CM : quels repères pour le grandes marques à l’international ?

Par Arnaud Paillard

Comment piloter sa stratégie dans un contexte multiculturel ?

La communication par les réseaux sociaux nécessite de l’empathie entre la marque et l’individu. Faire naître un sentiment de proximité peut être difficile dans un contexte international : il faut savoir parler à chacun, éviter les erreurs, et rapprocher la marque de sa cible, selon les cultures et les usages.

Comment piloter une stratégie de communication interculturelle ? Comment comprendre et adapter les usages du web social selon les pratiques et les cultures ? Comment, enfin, articuler la cohérence globale d’une marque avec sa déclinaison locale ?

Autour de la table, une banque, un aéroport et un média : Bruno Santos, digital communications & social media manager du pôle international de Société Générale, Corentin Marsac, responsable communautés digitales et presse chez Aéroports de Paris, et David Beaux, community manager chez France Médias Monde, la marque qui rassemble RFI et France 24. Trois intervenants pour répondre aux interrogations autour du community management interculturel.

Les coordinateurs de la commission social content du Social Media Club, Maxime Drouet de Burson Marsteller i&e, ainsi qu’Aurélien Viers de L’Obs, débatteront avec eux, épaulés par Agathe Bougon de Burson Marsteller, et Danielle Hurley, de Publicis co-pilotent cet échange.

«S’il y a une chose à retenir, c’est « diversité à tous les niveaux»

Le pôle « Banques & Services Financiers Internationaux » de la Société Générale supervise des filiales dans plus de 60 pays. Le métier de Bruno Santos est d’aider les équipes de communication de ces filiales à investir les médias sociaux et être autonomes.

La difficulté ? Obtenir une certaine homogénéité dans l’utilisation des réseaux sociaux et la production de contenus, malgré des contextes très différents.

Pour lui, « Ce qui saute aux yeux c’est l’étendue de cette diversité. Elle ne se limite pas qu’au culturel. On adapte notre stratégie à la situation de chaque pays : marque locale ou globale, popularité des plateformes, modes de consommation des réseaux sociaux, maturité des usages et aussi qualité des infrastructures qui jouent un rôle important dans la qualité de la communication. L’année dernière, une de nos entités africaine mettait près de 15 min pour accéder à l’outil de suivi d’e-réputation.»  Autre  exemple ? C’est David Beaux qui le donne : « En Afrique, on va vouloir créer du contenu qui soit le plus dispatchable possible. Nos followers vont s’intéresser au fond. En revanche, aux États-Unis, la bonne qualité d’une vidéo est primordiale. Les infrastructures ne sont pas les mêmes. »

Un responsable social media doit pouvoir adapter son contenu aux différents contextes. Pour David Beaux, « on ne va pas parler d’un débat sur l’homosexualité de la même façon en France, où c’est accepté, qu’au Cameroun, où c’est illégal. Dans certains pays sur certains sujets, on doit même fermer les commentaires pour éviter les dérapage. » Savoir éviter les sujets sensibles fait également partie du métier. Pour Corentin Marsac, par exemple,  « il n’est pas question de communiquer sur la semaine française célébrée à Hong Kong, en Chine continentale car on créerait une crise diplomatique. »

Décentralisation et formation : quelle indépendance pour les équipes locales ?

Bruno Santos le concède : « Le community management est aussi local parce qu’il est compliqué de construire un lien fort avec votre public si vous ne maîtrisez pas bien la langue ou les codes culturels ou l’humour par exemple.» Pour cela, il est nécessaire de former des équipes ou de faire appel à des prestataires de confiance pour la communication sur les réseaux sociaux. Mais quelle autonomie laisser à ses experts locaux ?

Chacun ses méthodes. Pour Bruno Santos, « La stratégie est globale, mais nous l’adaptons aux réalités terrain pour répondre aux exigences de proximité – culture et usages – et business – offres commerciales et législations. On co-construit les stratégies locales avec les filiales et on affine a posteriori. » Mais comment s’assurer que les équipes sur place aient les compétences requises ? « Comme l’accès aux formations en community management étaient inégales dans les pays, j’en ai construit une répond Bruno Santos. Une formation très opérationnelle sur 5/6 semaines et qui balaie l’e-réputation, la ligne édito, les publications, les KPI, le service client, gestion de crise… » Le tout en interne, « le but, c’est de rendre les équipes autonomes dans la gestion de leur pages.» conclut M. Santos.

Comment être sûr que les experts locaux respectent l’image du groupe ?

« Je m’adresse à des experts de la com’, ils sont déjà sensibilisés au respect de l’image de marque et aux circuits de validation sur les médias traditionnels. Mon rôle c’est d’aider ces personnes à adopter les codes social media et sortir un peu du cadre. Aussi, je mets en place une période de mentorat à l’issue de la formation pour aider à la prise de confiance et d’autonomie. Je valide les premiers calendriers éditoriaux, on regarde les publications qui fonctionnent ou pas, on ajuste. Je sensibilise aussi sur les sujets à éviter.»  Maxime Drouet confirme : « le mot qui revient le plus est « formation » – nous sommes dans des logiques de centralisation et de décentralisation, mais on s’aperçoit que la centralisation reste très importante dans le déploiement d’une stratégie globale sur les réseaux sociaux ».

