L’année 2016 n’aura pas été de tout repos pour les chaînes d’info. Entre l’arrivée sur la TNT gratuite de LCI, la doyenne des chaînes d’info en continue, en avril, le lancement de Franceinfo en septembre et la grève à I-Télé au mois d’octobre, le paysage des chaînes d’info a en effet été fortement secoué ces derniers mois. Au-delà des soubresauts du quotidien, l’érosion et le vieillissement de leur audience guettent les chaînes d’info, même si leurs audiences globales restent en hausse pour l’instant.

Franceinfo, la dernière née, prétend justement « satisfaire les nouveaux utilisateurs », en visant « autant l’information que sa mise en perspective », selon les mots de la dirigeante de France Télé, Delphine Ernotte. Son arme secrète ? Une temporalité de l’info qui se veut différente, et surtout une force de frappe énorme. À la condition qu’elle parvienne à relever le défi de la mobilisation des moyens du service public audiovisuel, de France Ô à l’INA en passant par Radio France et France24. Face à elle, la toute puissante BFM TV,  première chaîne d’info en France, se pose également des questions face à cette nouvelle venue, six mois après l’arrivée de sa rivale LCI sur la TNT.

Pour mettre en perspective ces évolutions, la commission NextGenTV du Social Media Club, animée par Jean-Dominique Séval (IDATE Digiworld) et Éric Scherer (France Télévisions) a invité  Frank Moulin, directeur adjoint de la rédaction de BFMTV, ainsi que Germain Dagognet, Directeur Délégué à l’information à France Télévisions

La fin des JT ?

Pour Éric Scherer (France Télévisions), le direct en continu ne suffit plus pour assurer le futur des chaînes d’info. « J’ai vu une chose sidérante aux États-Unis : le dernier débat entre les deux candidats à la présidentielle avait lieu à 21 heures. Eh bien CNN a décidé de prendre l’antenne à 4 heures de l’après-midi. Pendant cinq heures, c’est du remplissage. » Pire, le vieillissement des chaînes d’info est encore plus poussé de l’autre côté de l’Atlantique que chez nous : l’âge médian des téléspectateurs est de 67 ans pour CNN, 70 ans pour Fox News, alors qu’il n’est ‘que’ de 53 ans pour le journal télévisé de TF1, et de 59 ans pour celui de France 2.

Shane Smith avait d’ailleurs prévenu  les professionnels de la télévision lors du salon d’Édimbourg de septembre 2016 : s’ils veulent survivre dans les prochaines années, il leur faudra s’adapter. Jean-Dominique Séval confirme : « on était 17 millions de téléspectateurs devant le journal télévisé à l’époque Claire Chazal ; aujourd’hui, nous sommes un peu plus de 7 millions… » Les causes sont connues : la montée en puissance des médias web qui ont dilué l’information et fait bouger les lignes entre les formats.

« Aujourd’hui, l’info déborde »

La vidéo est aujourd’hui omniprésente. L’Opinion, un média papier, produit plus de quarante minutes de contenus vidéos chaque jour. Le Monde met en ligne une vingtaine de vidéo quotidiennement. Jerry Seinfeld , le célèbre humoriste américain, s’étonnait que la somme astronomique d’actualités quotidienne  tienne chaque jour dans un journal, rappelle Jean-Dominique Séval, « l’info déborde des journaux. ». Comment les chaînes d’info peuvent se démarquer dans un paysage aussi saturé ? « Par l’importance qu’elles accordent au direct, au show, par l’info juste, rigoureuse et précise » veut croire Jean-Dominique Séval (IDATE DigiWorld).

Avec plus de 20h30 de direct par jour, BFMTV est attendue au tournant sur cette question. Comment fait-elle pour s’assurer de la fidélité de son audience ? « BFMTV existe depuis plus de dix ans rappelle Frank Moulin, l’identité de la chaîne, c’est du hard news. Notre sous-titre c’est ‘priorité au direct‘. Notre crédo, c’est de parler tout de suite de ce qui se passe de plus important, ce que nous pouvons faire grâce à plus de deux cents journalistes. »

Pas vraiment débordée par le web, BFMTV ? « On n’a pas été pensé pour le web répond Frank Moulin (BFMTV), on préexistait à l’importance qu’a prise le web. » Ce qui ne veut pas dire que la première chaîne d’info ne s’intéresse pas au web. « Les gens nous consultent à 70% sur leur téléphone, alors que sur un média classique, c’est plutôt 50%. » C’est l’importance de cette consultation mobile qui justifie, à ses yeux, l’existence de la rédaction BFMTV.com, qui n’a pas exactement les mêmes contenus, et qui ne va pas traiter l’actu de la même manière que la rédaction de BFMTV. Un exemple ? « si vous prenez les revendications des policiers non syndiqués, un long mail de notre spécialiste police justice avait été utilisé différemment à l’antenne et sur le web : quelques mots en studio à la Tele et un long article sur le web. Pour eux c’était hyper intéressant : ils ont rappelé le journaliste en question et développé le sujet. On n’est pas vraiment sur les mêmes contenus. »

Le web, un changement de paradigme indispensable aux chaînes d’info ?

