NextGenTV : quel futur pour l’audiovisuel ?

Par Elise Koutnouyan

Les trois points à retenir :

  • La 4K se démocratise, portée par les JO de Corée, et la 8K est déjà dans les tuyaux
  • L’arrivée de la 5G s’annonce comme la prochaine révolution qui bouleversera l’audiovisuel dans les dix années à venir
  • Côté contenus, fini le temps des médias de masse : l’ère est aux « médias de précision ». Un ciblage éditorial, social media only et générationnel destiné à toucher les jeunes, dont Brut est l’exemple le plus abouti

Chaque rentrée est marquée par les grands salons internationaux de l’audiovisuel, qui décortiquent le futur de la télévision : IFA de Berlin, IBC d’Amsterdam… Quelles grandes tendances se dégagent en 2017 ? Si les évolutions technologiques (notamment la 4K) annoncent une meilleure qualité des équipements audiovisuels, la bataille des contenus reste vive pour toucher les jeunes générations fâchées avec la télévision traditionnelle.

Pour en discuter, nous avons invité Bernard Fontaine, directeur des innovations technologiques chez France Télévisions et Roger Coste co-fondateur de Brut. Cette session était animée par Barbara Chazelle, responsable projets Prospective chez France Télévisions, Jean-Dominique Séval, directeur général adjoint de l’IDATE Digiworld.

« Pas d’éléments vraiment nouveaux en cette rentrée, mais on creuse le sillon de la révolution annoncée », résume Jean-Dominique Séval (IDATE Digiworld). À l’issue des grandes messes de l’audiovisuel de la rentrée, l’IBC d’Amsterdam et l’IFA de Berlin, le constat est clair : l’innovation télévisuelle en 2017 ne marque pas de rupture mais s’inscrit dans les grandes thématiques observées ces deux dernières années.

LA 4K DÉMOCRATISÉE, LA 8K DANS LES TUYAUX

Amorcée en 2016, l’arrivée de la 4K est désormais une réalité. Pour preuve, l’annonce du groupe britannique audiovisuel Sky : l’intégralité de leur production se fera désormais en 4K : « un vrai basculement », note Jean-Dominique Séval (IDATE Digiworld). À l’IFA de Berlin, « l’institut d’études GfK a confirmé ce qu’on pensait sur la 4K : elle sera partout », abonde Bernard Fontaine (France Télévisions). En 2017, 35 millions de téléviseurs 4K ont été vendus, soit une hausse de 40%, dont 1,2 million d’exemplaires d’écrans OLED. Chez les constructeurs asiatiques et chinois notamment, les écrans 4K sont partout et de plus en plus grands. Selon GfK, 40% des écrans d’ici 2020 seront supérieur à 50 pouces.

« Les téléviseurs deviennent très grands mais restent très fins, comme un téléphone. C’est l’‘écran poster’ qu’on accroche au mur », résume Bernard Fontaine (France Télévisions).

 

Côté production, la 4K s’est aussi imposée, comme Bernard Fontaine (France Télévisions) l’a constaté à l’IBC d’Amsterdam : « Caméras, de production, régie, mélangeurs…toute la chaîne de production est désormais disponible en 4K ». Une présence renforcée par les événements sportifs, notamment les JO de Corée, où sera exploitée la 4K. Il reste toutefois un bémol dans le développement de la 4K : la technologie HDR, apposée pour améliorer le rendu des couleurs. Il existe à ce jour plusieurs versions différentes de la HDR, selon les constructeurs qui ne parviennent pas à s’entendre.

Tandis que la 4K se démocratise à peine, la 8K arrive déjà, quand on l’attendait pour les JO de Tokyo en 2020. Chez les équipementiers, Sharp est le premier à se lancer sur le marché avec un téléviseur en vente dès mars 2018. À l’IBC, des caméras de télévision 8K proposées à la vente ont créé la surprise. Cela promet de nouveaux défis pour les diffuseurs et médias : encodage, compression d’images et effets de bord non quantifiables.


« Une image de télévision (TNT, box) affichée sur un tel écran risque de se dégrader car la 8K va augmenter artificiellement l’image. Les méthodes de production des chaînes de télévision vont devoir se mettre au niveau », prévient Bernard Fontaine (France Télévisions).

ASSISTANTS VOCAUX ET RETOUR EN FORCE DE L’AUDIO

Outre le téléviseur, les assistants vocaux étaient au coeur des salons de rentrée. Ces rendez-vous ont marqué le retour en force de l’audio. Pour Bernard Fontaine (France Télévisions), « tous les fabricants sont conscients qu’il est indispensable d’amener la qualité audio dans les assistants vocaux : on veut pouvoir les utiliser pour écouter Spotify, France Musique… » Conséquence dans l’industrie : les spécialistes du son, véritables stars de ces grandes messes de l’audiovisuel, se font racheter, à l’image de l’incontournable JBL, racheté par Samsung pour sa technologie Harman Kardon. Cette prédominance de l’audio imprègne toute l’industrie, jusqu’aux téléphones mobiles, comme le modèle V30 de LG, star de l’IFA, qui est fourni avec des écouteurs Bang & Olufsen. Autre tendance audiophile, le retour des platines tourne-disques haut de gamme, qui refleurissent chez les équipementiers comme Panasonic.

