Par Océane Redon

CHATBOTS ! Ces robots conversationnels dotés d’une intelligence artificielle plus ou moins avancée attisent moult spéculations, espoirs et doux rêves. Les marques les développent en ayant les yeux tournés vers l’Est, où l’explosion de WeChat a stimulé le développement de nouvelles pratiques du web social dans la culture chinoise . Mais concrètement, qu’est ce qu’un chatbot ? quelles innovations apportent ils vraiment ? Comment et qui peut les utiliser ? Mais surtout, à quoi pourront bien servir les chatbots dans la gestion de la relation client  ?

Michael Pepin, responsable de la performance des opérations relation client pour la France chez Voyages-sncf.com, une des premières marques françaises à les utiliser, a partagé son expérience lors d’un Workshop sur le sujet organisé avec SoLocal, auquel participaient également  Benoît Vidal, chief digital officer chez MFG Labs et Thomas Sabatier, fondateur et directeur de l’agence spécialisée dans le développement de bots de messageries multi-plateformes The ChatBot Factory.

Des call centers aux messageries instantanées

Hier, lorsque vous aviez une question sur un produit, une remarque sur un service rendu ou un service après vente à contacter, vous appeliez un call center. Aujourd’hui, il est de bon ton d’interpeller les community managers des marques publiquement directement sur Twitter ou Facebook, pour faire part d’un mécontentement ou obtenir rapidement des informations précises. Mais demain, ces deux solutions risquent fort d’être reléguées au rang de souvenirs pour être remplacées par les messageries instantanées sur vos réseaux sociaux favoris.

Séduisant les services clients des marques, les chatbots, ces robots conversationnels dotés d’une intelligence artificielle (IA), risquent fort de faire partie, dans un avenir proche, de notre vie numérique et d’apparaître au quotidien sur nos ordinateurs, nos tablettes et nos portables. Thomas Rudelle, directeur du marketing digital d’Axa atteste du décollage du phénomène : « Depuis six mois que nous avons intégré Facebook Messenger à notre dispositif relation client, le nombre de commentaires publics sur facebook a diminué de 50%. »

Sans compter que dans un deuxième temps, l’animation même de ces messageries pourrait être confiée à des chatbots. L’intelligence artificielle demeurant la dernière brique technologique qui permettra de rendre les interactions avec le chatbot plus fluides, et d’augmenter ainsi progressivement la part des questions auxquelles ces robots conversationnels pourront répondre automatiquement.

“Aujourd’hui, c’est à l’utilisateur de comprendre les interfaces, demain ce sera l’inverse”

D’ailleurs, les chatbots apparaissent déjà dans l’écosystème de Voyages-sncf.com. « Notre site enregistre 12 millions de visiteurs uniques par mois. Nous avons 3 millions de contact avec nos clients chaque année, que ce soit via la plateforme Helpbox [instaurée en mai 2016], la téléphonie, le mail, le chat ou les réseaux sociaux. Et depuis avril 2016, ils peuvent aussi nous contacter sur notre chatbot via Facebook Messenger », explique Michael Pepin (Voyages-sncf.com). Le voyagiste, premier acteur européen à se lancer dans cette aventure, a lancé un chatbot pour envoyer les confirmations de billets de train directement dans les messageries des utilisateurs. « Entre avril et décembre 2016, 65 000 personnes ont utilisé ce service », continue-t-il.

Une raison pouvant expliquer que cette offre ait été relativement bien adoptée, notamment par les millenials, serait qu’il n’y a pas d’application à télécharger. « Sans oublier que nous proposons un service qui s’adapte aux carrefours d’audience que sont ces messageries instantanées. Nous allons là où sont nos clients », précise Michael Pepin. Thomas Sabatier (The Chatbot Factory) va encore plus loin : « Alors qu’aujourd’hui, c’est à l’utilisateur de comprendre les interfaces, demain ce sera l’inverse.»

