[Compte rendu] Réseaux sociaux et pratiques artistiques

Le Social Media Club France s’est penché hier soir sur la question de la pratique artistique dans le cadre des réseaux sociaux. Il s’agissait de dépasser notre domaine de réflexion traditionnel. La dimension professionnelle du digital ne doit en effet pas éclipser sa dimension artistique, si il y a LinkedIn pour les professionnels, il y a aussi DeviantArt pour les artistes, nous rappelait Bertrand Horel dans son introduction de la séance.

Les pratiques artistiques existantes se déplacent progressivement sur le média digital en le prenant à la fois comme un moyen de promotion des oeuvres mais aussi comme objet même de la pratique artistique, comme matière créative.

Emmanuel Mahé, chercheur en sciences de l’information et de la communication, spécialiste des rapports entre innovation technique et arts numériques, publiant sur le blog http://decalab.blog.lemonde.fr/, a ouvert la discussion par un propos introductif soulignant la fibre innovante des artistes. Pour lui, l’artiste anticipe les usages sociaux des dispositifs techniques qui l’entourent en les détournant avant l’heure. Les artistes ont en eux les germes de l’innovation, ils s’approprient la technique et la technologie en les enrichissant. Il faut voir l’art comme de l’anticipation et donc comme potentielle matière pour la R&D et les industries.

Références :

>> L’Homme à la Caméra (1929) de Dziga Vertov développe la théorie de l’œil caméra. Il faut voir cette œuvre comme une préfiguration et une mise en scène des pratiques de vidéosurveillance et de reconnaissance des formes contemporaines.



cube n°8 Piotr Kowalsk>> Cube n°8 présenté en 1967 par Piotr Kowalski comprend un système de capteurs de mouvement pour constituer une œuvre qui évolue en fonction de la position du spectateur. Cette installation propose une forme radicale qui questionne la technologie et préfigure l’innovation.


Nam June Paik Violoncelle>> L’œuvre de Nam June Paik dans les années 1960 et 1970 est très significative en terme d’usages. La vidéo est ici un élément moteur dans la pratique artistique. L’artiste a ici inventé un dispositif : un violoncelle qui film la scène, jouant ainsi de la multiplicité des points de vue. Par ce travail, Nam June Paik a inventé le synthétiseur vidéo, que l’on retrouve quelques années plus tard dans les clips musicaux et préfigure les interfaces tactiles d’aujourd’hui.


>> En installant des caméras dans la ville, Allan Kaprow met en scène les forums et les chats que nous connaissons aujourd’hui. Il a créé un réseau de vidéos en permettant aux passants de communiquer entre eux à distance et en direct, brisant ainsi les modes de diffusion classiques de la télévision où l’émetteur s’adresse à une masse. Ici, émetteur et récepteur agissent au même niveau, comme sur un forum, comme sur les réseaux sociaux. L’artiste, dans sa volonté de briser des codes préfigure des pratiques qui seront légion des décennies plus tard. Pour plus de détails, consulter, L’Art en Réseau : du net-art à la participation à une œuvre collaborative en ligne http://www.maisonpop.net/IMG/reseau2-2.pdf


SMS Guerilla par Stroika>> SMS Guerilla par le collectif Stroika en 2002 était un dispositif servant à projeter des SMS dans l’espace public. Quelques années plus tard, Texas Instruments reprend le concept en concevant un mobile intégrant un vidéoprojecteur.





Le travail du collectif Stroika a aussi inspiré faberNovel qui s’en est servi dans un cadre professionnel afin de repenser les méthodes de travail. Il s’agissait de projeter des SMS durant les réunions.


Aujourd’hui, ces pratiques ont donné naissance à la conception d’interfaces intangibles pour les claviers de mobiles mais aussi à la réalité augmentée constituée de formes qui réagissent à l’environnement. à The Augmented Sculpture Project de Pablo Valbuena :



Le réseau devient un moteur de création, la R&D devient de la R&C (recherche et création).


Elliott Lepers, présentateur de la web-émission L’œil de Links qui s’intéresse à la création émergente sur internet où le réseau est à la fois matière créative et vecteur de diffusion. D’autre part, avec les nouvelles plateformes de diffusion telles que Youtube, de nouvelles sources de financement de l’art émergent.

En revanche, l’art véhiculé par les réseaux sociaux devient une forme mutante, constamment remixée et réutilisée si bien que parfois, l’on tend à s’éloigner de l’art à proprement parler (voir à ce titre le folklore digital).

Les détournements sont légion sur le web et le braconnage des usages fait ainsi office d’inspiration pour les pratiques artistiques.

Références :

>> Merton, en improvisant sur Chatroulette a transposé la figure de l’artiste de rue sur le réseau.



>> Attack of the Moon Robot, casting de cinéma sur Chatroulette, est un autre exemple de transposition des pratiques artistiques sur le réseau, dans un esprit décalé.



>> Eric Whitacre a quant à lui constitué une chorale qu’il dirigeait à partir d’une video Youtube.




>> Bicycle Built for 2000 d’Aaron Koblin, figure majeure du net-art, demande à des internautes de chanter une note pour ensuite constituer une œuvre audio à part entière.

>> The Johnny Cash Project, consiste à réaliser un clip à partir de contributions de différents artistes.

>> Star Wars Uncut propose à chacun de refaire des scènes de la saga avec ses propres moyens.

>> Global String d’Atau Tanaka est une expérience de musique en réseau où le son varie en fonction de la caisse de résonnance du réseau.

Il y a ainsi des appropriations du réseau et des outils de mise en réseau pour l’élaboration d’œuvres. La création de nouvelles formes est la force du réseau. Mais François Berthier remarque que trop souvent, l’installation artistique devient plus importante que l’œuvre en elle-même. L’attention se focalise sur la forme plus que sur le fond.

Tous ces exemples montrent néanmoins que le net-artiste est aujourd’hui aussi un développeur, un technicien qui sait manipuler son environnement communicationnel pour le détourner. En revanche, dans les écoles d’art, peu de formations ouvrent les étudiants à ces nouvelles pratiques. Il n’y a que peu de connaissance sur le cœur même de l’internet.



François Berthier, photographe professionnel a lui utilisé le réseau pour établir sa pratique professionnelle. La conception du photographe dans les imaginaires est en train de se déplacer. Le photographe est bon si il sait se servir du réseau. Au départ, François Berthier s’est servi de Myspace pour se constituer un réseau et pratiquer son art. Le réseau facilite en effet les rapports, ouvre aux appréciations, il brise l’inhibition, rend plus facile le contact mais rend surtout la comparaison et la concurrence plus visibles.

En fonction du statut du photographe, la présence sur tel ou tel réseau fait sens et contribue à l’identification du photographe. La crédibilité se fait en fonction du réseau choisi et les professionnels migrent régulièrement. « La professionnalisation c’est sortir du réseau » et ce qui reste malgré tout très important, c’est de se constituer un réseau physique.



Arbia Smirti, fondatrice de Carnet de Mode, est intervenue en fin de séance : Carnet de mode est un service de crowdfunding pour le prêt à porter haut de gamme. C’est de l’investissement en faisant du shopping : il faut atteindre un certain nombre d’achat pour commercialiser le produit. Les pièces à succès sont mises en vente et les premières acheteuses bénéficient alors d’un retour sur investissement. Les gens qui participent anticipent un futur succès.

Ici, il y a la constitution d’une conversation entre le créateur et les fans, un réseau social centré sur la création.