Les nouveaux Dircoms #2 : Quels challenges technologiques ?

Ce qu’on retient des échanges :

  • Valoriser ses actions : Les outils permettent avant tout de valoriser ses actions quantitativement auprès de la direction de l’entreprise.
  • Anticipation et prise de décision : dans un environnement changeant et instable, les outils sont aussi une aide à la décision et à l’anticipation.
  • Communication interne : les outils jouent le rôle de catalyseur pour la communication interne, même s’ils sont parfois difficiles à mettre en place, accepter.

Pour cette discussion organisée avec le soutien de Wiztopic, nous avons invité :

  • Marie-Christine Lavaux, Fondatrice de Garance Conseils
  • Alexia Lefeuvre, Directrice de la communication de Rakuten France
  • Marion Le Paul, Directrice de la communication de Nexem
  • Sophie Leprettre, Directrice de la communication corporate du Groupe Bel
  • Delphine Penalva, Directrice de la communication de Solocal
  • Agathe Sanson, Directrice de la communication de CNP Assurances
  • Anne-Sophie Sibout, Directrice de la communication d’Edenred

Si les réseaux sociaux ont révolutionné l’environnement du directeur de la communication, les outils de mesure d’audience, d’e-réputation ou de partage de contenus ont également chamboulé son rôle et son travail au quotidien. Une large palette d’outils permet aujourd’hui au dircom, entre autres, de mieux mesurer l’impact de ses campagnes digitales, de définir ses KPIs plus précisément, ou de mieux connaître son public. Le paradigme et les méthodologies évoluent, mais le fond du travail reste le même. Dès lors, comment le dircom s’adapte-t-il à ces nouveaux enjeux technologiques et fait-il évoluer son travail avec ces nouveaux outils ?

VALORISER SES ACTIONS

Dans des environnements professionnels ne valorisant pas toujours la communication à juste titre, l’arrivée d’outils permettant d’extraire des données chiffrées semble avoir permis d’affirmer la légitimité du travail du dircom au sein de l’entreprise. « On définit des KPIs en amont, et il est certain qu’avec de tels outils de mesure ça leur redonne de la crédibilité, » expose Delphine Penalava (SoLocal). « Ça a des vertus pédagogiques en interne, ça permet de réévaluer en direct l’impact de ce qu’on peut faire. La culture du temps, de l’efficacité et de l’impact est complètement différente aujourd’hui, » raconte Anne-Sophie Sibout (Edenred). « Les mesures de performance que permettent les outils digitaux viennent nous aider à démontrer ce que la communication produit, à valoriser son impact et ce à quoi elle contribue dans la construction de l’engagement des parties prenantes. » ajoute Sophie Leprettre (Bel).

« les KPIs aident à évaluer l’intérêt de nos parties prenantes pour un sujet ou leur peu d’intérêt pour d’autres, cela nous oblige à adapter le discours, les formats pour être convaincants et engageants. » Sophie Leprettre (Bel)

En pouvant mesurer précisément la viralité d’une vidéo, le nombre de mentions positives sur les réseaux sociaux, ou le taux d’engagement d’un public cible, les dircoms parviennent à mettre en avant des résultats concrets dans les différents services. Ils valorisent des résultats, dressent des bilans, et s’en servent pour faire plus de pédagogie sur leurs futures stratégies. « Pour des équipes de communicants qui peuvent être en manque de sens, quand on arrive avec des technologies qui existent, ça fédère autour du projet. Ensuite, c’est plus facile de répartir le travail autour des différentes directions de l’entreprise, » raconte Marion Le Paul (Nexem). « La communication crée de la valeur pour la marque au-delà du business pur, elle n’est pas seulement un centre de coûts. C’est quelque chose que les outils aident à valoriser, » poursuit Anne-Sophie Sibout (Edenred).

« Quand il n’y a pas de sens, en effet la communication peut-être vue uniquement comme un centre de coûts. Les outils aident à redonner du sens et à casser cette idée. » Marion Le Paul (Nexem)

En légitimant et valorisant les résultats, tous les services et directions peuvent se sentir plus impliqués, même si la transversalité de la communication dans l’organigramme est encore à affirmer. « J’aimerais bien qu’on définisse les KPIs de façon transversale, que tout le monde ait ses objectifs sur une même opération, et qu’on ait ainsi la possibilité d’ajuster en direct. Les services fonctionnent encore beaucoup trop en silos, ce qui est vécu comme une frustration. Il faudrait une réflexion pour travailler en groupe et avoir chacun un but commun avec des objectifs particuliers, » raconte Delphine Penalva (SoLocal).

