes utilisés par les réseaux sociaux pour proposer de l’information à leurs utilisateurs tout d’abord : selon ses préférences exprimées sur un réseau social, un utilisateur sera davantage exposé à des messages issus directement de Donald Trump ou d’Hillary Clinton, plutôt qu’à des articles du New York Times. «Le deuxième élément, ce sont des stratégies social media beaucoup plus affûtées déployées par les équipes de campagne. Il n’y a qu’à prendre la page Facebook de Jean-Luc Mélenchon : la vidéo de son passage chez Ruquier totalise plus de 4,6 millions de vues, son compte YouTube 116918 abonnés. On voit que les candidats parviennent à toucher directement les électeurs via les pubs, via des posts, et à récupérer directement ces minutes d’attention, sans passer par les médias, ou en réutilisant leurs contenus sur les réseaux sociaux».

Alors, médias tous «désintermédiés», tous court-circuités? Est-ce que les médias n’ont pas, somme toute, perdu définitivement la maîtrise de l’agenda politique? Au-delà du discours alarmiste, la question qui se pose en creux, c’est aussi celle de la place et du rôle qu’ils doivent trouver pour capter à nouveau cette attention.

 Les nouveaux formats des chaînes d’info

Jusqu’alors relativement préservées de la concurrence du web, les chaînes d’info sont en train de subir une pression toujours plus forte de la part de nouveaux formats sur internet. Pour y faire face, elles innovent et rapprochent les différents formats dans une seule offre, à l’image de ce que tente de faire Franceinfo, la dernière-née des chaînes d’info en continu. Jean-Dominique Séval, Directeur général adjoint de l’IDATE Digiworld anime avec Eric Scherrer au SMC un cycle de discussion sur le futur de la TV, il commente ces mutations à l’œuvre dans le paysage audiovisuel : «Les chaînes d’info vont être très bousculées. Par rapport à ce qu’a connu la presse, on peut dire que jusqu’à présent, l’information à la TV a été relativement préservée. La dernière grande évolution, déjà ancienne, c’étaient les chaînes d’info en continu. Mais aujourd’hui, la Télévision est en passe de perdre son statut historique de média qui permet de voir l’info, quand le rôle de la radio était d’alerter et celui des journaux d’analyser. Cet équilibre est rompu avec l’arrivée massive de la vidéo sur les réseaux sociaux. C’est aujourd’hui Twitter qui nous alerte, quand les infos sont de plus en plus accessibles sur de grandes plateformes comme YouTube ou Snapchat. »

« Mais ce qui inquiète beaucoup en ce moment, c’est la possibilité qu’une partie des vidéos soient directement filmées par les internautes, à l’heure où la jeune génération ne se nourrit que d’User Generated Content (UGC) en vidéo. Même si les chaînes classiques ne reprennent qu’encore ponctuellement ce type de formats, en tant que source complémentaire des journalistes télé, on peut se demander quel nouveau type de concurrence permettra des outils comme Facebook Live. »

« Pour faire face à ces tendances, quelques évolutions, parfois communes à la presse écrite, la télévision ou la radio, apparaissent : on peut parler de transmédia généralisé. Cela se traduit concrètement par le rapprochement des rédactions traditionnellement séparées de la presse et de l’audiovisuel, comme BFM a pu le faire il y a près de dix ans. Depuis, on observe que les grands quotidiens font de plus en plus de place à la vidéo sur leurs sites et que les tranches matinales des grandes radios sont filmées en direct. Franceinfo, dernière-née des chaînes d’info, tente de faire jouer la différence par une rédaction plurimédia et un ton et des formats différents». Comment les chaînes d’info s’adaptent-elles à ces évolutions? Quelles seront les prochaines étapes? Quelles informations demanderont et regarderont les jeunes générations?  

   «Ouvrir la boîte noire des baromètres des social data»

Quand la crédibilité des sondages d’opinion classiques se retrouve fragilisée par l’élection d’un Donald Trump aux élections américaines, ou la défaite d’Alain Juppé à la primaire de la droite, les médias cherchent à innover et mobilisent parfois des baromètres statistiques utilisant les données issues des réseaux sociaux comme matière première. Certains de ces baromètres donnent l’illusion de la rigueur statistique propre aux instituts de sondage. Rémi Douine, CEO de The Metrics Factory et coordinateur d’un cycle de discussion sur les usages des social data au SMC, souligne les limites des social data dans la création de ces baromètres, tout en mettant en avant leur potentiel.

«Aujourd’hui, avec les campagnes présidentielles des deux côtés de l’Atlantique, on voit émerger dans la presse de nombreux baromètres de popularité sur les réseaux sociaux qui répondent globalement aux questions de type : qui a le plus de retweets? Qui met le plus de photos sur Instagram? Etc. Ces baromètres sont repris comme matière première par les analystes politiques, voire comme proxy d’étude d’opinion, ce qui montre que l’usage des données issues des réseaux sociaux est désormais entré dans les pratiques.

