Les pratiques participatives des sites d'information : compte-rendu de la session du 18 octobre 2011

Retour sur cette table ronde animée par Julien Jacob pour faire l’état des lieux des pratiques participatives des sites d’infos en ligne. Cinq professionnels sont venus nous présenter le fonctionnement participatif de leur site : Simon Decreuze de l’Atelier des Médias, Benoît Raphaël pour Le Plus du Nouvel Obs, Philippe Checinski de Citizenside, Yann Guégan de Rue89 et Benjamin Smith pour Wikipédia.

Les points saillants de cette session :

  • Accompagner, organiser et vérifier les contributions : le participatif est une activité journalistique à part entière.
  • C’est l’envie, parfois le besoin de témoigner qui priment chez les contributeurs, plus que la volonté d’une rémunération : les contenus issus du participatif tendraient vers une « démonétisation ».
  • Une pratique qui semble émerger : au-delà du participatif, de « l’invitatif » ? Inciter les plus discrets des anonymes, en les formant (l’Atelier des Médias), en allant les chercher (Le Plus) ou en développant la panoplie des rôles proposés (Rue89).

 

Simon Decreuze, l’Atelier des Médias

L’Atelier des Médias, c’est d’abord une radio, fondée par Philippe Couve, qui en 2007, a voulu créer une vraie communauté. La plateforme (portée par Ning) compte aujourd’hui 10 000 membres, qui ont dû s’inscrire pour éviter les spams. La publication se fait librement. Seules les photos et vidéos sont vérifiées. Les articles et le forum, libres d’utilisation, n’exigent quasiment pas de modération : la communauté de l’Atelier des Médias rassemble des internautes motivés, intéressés, peu enclins aux attaques personnelles ou aux diffamations.

Quant à Mondoblog, l’initiative est née d’un constat : les auditeurs de RFI, issus à 90% de l’Afrique francophone, étaient tout aussi motivés pour bloguer. Mais entre les problèmes de connexion et une écriture pas toujours adaptée, la qualité n’était pas toujours au rendez-vous. Une formation a été proposée à Dakar et Yaoundé pour les 20 blogueurs les plus motivés. Objectif : leur donner les méthodes et les moyens pour s’exprimer sur le web. Mondoblog est né sous la forme d’une plateforme de contributions. Ce projet n’avait pas  pour vocation de former des amateurs, mais il s’est progressivement orienté vers un accompagnement d’une communauté particulièrement active et motivée.

Mondoblog est aujourd’hui un portail qui distribue ensuite l’audience vers une centaine de blogs, développés eux sous wordpress. Les articles en ligne sur Mondoblog ne sont pas directement publiés par leurs auteurs. Les journalistes de l’Atelier des Médias les valident et mettent en forme avant de les répartir sur la home.
Mondoblog a permis l’émergence d’une blogosphère francophone forte, vivante. Certains blogueurs publient deux articles par jour. Même pendant la crise en Côte d’Ivoire, le rythme est resté inchangé, la qualité aussi : parmi les contributeurs, il y en a qui proposent du vrai journalisme, factuel, sans parti-pris.

 

Benoît Raphaël, Créateur de Le Plus du Nouvel Observateur

Si la participation était délibérément « populaire » sur Le Post, elle l’est beaucoup moins sur le Plus qui se veut « axé sur du CSP+ », tout en proposant une ligne « accessible ». Avec Le Plus, Benoît Raphaël a mis en application son credo : le participatif est une activité journalistique à part entière. C’est au journaliste de mettre sur le devant de la scène ce qui doit l’être, quitte à aller chercher ceux qui ne s’exprimeraient pas d’eux-mêmes.
Les journalistes du Plus (4-5 journalistes, 7 jours sur 7) ont pour mission de proposer la parole à des « experts du quotidien » pour sortir de la redondance des médias traditionnels. Il s’agit typiquement des personnes qui n’ont pas le temps de bloguer précisément parce qu’elles sont prises dans une « quotidienneté » : l’agriculteur saura mieux que personne expliquer aux lecteurs les causes et les enjeux d’une sécheresse. Mais il n’aura ni le temps ni forcément l’écriture pour le faire. L’équipe du Plus l’interviewe, en sort un verbatim qui est transformé en article, écrit à la première personne.

