Comment s’exprime la parole du consommateur en ligne ?

par Arnaud Paillard

Créés à la fin des années 90 par Amazon, les notes et avis de consommateurs en ligne changent le rapport des marques à leurs clients. Jugés dignes de confiance par les consommateurs, malgré les controverses sur les faux avis, standardisés grâce à la notation sur 5 qui s’est imposée en ligne, les avis et notes de consommateurs sont désormais massivement utilisés par les marques, aussi bien pour évaluer les biens que les services.

Qui sont ces consommateurs qui donnent leur avis ? Quelle légitimité pour ces évaluations en ligne ? Enfin, quelle attitude adopter face aux avis en ligne lorsque l’on est une PME ou une TPE ?

Pour répondre à ces questions, Nicholas Vieuxloup du Social Media Club et Daniel Lemin, du groupe SoLocal, ont mis autour d’une table Kevin Mellet, chercheur chez Orange Labs, Guilhem Fouetillou, co-fondateur de Linkfluence, et Nicolas Marette, fondateur et CEO de Custplace.

Facts & Figures

  •     87% des internautes prêtent attention aux notes et avis ;
  •     72% ont déjà mis un avis ou une note, et parmi eux, 18% le font souvent ;
  •     89% des internautes trouvent ces avis utiles…
  •     …et même si 90% d’entre eux ont déjà vu de faux avis…
  •     …76% considèrent que cela ne les ’empêche pas de se faire une idée grâce aux avis en ligne’.

(source : Orange Labs :  Infographie_Les avis des consommateurs)

Qui sont-ils ?

Pour Guilhem Fouetillou, le web est un grand n’importe quoi : « pour agréger des avis, on est face à un problème : n’importe qui peut publier n’importe quoi, n’importe quand, n’importe où, n’importe comment. Et ça ne cesse de croître. » Selon lui, il faudrait remonter au début des années 2000 pour trouver l’origine des avis en ligne : « l’arrivée du consommateur en ligne, en 2002-2003, ce sont les blogueurs, ce sont des gens qui se mettaient sur une estrade face aux masses des internautes et qui développaient un long point de vue sur un bien ou un service. Ces producteurs d’avis avaient tous le même profil : c’étaient des Parisiens, branchés nouvelles technologies, très souvent des communicants. »

Dix ans plus tard, on retrouve des profils similaires parmi ceux qui donnent leur avis : « parmi les 18% qui donnent leur avis souvent, on retrouve des urbains, pour deux tiers des hommes, jeunes et diplômés. De façon générale, sur un site d’avis en ligne comme La Fourchette, on retrouve la loi d’airain du web où 10% des contributeurs sont à l’origine de 50% des avis », soutient Kevin Mellet. Mais la dichotomie entre des masses passives et une élite productrice de contenus active n’est plus aussi vraie qu’avant. « On n’a plus besoin de développer un long point de vue sur un sujet pour prendre la parole, pour relayer un message, faire un retweet ou un like, ou mettre une note » appuie Guilhem Fouetillou. De fait, selon les recherches menées par Kevin Mellet au sein du laboratoire Digital Humanities d’Orange Labs sur le cas du site La Fourchette, les internautes qui donnent leur avis favorisent les formes courtes : « c’est quatre ou cinq lignes maximum, c’est pas un roman ».
Quelle forme pour les avis en ligne ?

Si les avis en ligne jouent un rôle crucial pour guider les consommateurs dans leur acte d’achat, les marques se posent des questions quant à la sincérité et à la véracité d’une notation et des avis spontanés. Les consommateurs peuvent avoir tendance à ‘radicaliser’ l’avis qu’ils vont donner en ligne : « aujourd’hui, l’avis spontané est très critique. Les avis spontanés vont systématiquement critiquer la marque, en particulier lorsqu’il s’agit de compagnies d’assurances ou de banques » souligne Nicolas Marette. Guilhem Fouetillou abonde dans le même sens : « on sait que le web produit des milliards d’avis et de publications quotidiennement, mais on sait que ces contenus ne sont pas représentatifs : les extrêmes ont tendance à s’affirmer, les gens qui, en ligne, ont le même avis, vont se ‘monter le bourrichon’ entre eux sur les forums. »

