Le "mobile", ça n'existe pas

Alors que tout responsable marketing ou digital se lève le matin en ne pensant qu’à ça, le point commun de la profusion de buzzword ambiants type SOLOMOTODACLO ou VULUSU est bien le « mobile ». Cet obscur objet du désir porte en lui l’évidence de son impérieuse nécessité et en même temps tous les ferments de l’échec. Car, j’ose le dire ici, le mobile, ça n’existe pas, tout au moins c’est une vue de l’esprit aussi dérisoire que perverse. C’est un trouble dont vous devez vous garder, autant que la grippe qui sévit actuellement.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase et m’amène à cette prose réside dans cette magnifique infographie sur le m-commerce. Elle résume bien la belle salade niçoise que représente la notion de « mobile ». Je cite :

> L’émergence de l’iPad
> Les sites optimisés pour mobile
> L’essor des applications mobiles
> L’échange en ligne de coupons de réduction
> La multiplication des QR codes
> La personnalisation des services mobiles
> La géolocalisation
> Le développement de la réalité augmentée
> Le lancement d’outils de reconnaissance vocale
> Ou encore l’application Price Check développée par Amazon

Yes ! … Reprenons :

> l’iPad est une tablette tactile dont les études d’usages montre qu’il n’a de mobile que le caractère portable, car il s’utilise généralement assis, généralement en lieu et place d’un ordinateur personnel qui est un instrument de travail et pas de loisir ou accessoire. Avec une tablette entre les mains, on ne travaille pas, on est dans une expérience décomplexée et légère de services numériques. L’autre victime est le téléviseur.

> Les sites ne sont pas optimisés pour mobile, mais pour toutes les nouvelles tailles d’écrans que les smartphones et tablettes ont introduit. L’ère du 1024×768 est révolue. Un site web doit s’adapter à la multitude d’écrans où il peut être dorénavant joué.

> Oui, les applications sont un changement profond dans la consommation de service, mais le caractère « mobile » reflète l’environnement technologique dans lequel elles s’inscrivent, iOS et Android notamment. Cela n’a aucun sens puisqu’une application est pensée pour un contexte d’usages et une gamme d’écrans (smartphone / tablette / PC / téléviseur).

> Les coupons de réduction, ça n’a rien à voir avec le mobile et beaucoup plus avec la maturité des gens à acheter et socialiser en ligne. Sinon, oui, on peut en afficher sur un écran, et même les imprimer.

> La personnalisation est une question sinon une exigence posée à tout service numérique qui se respecte, indépendamment du support par lequel il est opéré.

> La géolocalisation est une fonction et une donnée de segmentation et de profil qui permet plus de personalisation. Ça marchait aussi avec mon PC de bureau, avant, et ça y marche encore.

> Les QR codes et la réalité augmenté viennent de l’appareil photo embarqué dans l’équipement et ces beaux carrés à points appartiennent presque déjà au passé vu ce qui arrive sur la reconnaissance d’images

> Quand à la reconnaissance vocale, elle existait avant et trouve juste de nouveaux champs d’application. Et si l’on regarde Siri, cela tient plus au Cloud qu’au téléphone lui-même.

Bref :

> Le « mobile », ce pourrait donc être des équipements que l’on transporte avec soi. Auquel cas, l’ordinateur portable devrait être dedans, mais il appartient à l’époque des objets « nomades », un mot obsolète que personne n’utilise plus. Mobile l’a rejoint.

> Ce pourraient être une génération d’équipements propulsés par iOS, Android et des OS « mobile », auquel cas, il y a plus de différence entre les usages d’applications sur un smartphone et un téléviseur qu’entre ce dernier et un bon vieux PC de bureau.

> En fait, on voit là que c’est sans doute un mot de la technologie et de l’industrie digitale, mais ce n’est pas le problème des gens ni de ceux qui veulent leur vendre des produits ou des services. Enfin, ça ne devrait pas.

En réalité, « mobile » est un mot qui avait du sens quand les choses étaient simples et qu’il y avait des smartphones et des ordinateurs. Les OS étaient bien séparés, les applications et les magasins d’application était sur les premiers et pas sur les derniers et on ne sortait pas son ordinateur dans la rue pour chercher son chemin ou checker.
Aujourd’hui, le monde est complexe et le sera de plus en plus. Android commence à motoriser des objets parfaitement sédentaires comme des téléviseurs, où l’on retrouve déjà des magasins d’applications en attendant que les objets du quotidien, transportables ou non, soit eux-même connectés sous ce régime.
Mobile, ça ne veut donc plus rien dire et les « stratégies mobile », ça n’existe pas, sauf à raisonner en OS, ou à considérer qu’une tablette et un smartphone, c’est la même question posée. Si c’est le cas, vous êtes déjà dans le mur.

Car finalement « mobile« , ça ne veut dire qu’une chose : cela désigne le vaste champ des écrans et des supports sur lequel il faut investir dans un monde post-PC et où vous n’êtes pas. C’est un mot qui désigne « trou dans la raquette », « retard à rattraper » ou  « rustine ». Cela induit une réflexion malsaine, orientée outils et pas utilisateurs ni business-model, une réflexion qui ne se pose pas la question du comportement des gens et de l’adaptation au nouveau monde dans lequel nous sommes. Alors, regardons les gens se réinventer sur la manière dont ils travaillent, répondent à leurs besoins, dépassent les limites d’avant et consomment média et services à travers leurs téléphones, tablettes, ordinateurs, téléviseurs, consoles de jeu, et déjà leur montre, leur frigo, leur voiture et que sais-je encore. Regardons comment ils vivent, interagissent et réinventent eux-même les choses.

Le mobile, ça n’existe plus. Arrêtons d’en faire un sujet en soi. Changeons le monde.

Crédit image : The Next Web on Flickr

Cet article a été initialement publié sur le blog de Emakina.fr