Quelle complémentarité entre les méthodologies classiques des instituts d’études et la Social Data ?

Par Brice Andlauer

La multiplication des sources de données et des outils pour les analyser pousse, depuis plusieurs années, les instituts d’études à se questionner sur l’évolution de leurs métiers. L’intégration de la social data au sein des offres et des organisations existantes est clairement l’un des chantiers illustrant le plus les mutations en cours. Comment s’approprier la social data pour de meilleurs analyses ? Comment former aux nouvelles méthodologies et comment les intégrer au sein des instituts ?

Pour en discuter, nous avons invité chez OpinionWay : Roman Ptaszynski (Kantar France), Diouldé Chartier-Beffa (D’CAP Research), Léa Turquier (Ipsos) et Marjolaine Grondin (Jam). Une session organisée et animée par Anna Oualid (OpinionWay) et Rozenn Nardin (‎Research.&Web Conseil).

La multiplication des sources de données et des outils pour les analyser pousse, depuis plusieurs années, les instituts d’études à se questionner sur l’évolution de leurs métiers. L’intégration de la social data au sein des offres et des organisations existantes est clairement l’un des chantiers illustrant le plus les mutations en cours.

« Elle prend une place de plus importante, il faut donc redéfinir la place des études classiques, » analyse Diouldé Chartier-Beffa (DCAP Research). « C’est l’or du vingt-et-unième siècle, » ajoute Marjolaine Grondin (Jam). « On va en collecter de plus en plus car les services qu’on utilise en ont besoin pour s’améliorer, » détaille-t-elle.

INTÉGRER LA SOCIAL DATA DANS LES ÉTUDES CLASSIQUES

Cette intégration reste très liée à l’histoire propre de chaque institut. Le web listening est arrivé il y a environ sept ans chez Ipsos et a été confié à une équipe en particulier : le quali. « Très rapidement, nous avons fait le choix de faire traiter ces données par les équipes qualitatives, les plus à même de comprendre l’expression spontanée et les émotions des consommateurs, » raconte Léa Turquier. Du côté de Kantar, un traitement plus hybride a été privilégié, en mélangeant dès le départ les profils qualitativistes et quantitativistes pour traiter du web listening.

En se lançant il y a dix ans, DCAP Research a adopté certes une approche similaire à Ipsos. « Le lien avec les études qualitatives était là dès notre naissance, » explique Diouldé Chartier-Beffa. Cependant, l’utilisation de la social data au sein de la société s’est construite également à partir des réflexions d’un collectif de recherche pluridisciplinaire. L’institut a aussi choisi de développer son propre outil de collecte et d’analyse de la social data (NetConversations).

Ce choix de développement d’un outil propre fait écho à l’un des grands challenges pour les instituts : faire en sorte que leur plus-value continue d’être clairement perçue. « Petit à petit, on s’est rendu compte que beaucoup de clients nous disaient qu’ils n’avaient pas forcément besoin d’instituts d’étude pour faire ce type d’analyses social data car ils avaient des outils internes ou faisaient appel à des agences qui leur fournissaient des “études”, » raconte Léa Turquier (Ipsos). « Il a fallu batailler ces deux dernières années pour démontrer la plus-value de l’institut d’études, qui est de donner du sens à la donnée et de la rendre utile » poursuit-elle.

« Objectiver de l’information subjective qui vient des gens, ça reste l’apanage des instituts d’études. » Diouldé Chartier-Beffa (DCAP Research)

L’idée selon laquelle le social listening pourrait remplacer totalement les autres méthodologies d’études est unanimement rejetée au profit de la valorisation de la complémentarité permise par l’hybridation des méthodologies.

« On voit depuis le début que chacune des données apporte des choses différentes qui sont extrêmement complémentaires. Il faut être très clair : ce n’est pas le web social qui va prendre la place des études quantitatives » Roman Ptaszynski (Kantar France).