Kevin Mellet nuance toutefois cet avis : « les notes moyennes varient selon les types de produits : les biens culturels font l’objet d’une logique très appréciative, et ça se traduit par des notes moyennes très élevées. D’autres produits, particulièrement les services, comme les compagnies aériennes par exemple, font l’objet d’avis qui témoignent souvent d’une mauvaise expérience. »

Pour des secteurs comme la restauration ou l’hôtellerie, où l’offre est fragmentée, les avis et les notes en ligne jouent un rôle crucial pour orienter et guider les consommateurs. Des sites spécialisés, comme Trip Advisor ou La Fourchette, que Kevin Mellet a étudiés de façon quantitative et qualitative, permettent d’agréger ces avis. Pour lui, « de façon générale et récurrente, les internautes sont plutôt sympa pour l’hôtellerie et la restauration, et mettent en moyenne une note de 4/5. » Lorsque l’on met en regard les notes sur Trip Advisor et sur un guide classique, comme le guide Michelin, force est de constater que les internautes sont bien plus indulgents que les inspecteurs mystères du célèbre guide gastronomique. Nicolas Marette confirme : « l’hôtellerie et la restauration, c’est un peu à part, c’est le seul marché où les gens vont spontanément dire des choses positives. »

Comment solliciter l’avis des consommateurs ?

Nicholas Vieuxloup co-président du Social Media Club, pose d’ailleurs la question : « est-ce que le problème des commentaires et des notes en ligne n’est pas justement de laisser de côté la grande majorité des consommateurs satisfaits du service, mais qui ne vont pas prendre la plume pour exprimer cette satisfaction ? » Y aurait-il un ‘ventre mou’ des avis, ni critiques, ni dithyrambiques, qui passerait sous les radars de l’agrégation des avis en ligne ?

La réponse à cette question tient dans la façon de solliciter les avis des consommateurs. Pour Nicolas Marette, il est nécessaire d’aller chercher les consommateurs pour obtenir un avis, qui n’est peut-être plus spontané, mais qui gagne en authenticité. « Notre but, chez Custplace, c’est justement d’aller chercher la majorité silencieuse satisfaite du service des marques, et de dépasser la minorité bruyante qui trolle. On est dans une démarche qui mixe spontanéité et solicitation. »

Guilhem Fouetillou soulève des exemples de notation qui permettent de dépasser le manichéisme : « sur Airbnb, vous pouvez voir ce qu’on a écrit sur vous uniquement si vous mettez également un commentaire. Vous jugez la personne chez qui vous allez, mais elle-même vous juge. »

Une hybridation entre parole d’expert et parole spontanée ?

Pour Kevin Mellet, il y aurait même une perte de vitesse de la parole spontanée au profit d’avis éclairés : « sur La Fourchette, il y a une vraie culture de l’évaluation qui s’est mise en place, on n’est plus dans une forme d’expression spontanée. Le site fait découvrir des nouveaux restaurants à ses contributeurs. Alimenter en retour le site en évaluant les restaurants de façon honnête ferait ‘partie du contrat’ tacite qui lie l’internaute à la plateforme. »

« La bataille entre le guide Michelin et Trip Advisor, c’est peut-être bien Michelin qui est en train de la gagner » souligne Guilhem Foueltillou, « il y a de plus en plus de besoin et d’attente pour la hiérarchisation des avis. La parole de l’expert est en train de revenir. » Kevin Mellet rappelle en effet le malaise chez nombre de restaurateurs, pour qui le jugement des consommateurs peut se révéler illégitime : « parfois, un consommateur peut simplement ne pas aimer un met, ce qui se traduira dans les commentaires par ‘c’était mauvais’. Ce qui ressort des entretiens avec les restaurateurs, c’est qu’ils ont sans arrêt la boule au ventre, angoissés par les avis faux et/ou négatifs. »

Guilhem Fouletillou rappelle enfin une initiative venue d’Amazon, qui sollicite ses clients pour qu’ils répondent aux questions d’autres clients potentiels. Une manière de mixer la spontanéité de l’avis en ligne avec le regard expert de l’avis éclairé.