Si le Post avait volontairement évacué les critères d’écriture journalistique pour encourager les quidams à écrire, la démarche du Plus se veut aussi ouverte, mais plus qualitative.
Chaque matin, la conférence de rédaction fait le tour d’horizon des propositions et les confronte aux sujets contingents à l’actualité : ce sera cinquante-cinquante. C’est l’équilibre à conserver pour que les articles d’actualité amènent suffisamment d’audience pour vendre les contenus plus originaux, les idées nouvelles. Le leitmotiv : « autant d’anonymes que de personnalités parmi les contributeurs pour les mettre au même niveau ». L’équipe vérifie chaque article avant publication, stocké sur l’espace personnel de l’inscrit (qui aura dû passer par Facebook pour s’authentifier). En attente en mode « brouillon » donc, Google ne peut pas le trouver avant qu’un journaliste l’ait relu.

De cette façon, les auteurs d’article voient vraiment ce que leur article va rendre. La plateforme est très dynamique et facile d’utilisation. Le but étant d’investir un maximum les contributeurs, qu’ils ne se sentent pas devant un mur, comme cela peut être le cas sur Agoravox où l’on ne sait pas ce que va devenir une proposition de papier.

Les journalistes du Plus valident entre cinq et dix articles par jour, après un gros travail de vérification. Chaque article est signé par son auteur (ou « interviewé »). Figure également la mention « édité par » pour signaler que l’article a été vu par la rédaction du plus. Quant à la mention « parrainé par », elle apporte une gradation, une caution supplémentaire.
Quelle est la part de retouches par les journalistes ? Elle est très variable d’un contributeur à l’autre. Il faut parfois ré-angler le sujet. Même lorsqu’un article est bien écrit, il reste à travailler le référencement et le positionnement sur Google News avant de le publier.

Le Plus s’est positionné sur la qualité et non la quantité : c’est l’engagement et la valeur des contributeurs qui priment. Les quatre journalistes qui supervisent les publications des contributeurs ne produisent pas plus de contenu qu’une équipe de quatre rédacteurs. En revanche, ils coordonnent une diversi
té de témoins, anonymes ou blogueurs qui ensemble apportent une richesse et une diversité de thématiques uniques.

 

Philipe Checinski, Co-fondateur de Citizenside

Citizenside est né en 2006 et se pose en pionnier du participatif. Avec l’avènement du smartphone, le pari a été pris que chacun aurait un appareil photo en poche : une plateforme de publication de photos et vidéos amateurs est mise en place. Depuis, l’équipe (5-6 personnes) a développé des outils technologiques pour vérifier l’authenticité et la qualité des contenus, en plus d’une équipe de journalistes qui vérifie chaque image. Seule une frange de contributeurs, « certifiée » par des années de publication, est autorisée à publier « sans filet ». Cependant «les contributeurs prennent l’habitude de capturer le nom de la rue et l’heure pour authentifier leurs contenus ».

Pour ce qui est du financement, chaque contenu proposé par Citizenside est achetable par les médias (magazines et presse nationale comptent parmi les clients). Le site reverse ensuite au contributeur entre 50 et 65% de la transaction, qui est généralement fixée entre 200 et 250€… même si certaines transactions, comme celle de la vidéo de la garde à vue de Kerviel ou plus récemment de Galliano ont atteint des sommes records.

Des partenariats viennent stabiliser ce modèle économique. Notamment avec l’AFP qui revend une partie des contenus de Citizenside. Activité importante également : les technologies développées sont revendues en marque blanche sur d’autres médias, comme BFM ou le Parisien qui appellent au témoignage photo et vidéo sur leur site. Ce qui a fait tripler le volume de contenus proposés chaque jour.

Depuis peu, un système de « gaming » vient récompenser l’activité des contributeurs sur la plateforme, à travers un système de badges : depuis « apprenti » jusque « rédac-chef ».
Le débat intarissable sur la qualité des contenus amateurs n’a pas lieu d’être pour Philippe Checinski. Les contributeurs amateurs sont même davantage investis, « prêts à enfiler un casque de moto pour s’approcher d’une émeute et témoigner ».

Pour engager plus encore ses contributeurs, Citizenside leur donne la possibilité de renseigner leur géolocalisation. L’équipe peut alors prévenir par email ceux qui se trouvent dans le plus proche rayon d’un fait à couvrir.

Concernant la législation, « le droit à l’info prime sur le droit à l’image ». L’auteur de la photo est crédité sur sa photo, sous son pseudo. L’anonymat est conservé même au moment de la transaction financière. Ce sont les éditeurs, les journalistes professionnels qui prennent la responsabilité de publier une image sans l’accord des gens qui y apparaissent.