Très présent à l’IFA de Berlin, le secteur de l’électroménager s’empare des assistants vocaux : « Bosch, Siemens ou encore AEG ont fait la démonstration d’une intégration quasiment parfaite de l’assistant vocal dans l’électroménager », estime Bernard Fontaine (France Télévisions).

« Il y a la volonté de sortir du gadget pour proposer des fonctions utiles » Bernard Fontaine (France Télévisions)

« Je veux pouvoir demander à ma cuisine de faire une tarte aux pommes : la recette apparaît sur un écran sur le plan de travail, ou sur la porte du réfrigérateur, transformée en téléviseurs », détaille Bernard Fontaine (France Télévisions). Un enjeu de taille pour les médias, puisque cela représente des nouveaux lieux de consommation de leurs contenus. Côté télévision, « l’IA avance pas à pas mais reste assez ‘faible’, pour l’instant pour des utilisations ciblées de meilleurs accès aux catalogues ou pour optimiser la relation clients », souligne toutefois Jean-Dominique Séval (IDATE Digiworld) : « Actuellement, les chaînes étudient les opportunités et les menaces du voice control et des assistants domestiques,  potentiellement une percée des OTT : une manière de  s’affranchir des écrans ».

5G, « LA PROCHAINE RÉVOLUTION »

Qualifiée de « disruption en matière de télévision » par la BBC, la « prochaine révolution » selon Bernard Fontaine (France Télévisions) : la 5G était aussi présente aux grandes messes de l’audiovisuel. Cette méthode de diffusion sans carte sim, comme l’a précisé l’organisme 3GPP, permet à une chaîne de télévisions de diffuser un programme sans nécessairement être reçu par un bouquet de services d’opérateur télécom. À Londres, les premières expérimentations de diffusion TV par 5G d’un ensemble de 25 chaînes de télévisions UHD ont été lancées par Samsung et Arqiva. « Cette 5G interroge tous les broadcasters, explique Bernard Fontaine, pour qui : la 5G, c’est la fibre optique sans fil. La performance est là. Tout en terme d’efficacité : ça permet d’espérer une utilisation très intéressante, dans de nombreux secteurs de l’industrie. » Tandis que l’offre de 5G Orange est prévue pour démarrer en 2020, les premiers téléviseurs avec tuner 5G ont été présentés à Berlin : un bouleversement sur lequel les diffuseurs sont déjà prêts à s’intéresser.

LA MORT ANNONCÉE DE LA VR ?

Grande promesse de ces dernières années, la réalité virtuelle (VR) semble désormais passée de mode. À l’IFA de Berlin, peu de casques de VR sur les stands des constructeurs, qui n’a pas trouvé sa place dans les salons des particuliers.


« On s’oriente vers un usage ‘salle de jeux’ ou parc d’attractions qui se professionnalise, plus adapté au Futuroscope qu’à la maison », signale Bernard Fontaine (France Télévisions).


« On n’a pas assisté à la démocratisation des casques VR chez les gens. On se dirige vers des ‘rooms’ où aller pour consommer la VR », abonde un participant. Les achats restent confidentiels et le casque VR ne sera donc pas la star du sapin de Noël. « On n’a pas encore trouvé de modèle pour la réalité virtuelle », explique un invité d’Endemol. La tendance se confirme à l’IBC, où aucun grand fabricant n’a proposé de caméra VR qui reste le domaine réservé des start-ups.

À l’inverse, la réalité augmentée (AR) bénéficie d’un regain d’intérêt avec l’arrivée de nouveaux acteurs, notamment venus d’Inde. L’AR intéresse à la fois le cinéma et la télévision pour ses possibilités de décors virtuels, sans fond vert notamment. « On entend encore un discours enchanteur sur les promesses de la réalité augmentée », pointe Bernard Fontaine (France Télévisions). Plébiscitée par les professionnels, l’AR l’est aussi par les ados, grâce à son utilisation sur mobile : Pokémon GO, Snapchat ou encore WeChat misent sur l’expérience AR pour fidéliser leurs utilisateurs, avec succès, selon Barbara Chazelle (France Télévisions). Un signal fort pour l’AR, qui semble en passe de supplanter la VR, délaissée par les équipementiers.

LES CONTENUS : DES « MÉDIAS DE MASSE » AUX « MÉDIAS DE PRÉCISION »

Si la rentrée est l’occasion de prendre le pouls de l’industrie dans la production et la diffusion des contenus grâce aux salons, les contenus eux-même sont au coeur des interrogations du secteur en cette fin d’été. Barbara Chazelle, responsable projets Prospective chez France Télévisions, dresse un constat sans appel pour le groupe d’audiovisuel public : « On n’accomplit pas notre mission. L’enjeu est de reconquérir nos publics. » Désertion des jeunes, mesure d’audience insatisfaisante, les 10/13 ans, pirates du Web, insaisissables… La priorité est de réconcilier les nouvelles générations et la télévision.