Suite à cette première expérience, Voyage-sncf.com s’est lancé en septembre 2016 dans le « business relationnel » en élargissant son chatbot à la pose d’option sur un billet de train (selon certaines conditions), toujours sur Facebook Messenger. La mise en place de ce service a nécessité deux mois de travail et un mois de test en interne. Le groupe, adepte du test & learn, a fait travailler deux personnes à temps plein sur le sujet.
Il est désormais possible de commander son billet directement dans Facebook Messenger de manière très fluide en dialoguant avec le bot, sans avoir à ouvrir ni l’application, ni le site voyages-sncf.com. En revanche, il reste impossible de s’en affranchir totalement pour finaliser sa commande. Tout simplement car le paiement via messenger n’est pas encore possible en Europe. « Mais notre chatbot peut rappeler au client que son option va expirer et qu’il doit aller sur le site pour payer », précise Michael Pepin.

Une complémentarité entre chatbots et sites : les défis de l’IA toujours à surmonter

Organiser son service client autour d’une IA qui traite en temps réel les requêtes de sa communauté et lui rend disponible immédiatement l’information dont elle a besoin : voilà de quoi faire rêver toutes les marques. Dès lors, on se prend à imaginer que ces chatbots dirigés par une intelligence artificielle sont, forcément, le futur de la relation client. Mais est-ce le cas ? « Aujourd’hui, on surestime cet outil en pensant qu’il pourra remplacer ce qui existe déjà. C’est comme lorsqu’on avait peur que le e-commerce tue les boutiques physiques, mais cette cannibalisation n’est vraiment pas arrivée. Les points de contact sur les applications et les sites se développeront différemment, en parallèle de ce nouveau canal conversationnel », temporise Thomas Sabatier (The Chatbot Factory).

Les robots et autre IA ne remplaceront jamais complètement les sites et les applications téléchargeables dans la relation client. D’autant plus que « s’il s’agit d’une intelligence, il ne faut pas oublier qu’elle reste artificielle. C’est aux équipes de l’entreprise de l’éduquer et de la développer pour avoir des chatbots toujours plus performants. Rappelons que ces chatbots ne bénéficient actuellement que d’une intelligence artificielle faible qui leur permet d’imiter le comportement des humains via des routines automatisées », ajoute Thomas Sabatier (The Chatbot Factory).

Effectivement, derrière l’ensemble de ces chatbots se trouvent des intelligences humaines. Les spécialistes soulignent ainsi que le rôle des conseillers clientèles restera primordial. « Les chatbots ont leurs limites et les conseillers humains travailleront sur les questions à forte valeur ajoutée. A nous de proposer des expériences fluides entre ces différents points de contact pour supprimer le plus de frictions possibles dans la relation client », complète Michael Pepin (Voyages-sncf.com).

Les marques doivent donc travailler au mieux la complémentarité de ces services pour proposer la meilleure expérience à leurs clients. Ainsi, avant de se lancer tête baissée dans la création d’un chatbot, elles doivent s’interroger sur ce qu’elles pourraient en retirer pour leurs clients, et, surtout, quel ensemble de problèmes résoudre avec cet outil conversationnel. « Cette première expérience est importante, car l’adoption des chatbots par les utilisateurs en dépendra », résume Michael Pepin (Voyages-sncf.com), qui éduque son IA au vocabulaire et aux expressions récurrentes du champs lexical de la mobilité, en français.

Peu d’expériences à ce jour

Pour développer de telles expériences, les marques doivent en amont réorganiser leurs services informatiques et structurer leurs données CRM, deux pré-requis indispensables pour proposer des services ultra personnalisés et répondre aux promesses d’instantanéité, chères au consommateur d’aujourd’hui. Or, pour l’instant, les marques ne semblent pas comprendre pleinement l’intérêt des chatbots et ne cherchent pas forcément à proposer des expériences pertinentes.

