De l’expérience utilisateur à l’expérience inutile

 

 

L’expérience utilisateur est une composante essentielle de la navigation sur le web ; elle va définir le rapport de l’internaute au site, sa satisfaction et sa fidélisation. Cette expérience est la combinaison de nombreux paramètres qui interagissent constamment : temps de chargement de la page, ergonomie du site, fonctionnalités disponibles, qualité des médias proposés, notamment la vidéo, fluidité de la navigation…Au final l’internaute va considérer que cette expérience est satisfaisante, gratifiante… ou pas. Cela déterminera notamment sa propension à revenir dans la durée sur un site donné.

Dans le cas des médias sociaux cette problématique est encore plus importante : en effet mon expérience dépend non seulement de mon propre ressenti, de mon propre jugement, mais aussi de celui de l’ensemble des personnes et des groupes avec lesquels j’interagis (amis, « followers », cercles..). Si à un instant t une partie de ma « communauté » se détourne du média ou l’utilise moins parce que son expérience est moins pertinente, l’intérêt que j’y trouve va lui-même diminuer et je risque aussi de m’en détourner. C’est le versant négatif des logiques d’externalité de réseau, dont la loi de Metcalfe est une illustration simple « L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. ». En outre la nature même des réseaux sociaux implique que chaque évolution de leur interface et de leurs fonctionnalités est immédiatement diffusée, commentée, amplifiée ; dès lors  tout changement qui affecte l’expérience utilisateur sur ces réseaux est potentiellement très risqué pour ses promoteurs.

Prenons l’exemple des changements opérés il y’a quelques jours par Facebook avec notamment l’introduction de sa « timeline » : que se passe-t-il ? Vous vous connectez un matin sur votre page FB, joyeux et confiant, et là vous voyez que des choses ont changé. La première réaction est la surprise (« tiens on ne m’a pas prévenu, qu’est-ce que c’est ? »). La deuxième réaction va sans doute être plus proche de l’agacement (« mais c’est quoi cette colonne à droite qui me gêne ») et elle va sans doute évoluer vers l’énervement (« mais bon sang COMMENT je fais maintenant pour enlever ce bloc »). Bon vous n’avez pas le temps d’étudier cette nouvelle interface dans le détail, vous laissez tout ça de côté, regardez quelques posts et puis vous vous déconnectez. Vous êtes morose et désabusé. Quand vous revenez sur le site un peu plus tard dans la journée un flot de commentaires négatifs sur ces changements apparaît dans le fil d’information (les commentaires positifs sont rares voire inexistants, même si les gens sont peut être globalement satisfaits) qui ne font que renforcer votre première (mauvaise) impression. En outre pendant quelques jours vous allez sans doute ne pas retrouver les fonctionnalités qui vous intéressent, les outils que vous utilisiez instinctivement, voire faire des erreurs de paramétrage qui vous empêcheront  d’accéder à vos contenus habituels. La perception globale que vous retirez de tout cela n’est pas bonne !

Or ici il y’a un paradoxe ; si Facebook a introduit ces changements on peut penser qu’ils le font car ils pensent que l’expérience utilisateur va être meilleure. Il y’a eu sans doute des focus groups, des tests ergonomiques et fonctionnels, des retours d’expérience…mais la façon dont ces changements sont  effectués semblent montrer au contraire une certaine désinvolture à l’égard de l’internaute. Tout d’abord il n’a pas été averti de ces modifications, il les découvre en live, une fois effectuées. Ensuite on ne lui propose pas de décider si ces changements il les veut, ce qui lui laisserait le choix de rester sur la version actuelle du site. Enfin le retour à l’état antérieur paraît très compliqué et rien n’est fait pour lui expliquer comment faire. Absence de communication, politique du fait accompli, complexité accrue à court terme…le changement est alors perçu comme inutile et anxiogène.

Au final l’utilisateur va sans doute s’habituer à cette nouvelle version et peut être en sera-t-il content, mais le fait qu’on lui impose systématiquement et automatiquement des changements, alors qu’il a investi du temps et des ressources pour maîtriser le site, va évidemment altérer la relation de confiance qu’il a avec celui-ci. Ainsi les changements invisibles, notamment sur les paramètres de confidentialité,  auxquels il ne prêtait pas attention auparavant, vont peut être même devenir un enjeu pour lui. « Si on ne fait pas attention à moi de façon visible, que se passe-t-il dans l’arrière cour » ? ». Quelle que soit l’appréciation finale qu’aura l’utilisateur sur cette nouvelle expérience une occasion aura donc été manquée pour tisser un lien fort et positif avec l’internaute.

Tout cela nous enseigne une leçon : non seulement les changements apportés à l’expérience utilisateur doivent être réellement utiles et pertinents mais il faut aussi que l’internaute se sente associé à ces changements. Il doit être prévenu et non pas les découvrir, on doit les lui expliquer (« à quoi ça sert ») et si possible dans sa langue, il doit éventuellement pouvoir les refuser, et enfin il doit pouvoir les modifier facilement. L’enjeu ici est bien que l’expérience utilisateur ne devienne pas une expérience inutile.