« Or, et on touche du doigt les limites des social data, ces données sont assez neuves. Elles n’ont pas encore bénéficié d’une recherche académique intensive, contrairement aux études statistiques. Si ces dernières reposent sur la représentativité, l’étude des social data, elle, est plutôt fondée sur la disponibilité de la donnée. Notre challenge, à la commission data du Social Média Club, c’est justement d’ouvrir la boîte noire pour regarder comment ces données sont collectées, utilisées et analysées. Car les méthodologies utilisées ne sont pas neutres.

« Globalement, Facebook et Twitter, les réseaux sociaux en général, mettent ces données à disposition. Derrière, des entreprises les collectent et les mettent en forme, et, en troisième lieu, des analystes les exploitent et en tirent des conclusions. Chaque étape n’est pas neutre dans le traitement des résultats. Selon la méthodologie utilisée, l’analyse pourra être différente. Quand un institut de sondage crée un baromètre politique en utilisant des intentions de vote, il utilise un outil statistique avec un échantillon représentatif de la population. Les différents instituts de sondage, bien que concurrents, utilisent tous la même méthodologie.

« C’est précisément ce qui manque aujourd’hui au traitement des social data. Ce qui fait que, non, les baromètres politiques fondés sur des social data, ce ne sont pas des outils qui mesurent l’opinion publique, mais plutôt des auxiliaires qui permettent d’identifier quels sont les candidats les plus actifs sur Twitter, ou ceux qui sont dans l’actu grâce au nombre de retweets. Le but de la commission social data, c’est donc d’expliquer ces limites à toutes les personnes qui sont amenées de plus en plus à utiliser et exploiter des social data. De partager, dans ce sujet relativement neuf, les enjeux de la collecte et de l’analyse de la donnée

« L’avenir est une perle nichée dans le cerveau d’un fœtus »

Gérard Klein nous le rappelle dans l’article consacré au lien entre prospective et science-fiction dans ces cahiers. Le smartphone dans 10 ans, l’évolution des chatbots, ce n’est pas de l’innovation technologique : c’est du design.De nouvelles manières de connecter entre elles des bases de données et des algorithmes qui sont déjà là, et de nouvelles manières d’exploiter encore les potentialités incroyables déjà offertes par les API (Application programming interface).

L’intelligence artificielle reste une petite brique technologique posée en équilibre fragile sur le toit de nos foyers connectés, et dans les chatbox des services clients des grandes marques. La promesse qu’elle incarne, en revanche, tout comme Snapchat, appelle une nouvelle génération d’usages, révolutionnaires, du web social.

Comment ces usages évolueront-ils demain ? Gardons-nous d’être trop prospectifs et regardons plutôt comment s’en emparent déjà les milliers d’entreprises françaises qui ne sont pas encore digitalisées. Des réseaux sociaux d’entreprise des grands groupes, jusqu’au TPE-PME. Daniel Lemin (PagesJaunes) aime d’ailleurs le rappeler « si les TPE/PME représentent plus de 97 % des entreprises en France, près de la moitié se déclare peu ou pas du tout concernée par la transition numérique », selon les chiffres du 61ème baromètre Fiducial des TPE au premier semestre 2016. Pire, deux tiers des patrons ne considèrent pas la gestion de leur e-réputation comme un élément important et seul ¼ des TPE/PME sait qu’il y a des avis postés sur leur entreprise, selon le baromètre des avis en ligne PagesJaunes/OpinionWay. Pourtant, pour les petites structures, l’enjeu est important. D’après les travaux menés par le département de recherche en sciences humaines et sociales d’Orange Labs, 87 % des internautes prêtent en effet attention aux avis en ligne, et ils sont près de 72 % à avoir déjà évalué en ligne un service dans un magasin. Quant à l’acte d’achat lui-même, s’il est encore effectué à 80 % en magasins, 96 % des Français font des recherches sur internet sur le produit avant même de se déplacer. Les TPE ont tout intérêt à soigner leur e-réputation.

Ce premier numéro des cahiers du SMC retrace les grandes lignes de nos discussions et de nos rencontres entre septembre et décembre 2016 au SMC France, mais également à Abidjan. Notre correspondante Sophia anime la branche ivoirienne du Social Media Club et s’est invitée dans nos cahiers à l’occasion d’un dossier dédié aux enjeux du web social en Afrique.

Par Pierre-Olivier Cazenave et Arnaud Paillard avec Nicholas Vieuxloup, Caroline Brugier et Fleur Douet.


Les cahiers hiver 2017 du Social Media Club France (PDF – 30 Mo)

Ce premier numéro des cahiers du SMC retrace les grandes lignes de nos discussions et de nos rencontres entre septembre et décembre 2016 au SMC France, mais également à Abidjan. Notre correspondante Sophia anime la branche ivoirienne du Social Media Club et s’est invitée dans nos cahiers à l’occasion d’un dossier dédié aux enjeux du web social en Afrique.
Une actualité très politique des réseaux sociaux, saison oblige, mais également chargée en innovations avec le lancement de Snapchat Discover en France et la rumeur grandissante des petites voix des chatbot sur messenger.

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