La data : un levier d’innovation pour les groupes de presse

par Pauline Compan

Le digital représente une part grandissante dans les revenus des groupes de presse (50 % du CA pour Le Figaro, environ 40 % pour L’Equipe). Dans ce contexte et face à la montée en puissance des Adblockers, les éditeurs s’organisent pour sensibiliser leurs audiences : « la publicité fait vivre les sites et permet d’accéder à des contenus gratuits ».  Si lorsqu’on parle publicité en ligne, la dimension data demeure importante, les enjeux autour de son exploitation pour la presse ne s’y réduisent pourtant pas. Comment la data peut-elle prendre sa place dans la stratégie d’innovation, dans l’amélioration des contenus éditoriaux ou encore dans l’analyse de l’audience ? Quels sont les enjeux et les actions mises en place dans les groupes de presse ? Jeanne Bitker (L’Equipe) et Samuel Profumo (Le Figaro) reviennent sur leurs expériences data au Social Media Club France dans le cadre de la commission Social Data animée par Rémi Douine, Anna Oualid, Gilles Achache et Rozenn Nardin.

Quelle importance stratégique pour la data ?

Pour Samuel Profumo, “la publicité reste le nerf de la guerre pour commencer la data dans un groupe de presse”. Il y a 3 ans Le Figaro démarrait son projet data pour optimiser la vente de ses abonnements, mais aussi avec une forte dimension publicitaire. “L’objectif était d’apporter plus d’engagement à nos annonceurs”, explique-t-il.  Et si le taux de clics demeure le référentiel premier, il faut aller plus loin sur la conversion. “On accompagne nos annonceurs sur la connaissance client grâce à notre trafic (des dizaines de millions de vues mensuelles)”. Pour le chief data officer, commencer à travailler la data pour la publicité permet de dégager rapidement du ROI.  L’objectif de la direction marketing à L’Equipe est de “répondre aux demandes de chaque client par une plus forte personnalisation de l’offre. “La publicité continue de faire vivre les journaux, mais le sujet de la data est plus large.” Le groupe récolte beaucoup de données sur les usages digitaux des consommateurs de la marque (abonnés et visiteurs gratuits). L’idée est de mieux vendre les produits existants (comme le papier, premier quotidien français) et d’innover. La question de la data en télévision, est un domaine de prospection pour le groupe.

De quelle Data parle-t-on ?

“Les données socio-démographiques sont un point de départ”, affirme Jeanne Bitker, directrice marketing clients et data chez L’Equipe. Les groupes de presse analysent leur lectorat via le prisme des données CSP (catégories-socioprofessionnelles)  traditionnelles. La deuxième étape sera de pouvoir les suivre dans leurs comportements digitaux, puis de travailler avec des pourvoyeurs d’audience et de data, comme Google ou Facebook. L’achat de données d’audience est alors un point essentiel de leur stratégie. Samuel Profumo, chief data officer au Figaro, est dans une démarche d’intégration des données affinitaires et comportementales anonymes. A ce titre, le rachat du groupe CCM Benchmarck marque un tournant dans la stratégie data du groupe. En effet il a permit aux sites du groupe d’être leader sur certaines thématiques (économie, féminin..), et d’avoir ainsi une plus large vision des affinités de leurs audiences. “On peut procéder à des segmentations plus fines grâce à du clustering sur nos URLs. Une vision personnae marketing, enrichie avec des données socio-démographiques”.

Géants du net et data

Les groupes de presse travaillent avec des tiers pour promouvoir leurs produits et augmenter leurs audiences. “Nous pouvons faire des recherches de profils similaires aux abonnés de L’Equipe, avec Facebook ou Critéo par exemple”, poursuit Jeanne Bitker. Mais les géants Google et Facebook sont désormais sur tous les maillons de la chaîne. “Ils proposent leurs outils de tracking et représentent la quasi-totalité des usages digitaux.” Une situation qui peut avoir des conséquences sur les modèles économiques des groupes de presse. “Il ne faut pas se laisser dépasser, il y a un enjeu sur le reach et la data”, prévient Samuel Profumo. Lors du mariage avec CCM Benchmark, le groupe a intégré le site Copain d’Avant, en perte de vitesse, mais qui reste le troisième réseau social français. “Les profils sont délaissés mais les 13 millions d’inscrits sont une base solide et qualifiée.”

 

Data performance vs Data innovation : Interview audio de Jeanne Bitker par Quentin Ebrard.

Utiliser la data à des fins éditoriales

Les données influent sur la performance. Elles apportent aussi de l’innovation et permettent de construire la spécificité de ses contenus.  A titre d’exemple, Le Figaro teste les newsletters personnalisées “sur certaines niches”. Grâce aux 15 millions de newsletters quotidiennes du groupe, Samuel Profumo peut faire des AB tests avec des “algorithmes maison”.

 “Nous militons par ailleurs pour l’ouverture de certaines bases de données et souhaitons les mettre à disposition de nos journalistes, avec des outils permettant de les interroger en langage naturel”, explique Samuel Profumo.

C’est une piste qui intéresse certains journalistes, notamment pour apporter de la valeur ajouté à leurs investigations.  Jeanne Bitker travaille en partenariat avec Pablo Fourcat, concepteur de la plate-forme data de L’Equipe. Elle envisage son rôle via une collaboration avec les journalistes “qui ont l’intelligence du produit”. Son pôle apporte les idées et donne son aspect marketing au produit. La directrice marketing pense ainsi les innovations de demain au travers des spécificités du groupe : le sport.

La data dans l’organisation

“Mon rôle est de booster la question de la data dans l’entreprise, c’est une nouvelle dimension de notre métier, explique Jeanne Bitker, tout le monde ne sera pas data-driven, la culture n’est pas là et les outils sont lourds, mais il faut désiloter”. Une intégration qui doit passer par le partage, l’explication et la transparence : “tout le monde doit regarder les mêmes chiffres”, grâce à des reporting (chiffres de vente, audience TV…) pour tous les salariés .

Samuel Profumo travaille dans un pôle data transverse (avec deux data scientists intégrés très tôt dans l’équipe). Cette entité se met “au service” des métiers de l’entreprise, pour les accompagner dans des projets data. La priorisation de ces chantiers se fait sur le ROI, mais le fait d’avoir commencé sa transformation digitale par la publicité permet désormais d’aller vers “des chantiers au ROI moins directement mesurable”.

Vous venez de lire le compte-rendu d’une session du Social Media Club France

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