Comment le digital a renouvelé les pratiques des sponsors, des sportifs et des équipes ?

Par Antoine Brisson

Les trois points à retenir :

  • Les marques et médias sportifs ont rapidement adapté leur stratégie de contenu à chaque canal de diffusion et audience visée, misant essentiellement sur la vidéo.
  • La promotion des marques passe de plus en plus par les sportifs et les influenceurs, en concurrence directe avec les médias traditionnels.
  • L’ e-sport est encore économiquement fragile mais porté par une audience très digitalisée, dont les usages intéressent beaucoup les marques.

Comment les marques, les sportifs et les médias ont intégré le digital et la communication sur les réseaux sociaux dans leurs pratiques ? Les stratégies et enjeux du e-sport, nouvel acteur du secteur, sont-ils différents de ceux du sport traditionnel ? Pour en discuter, nous avons invité au siège de la direction Centre-Est d’Orange Boris Stephan (Petzl), Kelly Marini (Lyon E-sport), Pierre Mantel (Babolat), Emmanuel Montecer (L’Équipe) et Antoine Cohet (EA SPORTS).

Une session organisée et animée par Robin Coulet (Agence Conversationnel), Lionel Fumado (Orange), Pierre-Olivier Cazenave et Paul Roy (SMC)

La mise en place d’une véritable stratégie digitale chez les acteurs du secteur du sport s’est faite en fonction des spécificités de chacun. Petzl ou Babolat sont de petites organisations dont les clients ne sont pas tous digitalisés, avec un marketing BtoB plus contraignant que le BtoC sur la partie communication. Au contraire d’EA SPORTS ou de L’Équipe qui se sont vite adaptés pour séduire une audience déjà présente sur le web.

La première expérience numérique de Babolat, entreprise familiale créée en 1875, s’est faite au travers d’une innovation marketing : le lancement en 2013 d’une raquette connectée, avant même la mise en place d’un site de e-commerce et d’une page Facebook balbutiante. Depuis, Babolat a structuré sa présence numérique via un CRM et sur les réseaux sociaux. Une nécessité, pour Pierre Mantel, : « on a maintenant une quinzaine de pages locales Facebook sous une page-mère ». Depuis 2016, Babolat a mis en place une business unit de 10 personnes dédiée au digital, qui définit à la fois l’offre digitale (produits connectés, services) et le marketing via les supports de diffusion numériques, en collaboration avec le service communication.

Idem pour Petzl qui, bien que déjà présent sur les réseaux sociaux, s’est fait remarquer en lançant une lampe frontale bluetooth alors que le marché des objets connectés n’en était qu’à ses débuts . Chez Petzl, la transition s’est faite pas à pas : « on s’est lancé dans le numérique de manière progressive », indique Boris Stephan. Une équipe de 4 personnes est aujourd’hui dédiée à la communication digitale. Sur les réseaux sociaux, « Instagram a dépassé Facebook », grâce à une stratégie d’achat de photos qualitatives et la mise en place de hashtags liés aux produits ou aux problématiques des clients.

L’autre objectif des CM de Petzl est de mettre en valeur les athlètes sous contrat : « certains athlètes grandissent avec nous et nous contribuons à leur image de marque, d’autres portent notre marque auprès d’un public que nous avons du mal à toucher nous-mêmes.», précise Boris Stephan.

Emmanuel Montecer (L’Équipe) retrace l’évolution de la présence du numérique au sein de la rédaction du quotidien sportif : le site internet est créé en 2000 avant l’Euro, avec la crainte que le web ne réduise les ventes papier. Puis, l’avènement du smartphone en 2010 amène le groupe à pleinement intégrer le digital sur ses médias principaux en diversifiant les contenus selon le canal de diffusion, ce qui n’était pas le cas jusque là (le print, le site web et la chaîne de télévision). L’Équipe est maintenant présente sur les principaux réseaux sociaux avec des stratégies de contenu adaptées à des verticales par tranche d’âge : Snapchat, adopté par les 12-25 ans, est utilisé dans un but pédagogique et éducatif (80% des gens qui consultent L’Équipe sur Snapchat ne visitent pas l’application ou le site internet) alors qu’Instagram est la vitrine de l’agence photo de L’Équipe. Ces comptes sont gérés par une équipe dédiée de 6 CM qui relaient ou produisent des contenus rédactionnels ou iconographiques.

