La playlist, le storytelling de la musique, par Ludovic Jokiel

La playlist, le storytelling de la musique, par Ludovic Jokiel

Les durées des oeuvres musicales commercialisées ont réduit de façon significative dans l’histoire. De plusieurs heures de musique nécessaires à Lully pour s’exprimer, la musique enregistrée ne donne plus que 72 min, plus ou moins 12 titres, soit un album aux artistes contemporains.

12 titres dont quelques échantillons (singles) qui servent de produit d’appel à l’album encore réduit en sonnerie de téléphone qui forment ainsi le niveau de rentabilité maximale de la musique : durée de composition réduit / prix de vente haut / distribution facile.

Une musique fluide sur le réseau qui perd de son sens

En se réduisant, l’oeuvre musicale devient fluide sur le réseau, elle gagne en diffusion ce qu’elle perd en contenu, en rythme et sans aucun doute en sens. Tandis que les singles traversent la toile, l’album, lui, reste au clou. Et avec l’album une forme d’organisation de l’histoire musicale que forment la “playlist”.

L’oeuvre mise à disposition sur la toile se fragmente. Elle perd son sens de lecture ainsi que les signes qui peuvent permettre de la comprendre (crédits divers, photo ou texte)… La musique se retrouve nue.

De temps à autre l’album est reconsidéré quand les auteurs deviennent des légendes et que l’on trouve finalement les clefs pour appréhender l’ensemble. On pourra se souvenir par exemple du flop de  “Melodie Nelson” (S. Gainsbourg) au moment de sa sortie et sa récente redécouverte.

L’univers numérique à très bien intégré cela et aborde cette colonne vertébrale de façon centrale dans le développement de services liés à la musique (Spotify, Peachr, deezer etc…) en transférant ce droit des artistes (et des diffuseurs) à l’ensemble des internautes. Ainsi, “monsieur tout le monde” restructure les albums autour de son univers musical, mélangeant les auteurs, les époques et les sources. Il crée ainsi un nouveau message différent de celui des auteurs initiaux, qui affaibli ou enrichi le propos pour l’émettre vers sa propre sphère d’influence.

Ainsi les auditeurs de deuxième niveau, ceux qui écoutent les playlists de leurs amis, seront bien incapables d’identifier une oeuvre dans l’espace ou le temps.

Insuffler un nouveau sens de lecture

L’auteur y gagne alors une notoriété en même temps qu’il y perd en diffusion de son message artistique vers ses auditeurs, et reste en retrait par rapport a la constitution de son histoire (légende ?).

Grâce à de nouveaux modèles applicatifs, l’auteur peut néanmoins recentrer son “storytelling” voir l’enrichir. Les applications autonomes peuvent être des solutions techniques et le webdocumentaire un mode de narration possible, car il inclut du film, de la musique, du texte, du graphisme, et donne une nouvelle épaisseur à l’expérience musicale. On rassemble les éléments publiés de façon éparses, on ordonne les médias dans le temps… On redonne enfin une forme d’histoire à l’auditeur, qui cherche a présent des jalons dans la masse d’information autour des artistes.

Ludovic Jokiel

A propos de l’auteur :
Ludovic Jokiel est co-fondateur du site Stufftrack.org (site de développement d’artiste) ainsi que producteur audio. Il travaille depuis une dizaine d’année sur le croisement entre la musique, la télévision, le cinéma et les nouveaux médias.



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