Chaire du divertissement numérique – Les applications de jeux sociaux sont-elles le signe d'une gamification ? – Compte-rendu de la session du 8/11

La dimension « casual » de Facebook et la massification des joueurs sur la plateforme sociale ont permis l’émergence d’une nouvelle industrie, celle des applications de jeux. Doit-on y voir une vraie rupture par rapport au monde du jeu traditionnel ? Ces productions répondent-elles à un nouveau modèle économique et à de nouveaux process ? Ou ne sont-elles qu’une excroissance du jeu vidéo ?
C’est autour de ces questions que le Social Media Club et IsCool Entertainment organisaient le 8 novembre un atelier de réflexion.

Pour débattre :

  • Thierry Platon de BIP Media, qui par son activité et son expérience appartient au monde dit « traditionnel » du jeu vidéo.

  • Alban Peltier, AntVoice, qui ne se considère pas comme un éditeur de jeux : si ses équipes « empruntent au monde du jeu ses codes et ses mécaniques, c’est pour les exporter sur Facebook à destination d’utilisateurs et non de joueurs ».

  • IsCool Entertainment se pose en intermédiaire : leurs productions convient de vrais joueurs et recourent à des mécaniques complexes héritées du jeu vidéo traditionnel, tout en intégrant les exigences du casual et du social.


L’achievement

C’est une dimension fondamentale : lorsqu’il a relevé un challenge, le joueur a besoin de voir son avancement dans le jeu, d’être récompensé. Selon Thierry Platon, l’achievement permet de fixer des bornes narratives, des stades à atteindre pour être récompensé par une arme plus puissante ou par l’apparition d’un nouvel adjuvant dans le jeu. Quand bien même les applications ludiques sur Facebook exploitent la notion d’achievement, « cela ne suffit pas à faire des jeux ». Cet acteur du jeu traditionnel met en cause les « achievements de métrique » qui n’améliorent pas l’expérience et relèvent davantage de la « collectionnite ». Les achievements de valeur permettent eux de faire avancer l’histoire en marquant une évolution dans la trame du jeu. Pour IsCool, la publication de l’achievement dans le fil d’actualités permet au joueur d’avoir un feedback de ses amis, donc de rendre l’expérience sociale en viralisant l’achievement auprès de futurs gamers… et donc d’augmenter le trafic.


Produire pour Facebook

Peu d’éditeurs de jeux traditionnels produisent des applications pour Facebook. Pour Thierry Platon, les éditeurs de jeux finiront par relever le défi du social, « une super meeting room pour joueurs », mais de façon progressive, car la crainte est encore grande. Alban Peltier explique pourquoi : les CGU de Facebook changent sans cesse, et la question de la monétisation est très douloureuse… Accepter de vendre un jeu à 75 centimes (ou de faire un jeu gratuit prochainement ?!) est impensable pour l’industrie traditionnelle. Le social et casual gaming peut sembler facile comparé aux jeux vidéos pour console… « alors qu’ils ne sont tout simplement pas en proie aux mêmes enjeux ».

Les compétences marketing sont sans doute le plus gros handicap de l’industrie traditionnelle pour qui ce type de métier n’a pas sa place au sein d’un studio de développement. Pourtant, selon IsCool Entertainment, le tournant social se fait avant tout au niveau RH : les process de création doivent être repensés pour incorporer des dizaines de métiers capables de travailler sur des devices et des plateformes très variés. Antvoice ne cache pas ses origines marketing : l’équipe, composée avant tout de marketers, se donne pour objectif d’occuper le « temps de cerveau disponible de l’utilisateur » en concurrençant le divertissement au sens large. Leur credo est de capter l’utilisateur durant son moment de détente, « ce que ne savent plus faire les éditeurs traditionnels, comme Nintendo, dont les joueurs se déportent vers Facebook ou les jeux pour mobile ». Si les « traditionnels » sont conscients du chemin qui leur reste à parcourir, ils n’en sont pas moins critiques envers les éditeurs d’applis qui se montreraient « peu novateurs ».


Le gameplay

Big Fish, plateforme mondiale dans la distribution de jeux dans le monde, recense plus de 14 millions de téléchargements chaque mois… pour des jeux vendus quelques dizaines de centimes d’euros. Pour Thierry Platon, ces productions relèvent du « niveau zéro du gamelplay ». Le marché casual semble avoir copié grossièrement les traits du jeu traditionnel dans le seul but de « faire des métriques virales ». Big Fish impose en effet des guidelines précises quant à la conception des applis… ce qui lisse totalement les productions de social gaming, faisant du marché un secteur sans relief ni franche originalité.
Chez Iscool Entertainment, on explique que les développeurs d’applis sociales peuvent avoir l’impression d’être retournés 20 ans en arrière car « le gameplay du casual ne se réinvente pas ». Il ne faudrait cependant pas y voir une régression, mais plutôt la conséquence logique de l’introduction du casual. L’homogénéisation et la simplification du gameplay des applis pourraient d’ailleurs être bientôt compensées par un effort technique avec de la 3D ou de la réalité augmentée.
Pour Alban Peltier, la spécificité du gameplay des applis sociales se joue surtout dans sa mise en place : le développeur d’applis doit travailler avec le community manager non en amont de la production, mais surtout après sa mise en ligne, en ajustant le gameplay en fonction des statistiques.


Le branding

Qu’apporte une marque à un jeu ? Pour Alban Peltier de Antvoice, la marque doit avant tout être perçue comme le moyen de nouer une relation particulière avec l’utilisateur car elle apporte avec elle tout ce qui la définit : son univers graphique, son historique… Pour IsCool Entertainment, le plus de la marque se situe surtout dans ses outils de community management : son approche de l’utilisateur est bien souvent « plus ciblée et conversationnelle ». Ses canaux de viralisation et de visibilité sont un atout non négligeable. Ceci dit, sur le long terme, « la création d’IP (intellectual property) reste le levier principal ».


La gamification

Finalement, la combinaison du « casual », du « social » et du « digital » semble faire évoluer le jeu vidéo plus qu’elle ne le redéfinit. Pour Thierry Platon de BIP Media, le digital permet d’innover en termes de business models, tandis que le social  fait bouger le marketing traditionnel. Pour ce qui est du casual, cet acteur du jeu vidéo traditionnel le perçoit surtout comme un abandon du travail sur le gameplay.
Pour Josselin Perrus, membre du SMC présent à la session et auteur d’un article sur la gamification, c’est la question de l’expérience plutôt que celle du jeu qui doit être posée : crée-t-on une expérience avec les applis de social gaming ? La dimension « sociale » ne va pas forcément de pair avec le « casual ». Un jeu socia
l peut être complexe, et peut aussi se faire en dehors des médias digitaux. C’est le game design qui définit l’essence même du jeu.
Alban Peltier d’Antvoice fait une différence entre le jeu et la gamification. La notion d’achievement n’est pas au cœur de la gamification : par exemple, sur les applications de rencontre en ligne, il n’y a pas d’achievement à proprement dit. C’est le modèle économique qui ferait la différence entre la gamification sur Facebook et la gamification sur les jeux traditionnels. Sur les plateformes sociales, il faut accepter de livrer un jeu à quelques centimes en misant sur un système de rémunération basé sur la viralité : d’où l’inscription dans le quotidien des utilisateurs, qui peut faire parler de gamification des plateformes, voire des usages.