Le secteur du jeu vidéo n’a par essence pas eu à opérer de révolution numérique, boosté par le jeu en ligne. Chez EA SPORTS, le digital représente la partie la plus importante du budget média d’Antoine Cohet, les 20 % restants sont des achats d’espaces publicitaires en télévision. Même constat pour Kelly Marini (Lyon E-Sport) : « le e-sport est né dans le digital, c’est 100 % de notre communication ».

Les influenceurs et les sportifs au cœur des stratégies

« Avec plus de cent millions de followers sur Instagram, Cristiano Ronaldo est un média à lui seul » Antoine Cohet (EA SPORTS)

Le sportif est devenu sa propre marque et leurs communautés en ligne, souvent plus engagées et qualifiables, représentent une manne nouvelle pour les sponsors. Beaucoup de sportifs ont été très tôt présents sur internet via des comptes personnels de réseaux sociaux ou des blogs, avant que les marques n’aient eu le temps de s’adapter « on était pris à défaut pour communiquer car nos athlètes sponsorisés avaient déjà leur propre support », témoigne Boris Stephan (Petzl). En revanche, il n’est pas toujours facile de les mobiliser : Boris Stéphan (Petzl) souligne qu’avant de former les sportifs aux pratiques, il faut parfois une première sensibilisation, certains des athlètes de montagne sponsorisés par Petzl «sont réticents », par appréhension ou car compliqué à mettre en place.

Que le sportif délègue sa communication à un CM ou qu’il la gère lui-même, Antoine Cohet (EA SPORTS) souligne l’importance du naturel et du fun dans leurs contenus, pour accentuer le sentiment de proximité avec les followers. Avec un impact fort sur le taux d’engagement, en conséquence : « un tweet d’Antoine Griezmann sur le jeu Fifa 2016 a généré plus de 500 000 retweets l’an dernier». Des clauses de publications des produits sont maintenant intégrées dans les contrats de sponsoring bien qu’elles ne soient que difficilement applicables et mesurables. En conséquence, les marques entretiennent soigneusement le lien direct avec leurs sportifs. Des relations sur la durée, où la passion commune du sport prime parfois sur les aspects financiers : les équipes de Petzl n’hésitent pas à partager l’expérience de la montagne avec leurs sportifs, alimentant une forte relation de proximité : “on est plus dans une démarche de passionnés que purement professionnelle”, confesse Boris Stephan.

Les sportifs se muent en producteurs de contenu, chaque publication sur les réseaux sociaux de Rafael Nadal sur les raquettes Babolat a un impact sur les ventes. Même écho chez Boris Stephan (Petzl) : la production de contenu des sportifs de montagne est primordiale, et « leurs images filmées en GoPro valent de l’or ». L’Équipe a fait le choix de publier le contenu des sportifs sans toutefois s’appuyer sur ceux-ci pour faire la promotion de leurs produits, essentiellement par soucis d’indépendance éditoriale. Le journal avait par ailleurs lancé Smartvox, une plateforme permettant aux lecteurs d’écrire des articles et donner leurs points de vue mais sans succès « cela n’attirerait pas forcément de nouveaux lecteurs », justifie Emmanuel Montecer (L’Equipe).

Les médias traditionnels n’ont donc plus le monopole de l’influence dans le secteur sportif : les communautés des influenceurs deviennent une priorité.

« la cible des millenials est plus influencée par les micro-communautés que par les stars » Pierre Mantel (Babolat).