Pour France Télévisions, la stratégie consiste désormais à miser sur le storytelling : « tout le monde est scénariste, la narration est au coeur du quotidien », souligne Barbara Chazelle. Sur le fond, il s’agit de privilégier l’expérience, maître mot des nouvelles générations, et l’histoire. Sur la forme, on assiste à une démultiplication des formats : lives, ‘dronies’, ‘stories’ verticales, écriture en mode texto (bots, messageries)…

Pour Barbara Chazelle (France Télévision) : « le contenu doit être repensé en formats partageables, snackables (à consommer tout au long de la journée en session courte) et adapté aux plateformes (Facebook, Instagram, Snapachat) car chacune a son public, son ton. »

L’heure est à la personnalisation des contenus. Attention toutefois à ne pas tomber dans la piège de la « marque blanche » : « il faut préserver son identité éditoriale : le public attend que les médias prennent partie de manière cohérente dans la durée ».

« On est passé de l’ère des médias de masse à l’ère des médias de précision », résume Barbara Chazelle. Le défi consiste à trouver l’équation parfaite entre programmation éditoriale, recommandation sociale et algorithmique tout en évitant le phénomène de bulle. Pour cela, le groupe mise notamment sur l’information locale et pratique pour retrouver la proximité avec le public : « nous sommes dans une logique d’activateur qui va inciter à agir, donner des feuilles de route : on simplifie le quotidien en donnant des outils concrets. »

BRUT, UN MODÈLE DE RÉUSSITE ?

Face aux tâtonnements des médias télévisés pour conquérir les jeunes, un nouveau venu fait figure de modèle : Brut. Le média 100% social, lancé en novembre 2016, compte 600 millions de vidéos vues par mois, emploie 40 personnes et s’est déployé dans 3 pays : la France, les États-Unis et l’Inde. Roger Coste, co-fondateur de Brut, explique que le média cible les moins de 35 ans : « ils sont plus ouverts, plus empathiques et plus engagés. » Après quatre mois de travail à blanc, l’équipe s’est lancé l’année de la campagne présidentielle par une première vidéo sur François Hollande, qui a fait 20 millions de vues. Le modèle de Brut repose sur un positionnement éditorial fort : « nous  sommes un média progressiste, au sens américain du terme. Nous défendons la parité, l’égalité. On s’engage pour les minorités. » Le média bénéficie d’une audience globalisée : selon Roger Coste (Brut), 70% des vidéos sont duplicables dans les trois pays d’implantation : France, Inde et États-Unis. Brut prévoit de se déployer en Suisse, en Belgique et en Allemagne sur un modèle de syndication de contenus.

« On est le média qui engage la conversation ». Roger Coste (Brut)

 « On ne regarde pas notre nombre de ‘followers’ mais le taux d’engagement sur nos vidéos. Quand les vidéos sont pertinentes, les gens s’engagent : elles sont très partagées. » Pour cela, Brut mise lui aussi sur la proximité, notamment avec le journaliste Rémy Buisine, ‘M. Direct’, spécialiste des live, et un ton décalé : « nous sommes dans l’empathie et non pas dans la violence. Nos abonnés apprécient ce qu’on fait parce qu’on donne un ton avec des gifs notamment, mais ce n’est jamais méchant ou agressif. » Brut produit 20 vidéos par jour dans le monde, 7 jours sur 7.


Clé de la réussite de son modèle économique, Brut a des coûts d’exploitation très faibles puisque le média est présent uniquement sur les réseaux sociaux. « On ne veut pas de site internet, trop coûteux en argent et en énergie. Notre parti pris est d’être un vrai social media, de se servir des tuyaux que proposent ces plateformes. Notre force : on expérimente en permanence. Et si on se plante, personne ne le voit, à la différence de la télévision », souligne Roger Coste (Brut). Un partenariat exclusif noué avec la régie publicitaire de France Télévisions permet de tirer des revenus publicitaires de trois activités : de la pub classique (minoritaire), du native advertising et des contenus en marque blanche pour des éditeurs.

LES TALENTS, NERF DE LA GUERRE

Soucieux de son image, Brut mise sur un contenu très exigeant, uniquement informationnel, à l’inverse de NowThis ou ATTN, d’autres médias sociaux de vidéos. À une question sur le risque d’une baisse de la qualité des vidéos suite à l’augmentation de leur nombre, Roger Coste (Brut) répond que le choix a été fait de limiter le nombre de vidéos, notamment sur la verticale ‘Sport’. Mais pour Roger Coste, l’essentiel du succès de Brut revient à la production éditoriale, et donc à l’équipe : « Trouver des journalistes capables de faire seul une vidéo d’1 minute, en mute, pour expliquer à nos jeunes adultes une information importante sur les propos de Trump de façon pertinente, exigeante et anglé, ce n’est pas facile ». Jean-Dominique Séval (IDATE Digiworld) confirme : « les talents, c’est le nerf de la guerre, aussi et peut être surtout dans les médias et la création de contenu, et c’est une ressource de plus en plus rare. » Même son de cloche pour Barbara Chazelle (France Télévisions) : « la guerre des talents est aussi au cœur du marché dans les technologies : on s’arrache les bons développeurs ! ».

 

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