transparence

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Déc

Wikileaks : le sens de l'histoire

wikileaks, we halp you safely get the truth out

Depuis quelques mois déjà, on entend beaucoup parler des fuites Wikileaks. Un organisme dont le but est de rendre publiques des informations secrètes qui concernent des pays considérés oppressifs. La manière dont l’organisation se défini sur son site est à ce titre édifiante :

« Our goal is to bring important news and information to the public. We provide an innovative, secure and anonymous way for sources to leak information to our journalists »

Et de continuer en s’appuyant de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’organisation justifie son action en précisant des principes fondateurs :

« the defence of freedom of speech and media publishing, the improvement of our common historical record and the support of the rights of all people to create new history. »

Autant dire que la posture dans laquelle se place Wikileaks semble louable par bien des aspects et se situe d’emblée dans une mission de service public et citoyen.

War Logs et Cable Gate : des fuites sous couvert d’anonymat

war logs owni

Cet été Wikileaks, relayé sur le Guardian et Owni, dévoilait toutes les bavures des différentes forces d’occupation en Afghanistan via les War Logs. Ces fuites protégeant l’anonymat des sources mettaient sérieusement en question la présence de forces militaires sur le sol Afghan. Plus tard, en octobre, vint le tour des Logs Irakiens et enfin plus récemment, le fameux Cable Gate rendant public des télégrammes diplomatiques classés top secret. S’appuyant sur différents médias et relayant ses informations sur les réseaux sociaux, Wikileaks a réussi à susciter une véritable effervescence (pour ne pas dire « ramdam ») autour de ces fuites et en France, c’est Owni qui, en premier, s’attacha à publier ces Logs faisant ainsi de Wikileaks un thème de prédilection dans ses colonnes. Des titres de la presse internationale sont aussi concernés par cette médiatisation (dont Le Monde), les journalistes accomplissant un travail de publication d’informations leur ayant été transmises et les utilisant dans le cadre de la réalisation de leurs articles. Le simple mot-clé « Wikileaks » tapé dans la barre de recherche de certains titres donne accès à pléthore d’articles portant sur telle ou telle figure diplomatique constituant ainsi des ressources journalistiques en abondance.

Beaucoup ont été ceux dénonçant un manque de professionnalisme des journalistes et pointant du doigt ce qu’il voyaient comme un vol et une entrave à la sécurité de la part de Wikileaks. Les réactions des institutions nationales et internationales sont à ce titre évocatrices : de la simple gêne à la poursuite en justice, on voit ici que Wikileaks amène les institutions à repenser leurs méthodes de communication internes (on parle même d’un retour au papier !).

Mais l’objet de ce billet n’est pas d’entrer dans ces considérations éthiques dont nous n’avons bien évidemment pas la légitimité au Social Media Club. Ce qu’il est intéressant de faire, ce n’est pas tant de l’arbitrage entre les différents points de vue mais bien plutôt de questionner ce phénomène des fuites au regard des mutations du paysage médiatique et d’imaginaires accompagnant les usages d’Internet et des médias sociaux. En effet, nous pouvons supposer que de telles fuites s’inscrivent dans un répertoire d’usages des technologies digitales appelant un véritable questionnement à chacun.

Un enjeu de transparence qui impose le positionnement de chacun

Bien au-delà du vol, c’est en effet ici la question de la transparence qui est en jeu. Avec ces fuites qualifiées « d’historiques », les institutions et les cellules gouvernementales se sont trouvées au pied d’un obstacle nouveau à prendre en compte dans leurs évolutions futures.

Wikileaks logo

Dans les mots qu’elle utilise, Wikileaks se positionne dans un imaginaire de la transparence, à l’image d’Internet : l’on peut tout savoir tout le temps. Partant de ce postulat, l’exposition du secret défense aux fuites ne pouvait tarder. On peut s’en émouvoir mais cette affaire va en quelque sorte dans le sens de l’histoire. Les discours accompagnant la construction des « autoroutes de l’information » présageaient de tels usages et apportaient leur lot d’imaginaires si bien décrits par Patrice Flichy.

Avec l’Internet vient tout un répertoire de technologies supposées faciliter les communications et encourager à la transparence (e-mail, chats, forums, réseaux sociaux…) entre des personnes géographiquement éloignées. Ce répertoire va d’ailleurs en grandissant (géolocalisation, social gaming). Qui en effet ne se sent pas protégé, anonyme derrière son écran d’ordinateur, pensant parler librement, pouvoir publier ses états d’âmes et son quotidien ou dans un cadre plus extrême menant des actions politiques ?

anonymousL’idée que l’on se fait de la transparence a été progressivement façonnée par les réseaux et construite comme une injonction à tout dire : le « Exprimez-vous » de Facebook ou encore le « What’s happening? » de Twitter, tous les deux inscrits dans un champ de publication, fonctionnent comme des guides à l’usage, un espace où l’on écrit ses états d’âme, où l’on publie ce pour quoi l’on s’intéresse dans le cadre d’un entre-soi réticulaire alimenté par les publications de chacun et visible par les membres du réseau (potentiellement tous les Twittos dans le cas de Twitter). Dans un cadre plus particulier, cet imaginaire de la transparence a été largement utilisé pour mener des actions politiques. L’Iran est un cas notoire abondament discuté autour des tables du SMC. Ici, les activistes jouent sur la transparence du réseau pour faire passer leur message : l’information est supposée se répandre à l’image du réseau, sous forme de flux ouverts alimentés par chacun. L’injonction à la transparence se fait dans le cadre d’usages politiques, usages néanmoins sujets à contrôle étatique, l’euphorie de la transparence se trouvant alors tout à fait relativisée. Malgré tout, l’activisme (ou « hacktivisme » pour paraphraser Olivier Blondeau et Laurence Allard) semble avoir trouvé un créneau d’expression. Citons aussi le cas des Anonymous qui focalisent leur action autour d’un imaginaire de l’anonymat et font de la transparence un outil à part entière : le niveau technique des Anonymous leur permet en effet de mener des actions de ciblage sur des personnes ou des institutions identifiées via des moyens techniques complexes. La transparence est ici le cœur de leur action, action paradoxale si l’en est car eux mêmes se cachent derrière l’anonymat, jouant par là même sur un deuxième niveau d’imaginaire. Toujours est il que tous ces usages manifestent l’appropriation par les citoyens d’une conception de la transparence façonnée par l’usage des réseaux. Ainsi, face à la montée en compétence technique des citoyens s’impose une nécessaire refonte des usages officiels du réseau.

Vous l’aurez donc compris, ce billet est loin d’être une injonction à la transparence ou une critique de la transparence, d’autres s’en chargent. Ici, ce qu’il faut voir, c’est un état des lieux, un moment que l’on pourrait qualifier d’historique, un moment où les réseaux secrets ne sont plus assez protégés contre les fuites et où l’inter-net (l’inter connexion des réseaux) rend ce secret exposé à une publicisation massive.

En jouant sur la construction de ces imaginaires et sur l’histoire collective, dans ce processus d’ouverture des données, Wikileaks s’inscrit bel et bien dans le sens de l’histoire et parvient à susciter un questionnement profond aussi bien du côté des institutions que du côté des journalistes. Une autre question vient alors se greffer à cette réflexion, celle de l’avenir du journalisme dans un monde de réseaux et de flux, question largement débattue autour de nos tables.