 

Yann Guégan, Rédacteur en chef adjoint de Rue89

La V2 de Rue89 lancée à la rentrée 2011 répond à un souhait : donner un nouvel élan au participatif, en ouvrant plus encore ses possibilités. Ecrire un article, le commenter, le noter, contacter la rédaction : ce sont les actions qui étaient proposées jusque récemment… Des rôles encore trop limités aux yeux des fondateurs.
Au quotidien, seul 1% des lecteurs commentent les articles : la « majorité silencieuse », celle qui lit mais n’ose interagir, semblait hors d’atteinte pour l’équipe de Rue89. Aux origines de cette V2 donc, l’envie d’ouvrir la porte plus grande encore pour inviter les plus discrets à participer, qui ont très souvent plus de choses à raconter qu’ils ne le croient. L’idée était aussi de pallier le manque de réactivité de l’équipe sur les commentaires dont la gestion était très chronophage. Le modèle en tête : le système de « police » interne chez Wikipédia qui permet aux internautes ne souhaitant pas écrire de participer néanmoins à l’organisation des contenus.

A l’arrivée, Rue89 propose cinq rôles élargis :

  • Blogueur : est mis à disposition du contributeur un blog rattaché à la plateforme de rue89, pour les rédacteurs confirmés.
  • Veilleur : après avoir été certifié par l’équipe, le veilleur alimentera la rubrique « vigie » en signalant des liens.
  • Pilote de topic : ce contributeur organise une page qui deviendra référente sur un domaine précis.
  • Modérateur : les internautes les plus présents dans les commentaires peuvent se proposer pour appliquer et faire respecter la charte du site.
  • Correcteur/compléteur : un encart pour contacter l’auteur et l’éditeur est systèmatiquement accolé à un article quand le « coco » est loggé pour lui permettre de signaler rapidement une coquille ou de proposer un complément d’information.

Au sujet de l’élargissement des rôles endossés par les internautes, l’ensemble des intervenants s’accorde sur un constat : les contributeurs ne visent non pas la rémunération, ni même la publication (aussi appréciée soit-elle), mais avant tout le témoignage. Dans le cas d’événements forts, par exemple lors du tsunami ou au milieu d’une guerre civile, les internautes éprouvent un réel besoin de dire leur vécu, de témoigner, en acceptant que leur récit ou leur photo soit diffusés sans compensation.

 

Benjamin Smith, Administrateur de Wikipédia

Si Wikipédia relève davantage de l’encyclopédie que du site d’informations, il relève à 100% du participatif : aucun modérateur, aucun administrateur n’est rémunéré. Seules les personnes intervenant sur la partie technique sont salariées. Wikipédia ouvre grand la porte à qui voudra prendre en charge une tâche, même la plus mince : rédacteurs, correcteurs de coquille, « signaleur » d’erreur, « vérificateur » de modification récente sur un sujet chaud…

Les contributeurs peuvent agir sous un pseudonyme et n’ont aucune obligation de créer un compte. Les actions en seront simplement limitées. Tout internaute peut modifier un article. Des bénévoles vérifient les modifications. Une exception : sur un nombre limité de pages, qualifiées de « trollesques », seuls les administrateurs peuvent faire une modification. Libre à chacun en revanche de soumettre une modification à l’administrateur.

Concernant les personnalités ou les sujets chauds, le verrou « naturel » est la fréquence de consultation de l’article : les modifications indues sont vite repérées et signalées par les visiteurs sur la page « discussion ». Car chaque article est adossé à cette dite « page de discussion » qui permet d’indiquer une erreur. Sur des sujets polémiques, les débats peuvent y être tendus. La règle qui prime alors est que seule la forme peut être débattue.

Le plus difficile selon Benjamin Smith, administrateur, étant de faire la différence entre des trolls ou des personnes engagées par des opinions… et celles qui veulent réellement améliorer l’encyclopédie.
Deux labels ont été mis au point pour évaluer un article : « article de qualité » (976 sur la version française) et « bon article ». N’importe quel contributeur inscrit peut prendre part à ce vote.
L’interface d’édition semble être le seul frein au développement exponentiel de Wikipédia : inchangée depuis dix ans, elle effraie de potentiels contributeurs, car pas assez intuitive.