Les rôles de l’avis des consommateurs

Le rôle joué par les avis en ligne ne se limite pas au guidage des consommateurs. Pour Kevin Mellet, particulièrement dans la restauration, ces avis sont devenus un outil de management et de monitoring pour les gérants, et ont permis à de nombreux restaurants d’accéder à une évaluation auparavant réservée à une élite. Avec des résultats qui peuvent être surprenants. Et le chercheur de citer le cas d’une inversion de hiérarchie sur Trip Advisor à Honfleur, où le restaurant étoilé le SaQuaNa n’arrive qu’en deuxième position après un autre restaurant, l’Assiette des Mondes, qui aurait dû logiquement arriver derrière le restaurant étoilé. Si la situation a changé depuis, ce fait rappelle que les consommateurs ont tendance à valoriser autre chose que la gastronomie et le professionnalisme du restaurant, comme le font les inspecteurs du Michelin : « les internautes privilégient la qualité de l’accueil, ils veulent être reçus comme un ami d’ami dans un restaurant », ce qui modifie en conséquence les comportements des restaurateurs.

Les avis des consommateurs vont en outre permettre à un gérant de surveiller ses employés, ou encore de déceler des problèmes au sein de son entreprise. Kevin Mellet soulève le cas d’un patron de restaurant qui lui aurait confié qu’il n’avait plus besoin de ‘fliquer’ ses employés, les clients Trip Advisor jouant désormais le rôle de surveillants, et se plaçant donc dans un rôle de management.

E-réputation vs. Bouche à oreille

Guillaume Laporte, directeur marketing chez PagesJaunes soulève le problème que pose l’e-réputation pour des Très Petites Entreprises (TPE), peu au fait des rouages de l’évaluation en ligne : « l’alerting, ça leur fait très peur. Un artisan qui voit ses services évalués en ligne, il panique. Ce qu’on cherche, chez SoLocal, ce sont des outils et des techniques pour piloter l’évaluation en ligne des TPE. Et aujourd’hui, il n’existe pas (encore) de telles solutions ». Il continue : « Un des conséquences de l’alerting chez PagesJaunes c’est : ‘allo PagesJaunes ? Je ne veux plus d’avis sur mon compte’ ». Un retour au bon vieux bouche à oreille paraît toutefois utopique. « C’est toujours celui qui est le mieux référencé et le mieux noté qui fait plus de business, y compris chez les artisans », conclut Guillaume Laporte.

Les petites structures et les TPE sont en effet très vulnérables à l’évaluation en ligne. « Plus la marque est grosse, plus l’effet big data permet de lisser » affirme Guilhem Fouetillou. « À l’opposé, on a travaillé pour un hôtel dans une ville de cinq cents habitants, dont l’e-réputation avait été pourrie par un concurrent qui avait demandé à ses proches de commenter négativement l’hôtel en question. Les structures de ce type sont désemparés face à ce type de problèmes. »

Quelles solutions pour ces petites structures ? « Le point de départ, c’est que ces artisans n’ont pas le temps ni les moyens de gérer ce sujet » souligne Nicolas Marette, « il est toutefois possible de déréférencer automatiquement des avis négatifs sur notre plateforme, ce qu’on fait par exemple lorsque la marque est associée à des mots comme ‘voleurs’ ou ‘escrocs’. L’automatisation n’apporte pas une satisfaction complète, mais elle apporte au moins une réponse partielle. »

Pour Guilhem Fouetillou, la réponse tient dans la formation : « à l’échelle des petites structures, il y a un enjeu de formation pour les accompagner à monitorer et gérer les évaluations en ligne. Cette formation peut tout à fait être réalisée par SoLocal pour leurs clients. »

 

Une session co-organisée par :

Logo-smc-1

Retrouvez également nos articles sur le blog du SMC sur Zdnet :

ZDNet-partenriat-SMC