LA MULTIPLICITÉ DES SOURCES DE DONNÉES

L’hybridation des méthodologies passe notamment par celle de sources de données multiples. Et c’est certainement aussi là que demeure la valeur ajoutée des instituts d’études par rapport aux nouveaux acteurs : les instituts récoltent eux aussi la Social Data, mais l’analysent et la recoupent avec d’autres données.

« On a des données qui viennent des réseaux sociaux, des études, de données clients, et qui sont traitées sur des très gros corpus qui permettent de valider nos analyses. C’est ce qui nous permet de nous positionner différemment, » Léa Turquier (Ipsos).

Conséquence immédiate de cette utilisation de sources multiples: la quantité des informations à traiter devient alors immense. « Aujourd’hui, avec l’hybridation, nous avons une problématique de gestion de l’exhaustivité du contenu, » explique Roman Ptaszynski (Kantar France).

LA TRANSFORMATION DES ORGANISATIONS, UN FACTEUR CLÉ DE RÉUSSITE POUR TRAITER LA DONNÉE

Au-delà de l’hybridation des méthodologies, le traitement même de la social data reste difficile. Car elle même reste massive. Il y a donc aussi en jeu la recherche de solutions pour automatiser une partie de son analyse, et se préparer à s’appuyer de plus en plus massivement sur des intelligences artificielles.

« En essayant de faire des études qualitatives sur de la Social Data, il est facile de se perdre dans cette masse de données très importante. Nous sommes dans une logique de ping pong entre intelligence artificielle et humaine pour traiter ces données. Il y a un enjeu de transformation autour de la donnée. Il faut faire de l’accompagnement interne, de la transformation globale et digitale, » raconte Roman Ptaszynski (Kantar France)

La transformation des organisations passe d’ailleurs par le recrutement. Les instituts d’études ne parviennent pas toujours à identifier les profils correspondants. « Il faut faire une réévaluation de nos compétences. Nous avons besoin de gens qui savent lire des données de types très différents et de leur donner du sens quelle que soit leur source. Aujourd’hui, peu de profils de ce type existent sur le marché du travail, » explique Léa Turquier (Ipsos). Certains misent sur la formation interne et l’évolution des profils, d’autres sur l’hybridation entre des compétences de plus en plus spécifiques et variées.

LA REPRÉSENTATIVITÉ DE LA SOCIAL DATA, UNE NOUVELLE PISTE DE TRAVAIL ?

Si la plus-value de l’institut d’études est souvent promue au travers de sa capacité à donner du sens, reste aussi à savoir valoriser les résultats d’une étude de type social listening. Il faut pouvoir comprendre ce que la social data représente précisément. Pour Diouldé Chartier-Beffa (DCAP Research), les instituts doivent aussi se démarquer en mettant en avant la représentativité de la Social Data qu’ils analysent.

« L’un des écueils a été de prendre la communauté pour définir l’individu. Or ce que l’on cherche c’est la position de l’individu par rapport au sujet. Que disent les gens et qu’est-ce que ça représente chez eux ? […] c’est là qu’on est au cœur de l’insight, dans la part humaine qu’on arrive toujours pas à automatiser. C’est un travail minutieux qui a perdu de l’aura. » Diouldé Chartier-Beffa (DCAP Research)

PRÉDICTION : LE VRAI CHALLENGE

Avec la prolifération des différentes sources de données, les demandes clients pour de la prédiction basée sur des tendances sont en hausse. « Beaucoup d’instituts et d’outils eux-même ont joué avec cette idée là. Il y a eu beaucoup d’échecs, » rappelle Léa Turquier (Ipsos). De nombreux instituts ont encore en tête les études de l’entreprise canadienne Filteris pendant la campagne présidentielle, annonçant François Fillon en tête de la Primaire de la droite contre toute attente, mais publiant des résultats beaucoup plus douteux à la suite de l’élection[1].