Pour David Beaux, au contraire, l’enjeu est de se servir de ses journalistes stars pour investir les médias sociaux. « Nous avons donné les clés de nos réseaux sociaux à nos journalistes, car ce sont eux qui font l’info. Nos journalistes interviennent en leurs propre nom sur les réseaux, mais leur compte est brandé aux couleurs de France 24. Par exemple, en Tunisie, nous avons a un journaliste “flagship” qui nous permet de faire vivre son contenu, et, d’un autre côté, d’animer nos pages sur les réseaux sociaux. »

Le point de vue de Corentin Marsac enfin, est un peu différent. Le groupe Aéroports de Paris doit être présent sur les médias sociaux dans le monde entier afin de vendre la marque Paris à l’étranger. Il s’agit, pour le groupe, à la fois de vanter les mérites d’une ville et des aménités offertes par son aéroport. L’enjeu est d’assurer  la e-réputation d’un aéroport face à ses ses concurrents en Europe continentale et au delà (Asie, Moyen Orient) en investissant les réseaux sociaux. ADP doit donc communiquer en amont, surtout dans les pays émetteurs de trafics aériens, comme la Chine. Corentin Marsac souligne les difficultés du community management à destination de l’Empire du Milieu : « en Chine, on a une agence média qui s’en occupe. On ne parle pas chinois, et le décalage horaire est compliqué, mais on a des guidelines qui se traduisent dans le ton employé, l’iconographie pour assurer la cohérence de marque. Mais à côté, on doit, nous, avoir un œil sur l’agenda chinois. Les dates sont choisies selon le flux de touristes et en fonction panier moyen des différentes nationalités. Il faut prendre en compte également l’impact en termes d’image pour Paris. On a beaucoup investi les réseaux sociaux chinois après les attaques du 13 novembre, car il fallait rassurer les Chinois sur la sécurité à Paris. »

« En Afrique, il y a une véritable envie de commenter » : quelles différences dans les pratiques digitales ?

Pour David Beaux, Facebook est le réseau où toucher le plus de monde. « Facebook est le premier endroit où l’on pose l’information, notamment grâce à la fonction de vidéos en native. Nous gagnons  vraiment  de la notoriété grâce à ça. » Dans quelle mesure cependant les pratiques diffèrent selon les réseaux ?

« En Afrique, on va avoir une véritable envie de commenter notre information, souvent, d’ailleurs, à notre détriment » poursuit David Beaux. « En Asie, a contrario, on va avoir une difficulté à commenter. Plus de difficulté à donner son avis, à se mettre en avant . Notre but, à partir de ces interactions, va être de voir quelle est la meilleure communication selon l’endroit. » Dans certains pays d’Afrique où, selon David Beaux, il y a une « défiance envers les médias traditionnels, » l’envie de s’approprier l’information par les réseaux sociaux est importante. Exemple : au Burundi, RFI a été interdit par le gouvernement pendant la crise de 2015, certains auditeurs sont revenus par internet pour écouter RFI et obtenir l’information qu’ils cherchaient en utilisant des VPN afin de cacher leur adresse IP.

Corentin Marsac constate également des différences dans les pratiques digitales. « J’ai une pression beaucoup plus light sur Facebook que sur Twitter. Sur Weibo la pression est aussi très importante. » Et le responsable communautés digitales de donner en exemple la pression exercée sur leur site Chinois suite aux attaques du 13 novembre : « Sur Twitter, après l’annonce de la fermeture des frontières, ADP a recensé plus de 500 nouveaux followers en une heure, et une centaine de questions. Il en était de même sur Weibo et dès le samedi matin il a fallu activer une communication de crise à destination de la Chine.” Autre exemple : “Sur Weibo le niveau d’interactions sur les réseaux sociaux avec le public chinois peut aller très loin. On peut nous demander, à nous Aéroports de Paris, si telle montre sera présente en vitrine dans tel Duty Free. » Et les particularismes locaux propres au community management ne se posent pas que dans les pays lointains : « la loi Toubon nous pose aussi des problèmes : dès qu’on poste quelque chose sur Twitter en langue anglaise par exemple, on doit publier automatiquement la traduction en français ».

Le community management interculturel : une empathie locale grâce à du contenu global ? Bruno Santos nuance : « Il faut trouver un juste milieu, être pragmatique et savoir s’adapter ». Corentin Marsac reconnaît le côté difficile de la tâche : « On fait des erreurs en marchant, et c’est peut-être là où l’on apprend le plus. »

 

Vous venez de lire le compte-rendu d’une session du Social Media Club France

blog

Retrouvez également nos articles sur le blog du SMC sur Zdnet :

ZDNet-partenriat-SMC