Par Arnaud Paillard

Les données et interviews de cet articles sont issues d’une séance des Ateliers du Numérique à Bordeaux, que nous organisons avec PagesJaunes.

Impossible aujourd’hui de faire l’autruche : la plupart des TPE ont une présence digitale, même si elles n’en sont pas toujours conscientes. Les TPE doivent désormais composer avec le numérique.

« Seules 23% des PME savent s’il y a des avis postés en ligne sur leur entreprise», insiste Daniel Lemin, responsable communication digitale chez PagesJaunes/Solocal Group. Et pourtant, en 2016, seulement 66% des PME françaises avaient un site internet, contre 75% en moyenne sur l’Union Européenne, selon une étude du cabinet Deloitte sur le digital et les PME françaises. Pour beaucoup de petites entreprises, investir sur sa présence en ligne ne représente pas une fin en soi, mais l’outil numérique fait désormais parti de leur kit de développement. Pertinent à adopter pour développer leur activité, il exige cependant de plus en plus d’investissement et d’attention.

Une présence multiple pour un objectif commun : se faire connaître

Ne serait-ce que pour afficher une carte de visite sur son activité, ou mettre un portfolio de leurs projets à disposition de leurs clients, développer un site web peut être un atout. Il s’agit d’exister sur les plateformes auxquelles leurs clients consacrent de plus en plus de temps et d’attention au quotidien (sans compter les générations à venir). Jean Yves Alix, fondateur de Queyries Consulting, une entreprise spécialisée dans le développement des TPE/PME le rappelle : « les TPE ont deux enjeux : se faire connaître et pouvoir être contactées facilement ». Au delà du site vitrine, qui présente une activité, une équipe, un service ou des produits, il y a les sites marchands, équipés de boutiques en ligne, de catalogue,de modules de paiement et de divers systèmes de gestion (de réservations, de ventes, de stocks, d’identification, de fichiers clients, etc…).

Pour Franck Guitel, menuisier, il était fondamental de comprendre comment marchent les avis et l’e-réputation. Xavier Billaud, électricien généraliste, abonde dans ce sens : « on a besoin de l’e-réputation, c’est hyper important pour l’artisanat, comme la réputation dans la vraie vie. » Le jeune électricien a simplement créé une page Facebook pro pour l’instant, le site internet attendra. Nécessaire, mais pas évidente, l’intérêt de la présence en ligne reste difficile à évaluer pour les TPE. S’il y croît et a envie de développer sa présence en ligne, pour l’instant «le retour sur investissement, c’est zéro » avoue Xavier Billaud.

Un retour sur investissement difficilement mesurable

D’où l’importance, quand on investit autant de temps et d’argent dans sa présence en ligne, de travailler également le référencement de son site. Optimisé, celui-ci doit permettre de faire apparaître son site en première page des moteurs de recherches sur les mots-clés liés à son activité.Travailler son référencement est une démarche devenue impérative pour faire face à la multiplication des concurrents en ligne, mais qui est peut-être la plus dure à réaliser lorsqu’on on est une petite entreprise, tant elle peut être exigeante et chronophage. Si la technicité de la discipline peut effrayer des artisans et des TPE dont l’outil informatique ne constitue pas le coeur de métier, Xavier Billaud le souligne : « aujourd’hui, sans bon référencement, on ne peut rien faire. » Or, le référencement s’est graduellement complexifié ces dernières années, « c’est un métier à part entière le référencement ! », déplore Méshac Mabaya Mabade, fondateur de Vestiwork une entreprise qui produit des vêtements de travail personnalisés sur Bordeaux.

Bien maîtriser le référencement est un investissement payant. Ammata Phimphrachanh dirige la boutique Blandin et Delloye spécialisée dans les costumes sur mesure sur Bordeaux. Grâce à un choix pertinent de mots clés – et à une activité de niche – il est le premier résultat naturel à apparaître sur google sur les mots clés qu’il a choisis, et qui comportent bien sûr le nom de la ville d’implantation. Un avantage décisif lorsqu’on veut s’imposer sur un marché local, même si l’effort à fournir est conséquent, particulièrement quand on réalise son site avec ses compétences propres, comme il l’a fait, avec Wix.

Apprivoiser les avis en ligne

Les avis laissés en ligne par les consommateurs constituent l’autre grand défi à relever pour les artisans, mais aussi pour les professions libérales. « Ça peut faire peur d’avoir des avis en ligne, surtout pour un avocat », confie Francine Lindagba Mba, avocate au barreau de Bordeaux, « si un client a perdu son procès, il pourra laisser un avis défavorable, alors que la prestation d’un avocat ne se mesure pas seulement par le fait de gagner ou de perdre une affaire.»

Les avis en ligne, pourtant fondamentaux pour les TPE, laissent souvent perplexe. Pour Éric Ranson, qui dirige une petite entreprise multiservices en bâtiment et jardinage, laisser un avis en ligne n’est pas « naturel » : selon lui, les clients ne laissent un avis que s’ils sont extrêmement satisfaits, ou, au contraire, très insatisfaits de la prestation. La seule manière d’apprivoiser le dépôt d’avis consiste à les canaliser en amont grâce à des sollicitations envoyées de façon systématique après chaque prestation (à l’oral, par mail, sms…).

Le plus problématique pour une TPE reste de gérer un avis négatif. Pour un artisan ou un entrepreneur pour qui le travail signifie plus qu’une simple activité professionnelle, l’avis négatif peut être porteur d’un certain traumatisme. Pour Stéphanie Laporte, formatrice social media, rien d’insurmontable : en tant que TPE, l’important est de répondre aux commentaires négatifs en laissant de côté les émotions, et de rester pro. Pour elle la plus-value des avis laissés en ligne sur les TPE est fondamentale, et il n’est pas nécessaire d’avoir de très nombreux avis : quelques avis fiables, positifs ou contrastés, suffisent pour assurer à un artisan ou à une TPE son e-réputation.

“Les réseaux sociaux c’est sympa, mais j’ai une boutique à faire tourner”

Dans certains domaines, comme celui de la culture, en revanche, il vaut mieux s’assurer de la quantité et la qualité de l’engagement sur les réseaux sociaux. Mais comment surnager au milieu de la masse de contenus partagée chaque jour sur le réseau social ? Pour Camille Dal’Zovo, fondatrice d’un label et de CDZ, une entreprise de relations publiques liée à la musique, « si les contenus que je partage sur ma page Facebook professionnelle ont à peine dix likes, ça ne sert à rien. Pareil sur Youtube, où l’on essaie de virer les vidéos qui ont moins de 500 vues, pour pousser des contenus plus viraux.»

Même son de cloche pour Koceila Chougar, DJ et consultant, qui ne possède pas de page Facebook pour son activité de DJ : « la page Facebook avec 230 j’aime, ça sert à rien. Mieux vaut ne rien avoir du tout. J’utilise pour ma part ma page Facebook personnelle pour pousser des événements et des artistes, et je fais relayer mes événements par des influenceurs que je connais, en qui j’ai confiance, et qui ont une vraie audience. »

Pour Ammata Phimphrachanh, dirigeant de la boutique de costumes sur mesures Blandin & Delloye, l’engagement des contenus qu’il partage sur les réseaux sociaux laisse encore à désirer. « On a du mal à structurer notre présence sur les réseaux sociaux. On publie deux posts par semaine sur Instagram, et sur Facebook, on republie le contenu Instagram, et on répond aux messages. » Conscient d’un manque à ce niveau, Ammata Phimphrachanh regrette de ne pouvoir consacrer plus de vingt minutes par jour à ces plateformes. Mais après tout, il a une boutique à faire tourner.