« On essaie de prédire des indicateurs plus forts de relation à la marque. Mais pour l’instant, les modèles de prédictibilité fiables ne sont pas totalement satisfaisants. On avance surtout au test & learn. » Roman Ptaszynski (Kantar France)

Est-ce vraiment possible de travailler à un tel chantier ? Comme le rappelle rappelle Diouldé Chartier-Beffa (DCAP Research), « c’est compliqué de parler de prédiction pour les sondages, car c’est ce que les médias achètent. Mais si les sondages n’arrivent pas à prédire, pourquoi est-ce que la social data le permettrait ? »

Faudrait-il davantage parler de prospective que de prédiction? « De mon expérience, ce qui marche bien, c’est la hiérarchisation des données. Avec une donnée qualitative à échelle quantitative, on peut donner du poids à des phénomènes, on est dans de la prédiction faible, qui ressemble plus à de la prospective. Ça ne veut pas dire prédire les résultats d’un vote, mais dire qu’un thème va peser, et que le candidat qui porte ce thème va probablement peser. Dans ce cas là, c’est plus pertinent, » ajoute Diouldé Chartier-Beffa (DCAP Research).

La plupart des acteurs sont prudents avec les termes employés, mais reconnaissent cependant des avancées intéressantes. « Il faut distinguer la prédiction à court et long terme. Sur le très court terme, il y a quand même des tendances identifiables, notamment dans le politique, sur lesquelles on peut se baser et considérer qu’elles sont représentatives. Avec la social data, on pourra par exemple aller dans le détail géographique même si la donnée est floue. En la couplant avec la donnée sondage, c’est là que ça devient intéressant, » argumente Cédric Magneron, président de la société de géostatistiques Estimages.

NOUVEAUX CODES, NOUVELLES PERSPECTIVES

Le modèle de Jam, qui récolte de la donnée sociale grâce à un service rendu sur un Bot Messenger et la revend aux marques, est un bon exemple de panel de données supplémentaires qui voit le jour en parallèle de ceux proposés par les instituts d’études. « Ce qu’on va utiliser pour aider les marques à comprendre les jeunes, c’est tous les insights auxquels on a accès grâce à notre chatbot. On vend du verbatim analysable plutôt que du clic, en expliquant aux marques que c’est une nouvelle façon d’avoir de l’information sans filtre, » détaille Marjolaine Grondin (Jam).

« On part évidemment d’un contexte où l’on estime que les données sont protégées. Je rêve d’un avenir où on aurait plus besoin d’aller chercher les données, où on les aurait directement. Du coup, le sondage deviendrait un peu archaïque » Marjolaine Grondin (Jam)

Du côté des instituts, on conteste l’idée d’un sondage en voie de disparition. Ils s’agit plutôt de remettre l’offre de Jam dans ce qui relèverait du panel, tout en louant l’impact de cette nouvelle agilité. Car l’acculturation à la social data donne aussi une nouvelle dynamique au métier plus inattendue. « Ça change aussi notre manière de faire des études, » tranche Léa Turquier (Ipsos).

« Les codes des réseaux sociaux sont de plus en plus repris dans les méthodologies des instituts. Il y a par exemple un retour en force de la question ouverte, dans lesquelles le spontané et les émotions sont plus pris en compte. Au final, on se retrouve avec une étude qui produit une donnée qui ressemble dans sa forme à de la donnée sociale. » Léa Turquier (Ipsos).

Une perspective que partage Diouldé Chartier-Beffa (DCAP Research) qui rajoute : « ça va forcément se substituer à une partie des études. Il ne faut pas rêver et penser que ça va être uniquement des outils et des données supplémentaires. Mais ça va pousser les études classiques à s’enrichir et s’approfondir dans un champ que la social data ne pourra jamais capturer. On s’amuse beaucoup, car ça bouscule et ça réinvente le métier. ».

Les trois points à retenir :

  • Les instituts se dirigent tous vers une hybridation des méthodologies pour optimiser l’usage de la Social Data.
  • Pour mieux utiliser les données issues du web social, il est primordial de transformer l’organisation des instituts d’études
  • Le véritable challenge reste d’obtenir des analyses prédictives ; c’est un chantier en cours dans la plupart des instituts, mais qui reste à l’état de test & learn.

Une session organisée par le

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