Pour Antoine Cohet (EA SPORTS), les plans de com habituels sont aussi en révolution : « quand on organise un test de jeu en avant-première, on invite les influenceurs, pas les journalistes ». Kelly Marini (Lyon E-Sport) ajoute qu’il est plus simple de faire venir les influenceurs et les médias spécialisés en e-sport sur les événements que les médias classiques, qui ne s’intéressent au sujet que depuis peu.

L’e-sport, un sport (bientôt) comme les autres ?

Déjà installé aux Etats-Unis et en Asie, l’E-sport fait encore ses premiers pas en France. Cependant, marques et médias commencent à sérieusement l’intégrer dans leur politique afin de capter une communauté très active, malgré un modèle encore fragile.

L’e-sport s’est fait connaître par les jeux en réseau Counter Strike ou Starcraft, devenus des jeux en ligne à l’arrivée d’internet. Mais si l’e-sport est en plein essor, grâce à des titres comme League of Legends ou la saga FIFA qui a contribué à sa démocratisation, « il reste encore poussif en France », modère Kelly Marini (Lyon E-Sport).
Organiser des événements coûte très cher (location des salles, infrastructure réseau…) et la communauté est très exigeante. Si les Casters – souvent plus connus que les joueurs eux-mêmes – ont beaucoup participé à la médiatisation du e-sport, le print reste donc un enjeu important pour les promoteurs des compétitions de jeu en ligne, « pour attirer les annonceurs plus que le grand public », explique Kelly Marini (Lyon E-Sport), et ainsi pérenniser des contrats avec les sponsors. Mais les marques sont de plus en plus présentes : au début du e-sport, les sponsors provenaient principalement des marques informatiques. On voit arriver sur ce marché des marques institutionnelles et grand public comme Orange, Vivendi, Coca-Cola… Le PSG a récemment créé sa propre équipe e-sport pour promouvoir le club. Un des obstacles réside toutefois dans le choix du jeu auquel elles associeront leur image, en terme de valeurs et d’éthique communes : si s’afficher sur un jeu comme Fifa est consensuel (goût de l’effort et de la performance collective), un partenariat avec un jeu de tir comme Call of Duty est plus risqué.

L’un des marqueurs de la reconnaissance du e-sport est l’approche qu’en ont des titres nationaux reconnus : L’Équipe s’est intéressé au e-sport en 2015 en diffusant l’E-Football League et bénéficie aujourd’hui sur le site d’une rubrique dédiée.

« le cap de la découverte du e-sport est passé : depuis plus d’un an, on axe nos articles sur la performance » Emmanuel Montecer (L’Equipe)

Les marques sont attentives au e-sport, notamment pour le placement produit : Antoine Cohet (EA SPORTS) reçoit fréquemment des demandes des équipementiers pour que les nouveaux modèles de chaussures des joueurs soient intégrés dans la mise à jour hebdomadaire du jeu Fifa. « L’e-sport devient vital pour nous, c’est notre plus belle vitrine. C’est plus de 50 % de mon temps », conclut-il.

Si l’e-sport est en avance sur le sport traditionnel pour le digital, il s’en inspire de plus en plus dans son processus de professionnalisation : les joueurs tendent vers une hygiène de vie de sportif, sont sponsorisés et médiatisés, les équipes pratiquent le team building.

Les fans de sport et de e-sport ont aussi de nombreuses similitudes, détaillées par Kelly Marini : « ils ont leur équipe favorite, et ont envie de voir jouer les meilleurs ». Les spectateurs de e-sport sont de plus en plus nombreux, l’enjeu est donc grand pour les éditeurs de jeux vidéo et les marques. Pas simple, car très peu de jeux intègrent nativement le e-sport. Et même le géant du jeu en ligne comme Fifa doit continuer à s’améliorer, pour Antoine Cohet (EA SPORTS) : « on n’a pas de mode spectateur, à l’inverse de la plupart des jeux e-sport ».

 

 

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