« Il faut changer notre façon de réfléchir, inventer de nouvelles méthodologies, créer de nouveaux outils pour pouvoir proposer de nouvelles expériences », affirme Thomas Sabatier (The Chatbot Factory). Michael Pepin (Voyages-sncf.com) voit dans les chatbots la solution à de multiples problèmes : « Ces chatbots seraient très utiles pour les PME en leur offrant une alternative au développement d’un site ou d’une application » ; « Ils peuvent apporter une valeur ajoutée, notamment grâce aux commandes vocales », qui pourraient être utiles aux personnes âgées.

Facebook en tête de course

« Les GAFA investissement largement sur ce sujet conversationnel », glisse Benoît Vidal (MFG Labs), qui cite deux fonctionnalités déjà disponibles aux Etats-Unis : Amazon et son assistant vocal Echo ou Google et son extension Assistant.

Mais dans une optique de confidentialité des données, les entreprises françaises ont tout intérêt à développer leurs propres outils pour ne pas être entièrement dépendants des GAFA. Pour l’heure, Voyages-sncf.com développe son propre chatbot et utilise uniquement Facebook Messenger comme interface. « Facebook ne récupère pas les données de nos clients », confirme Michael Pepin (Voyages-sncf.com). « Le business process doit rester au sein de la marque. Les GAFA doivent rester des canaux », renchérit Benoît Vidal (MFG Labs). Pourtant, « il existe actuellement un manque de lisibilité sur les types de technologies qui seront déployées à l’avenir et un vide sur la meilleure façon dont les entreprises pourront garder leur indépendance », avertit Thomas Sabatier (The Chatbot Factory).

Comme pour les réseaux sociaux d’entreprise, les marques, qui ne peuvent pas se satisfaire des conditions de confidentialité offertes par les GAFA, doivent capitaliser sur les usages développés par les utilisateurs des plateformes, en travaillant à rapatrier au plus vite la valeur sur ses écosystèmes propriétaires, au risque de se faire avaler, comme les médias, par des plateformes qui ont l’ambition de centraliser toutes les tâches de notre quotidien.

Les promesses de l’IA : demain, quelle structuration du marché ?

De manière globale, Thomas Sabatier (The Chatbot Factory) estime qu’il est encore trop tôt pour imaginer réellement comment seront utilisés les chatbots à l’avenir. « On pourrait faire un parallèle avec internet et dire qu’aujourd’hui, nous en sommes à l’étape du Minitel. Car à l’époque, qui aurait pu prévoir l’hégémonie de Google ? Il est aujourd’hui impossible de dire si c’est la voix ou le texte qui se développera par exemple pour les chatbots. Nous savons juste que nous allons suivre le chemin tracé par les GAFA car ce sont eux les propriétaires des écosystèmes nécessaires à la mise en place de ces chatbots. »

Et si aujourd’hui, Facebook et son Messenger semblent tirer leur épingle du jeu en Occident (WeChat a une longueur d’avance en Chine), rien n’est joué puisque l’écosystème est en train de se structurer. Et d’autres réseaux sociaux comme Snapchat, déjà largement adopté par les millenials, ou WhatsApp, pourraient au final se tailler la part du lion !
Les acteurs de ce marché précurseur semblent en revanche convaincus qu’avec l’avènement de cette nouvelle technologie, de nouvelles contraintes vont se poser, « comme la problématique de la langue selon les pays », glisse Michael Pepin (Voyages-sncf.com), ou « la question de la vidéo ou du paiement » ajoute Thomas Sabatier (The Chatbot Factory). Une autre question, et non des moindres, concerne la monétisation des chatbots. Car si pour l’instant, les marques peuvent utiliser gratuitement Facebook Messenger pour développer leurs propres chatbots, il est peu probable que le groupe de Mark Zuckerberg n’intègre pas rapidement ces nouveaux espaces publicitaires dans les inventaires de ses clients, et se prive indéfiniment d’une telle source de revenus. Rendez-vous dans quelques mois pour savoir si des réponses auront été apportées à ces questions.

Une session organisée avec SoLocal par le Social Media Club France

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