Du côté de la dernière née des chaînes d’info, au contraire, les enjeux sont clairement tournés vers le web. C’était d’ailleurs un des objectifs que Delphine Ernotte avait donné à Franceinfo: « elle ne nous a pas donné d’objectif en termes d’audience sur la TNT, rappelle Germain Dagognet, mais elle nous a donné des objectifs sur le web. Elle voulait que la partie web gagne des parts de marché. » Pari d’ores-et-déjà gagné selon le Directeur Délégué à l’information de France Télévisions : « l’appli FranceTVinfo, qui préexistait, jouissait déjà d’une belle audience, qu’on a boostée en lui amenant plus de vidéos, de nouveaux contenus, et en généralisant le transmédia. L’objectif est d’aller chercher l’audience là où elle est. Or, cette audience se trouve sur mobile. Donc nous allons la chercher sur le téléphone. C’est aussi simple que ça. »

  • « l’appli FranceTVinfo, qui préexistait, jouissait déjà d’une belle audience, qu’on a boostée en lui amenant plus de vidéos, de nouveaux contenus, et en généralisant le transmédia. L’objectif est d’aller chercher l’audience là où elle est. Or, cette audience se trouve sur mobile. Donc nous allons la chercher sur le téléphone. C’est aussi simple que ça. »

    Germain Dagognet
    France Télévisions
  • Il ne s’agit donc pas de faire une chaîne d’un côté, et un site internet de l’autre pour capter une audience, mais d’avoir une stratégie transmédia traduisible de façon claire sur les réseaux sociaux. Martin Gouesse (France Télévisions) explique comment se passe, dans le détail, la coordination entre le web et la télé : « il y a des journalistes dédiés aux réseaux sociaux : on a une équipe Twitter, une équipe Facebook, et une équipe de 7/8 personnes consacrée à Snapchat. Mais le plus important, c’est qu’il n’y a pas d’attente entre les contenus sur la télé et ceux qu’on pousse sur les réseaux sociaux. » Il va même plus loin : à Franceinfo, les modules d’info sont pensés de façon indépendante de la grille de programmes. L’instant détox, par exemple, est sur Facebook Live vingt-quatre heures avant sa diffusion à l’antenne, exit la chronologie des médias. Martin Gouesse (France Télévisions) déroule : « un de nos producteurs de modules ne sait pas quand le contenu qu’il produit passe à l’antenne. En revanche, il sait très bien quand et sur quels réseaux sociaux il sera diffusé ».  Un changement de paradigme.

    « Évidemment, on est abonné à l’AFP ! »

    Quelle place pour l’User Generated Content (UGC) au sein d’une chaîne de télévision ?  Jean-Dominique Séval (IDATE) précise que l’UGC était resté marginal sur les chaînes de télévision, mais que le phénomène est en train d’évoluer. Martin Gouesse (France Télévisions) confirme : « si on ne peut pas se passer des agences, on va bien sûr aussi chercher ailleurs. On bosse avec une startup (Nunki) qui nous trouve des UGC . Sur une actu chaude comme le coup d’État en Turquie, on avait des contenus vérifiés et contre vérifiés qui avaient trente minutes d’avance sur les agences. »

    Les choses sont un petit peu différentes chez BFMTV : « on fait une veille au quotidien sur les réseaux sociaux. Hors période d’actualités intenses, cette veille est réalisée par le service web. » Esquissant un sourire, il ajoute avoir confiance dans «les 200 journalistes de BFMTV pour assumer également une veille de tous les instants sur Twitter, étant donné qu’ils y passent leur vie. » Enfin, lors des périodes d’actualités intenses, « on affecte sur les réseaux sociaux deux ou trois personnes de l’équipe TV. Mais l’UGC ne remplace pas les contenus issus d’agence, et, bien évidemment, nous sommes abonnés à l’AFP. »

    Le risque de l’effet mosaïque : comment piloter une structure transmédia ?

    Les mauvaises langues n’ont pas manqué de le signaler à la naissance de la nouvelle chaîne d’info : n’allait-il pas être difficile, voire impossible, de piloter une structure qui a pour objectif de fédérer dans son sein l’ensemble des ressources offertes par les différents canaux du service public ? Rien d’insurmontable, soutient Germain Dagognet  : « on a mis en place un outil qui permet aux différents rédacteurs en chef de communiquer à distance directement, et sans passer par le téléphone portable. »

    Germain Dagognet désamorce les accusations d’éparpillement : « on a fait l’habillage à l’identique à la radio et à la télé. D’autre part, on multiplie les passerelles pour les spécialistes entre les entités de Radio France et de France Télévisions. À termes, n’importe quel spécialiste pourra intervenir sur le plateau de Franceinfo, qu’il soit de France Inter ou de France 24. » Il confie d’ailleurs qu’une V2 de Franceinfo devrait voir le jour en novembre, celle-ci faisant la part-belle aux passerelles entre les différentes entités. « On sait que lancer une chaîne globale du service public, qui ne soit pas l’ORTF, passe par un effort intense de coordination». Pari gagné ?

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