Enfin, au-delà des chamboulements internes qu’entraînent ces progrès technologiques et ces nouvelles façons de communiquer, le relationnel externe de l’entreprise se trouve aussi modifié. « Il y a une évolution de notre métier : la Direction de la communication a pour mission de créer de l’engagement avec les parties prenantes, aux premiers rangs desquels les collaborateurs et les clients qui deviennent des acteurs principaux de la réputation de l’entreprise. C’est aussi l’occasion de fédérer tous les métiers de l’entreprise autour de ce nouvel enjeu !

DES RÉSULTATS PLUS PRÉCIS ET PLUS RAPIDES

La capacité d’itération et d’adaptation des dircoms semble s’accroître au même rythme que les progrès technologiques. « Ce qui est intéressant pour le communicant c’est que ces outils apportent une courbe de progression et une logique de test & learn. On a des résultats qui nous parviennent en permanence. Là, on peut ajuster, et donc on a moins peur d’oser, » explique Anne-Sophie Sibout (Edenred). Dans cette même logique, elle envoie systématiquement un bilan chiffré aux services concernés en fin d’opération, et renvoie le bilan avant d’en lancer une nouvelle. « On est à la fois dans la création d’engagement, et en même temps au service des autres départements. Il y a un effort à faire pour qu’on ne devienne pas une agence de communication dans l’entreprise au service des autres départements. Pour mettre tout le monde d’accord, il faut faire des outils qui permettent de mesurer l’impact de notre communication. Il ne faut pas non plus avoir peur de dire quand il y a des choses qui ne fonctionnent pas. Les outils nous permettent également d’identifier cela, » poursuit-elle.

« Faire exploser le nombre de followers, pourquoi pas. Mais ça ne correspond pas forcément aux objectifs fixés. » Agathe Sanson (CNP Assurances)

La communication serait-elle devenue une science mesurable ? Avec des chiffres, des courbes et des graphiques, les nouveaux outils de mesure permettraient de savoir mathématiquement quelle a été l’efficacité d’une campagne, ou quel est le pourcentage d’opinions positives autour de la marque ? Nombre de tweets, de followers, de mentions, de likes … toutes ces nouvelles données mises à la disposition des dircom peuvent parfois créer une addiction aux chiffres et au résultat dont il faut savoir se distancer. « Il faut faire attention, car le risque est de passer plus de temps à mesurer les actions qu’à les réaliser. Il faut trouver un équilibre sans aller trop loin, » raconte Anne-Sophie Sibout (Edenred).

En effet, si la récolte des données est de plus en plus automatisée, un travail humain d’analyse pour en tirer les bons insights reste nécessaire. De plus en plus de structures proposent des services permettant d’externaliser ces tâches parfois laborieuses et coûteuses, mais se pose ensuite la question de la confiance et de la propriété des données. Les marques doivent donc faire le choix d’internaliser totalement, pas du tout, ou en partie la récolte et l’analyse de la data. « Les outils de veille transmettent de la donnée brute mais pour l’analyser, la contextualiser, détecter les signes faibles, rien ne vaut l’Humain. C’est en interne, dans nos directions que nous avons les compétences les plus appropriées » analyse Agathe Sanson (CNP Assurances). Pour avoir une meilleure maîtrise et vision de ses données, Rakuten a totalement internalisé sa régie, et est en train de développer un chatbot qui traiterait des cas de service après-vente basiques sur les réseaux sociaux. « On a besoin de beaucoup de data, c’est pour ça que nous internalisons au maximum. En développant en plus un chatbot sur l’application Viber (qui appartient à Rakuten) pour la communication et les médias sociaux, nous serions alors capables de créer l’écosystème parfait, » anticipe Alexia Lefeuvre (Rakuten).

« Il y a un besoin d’analyse qualitative qui se confirme et qui nous manque pour le moment. Il ne faut pas simplement sortir des données, il faut les faire parler. » Alexia Lefeuvre (Rakuten)

Pour les dircom, le débat sur l’internalisation ou l’externalisation des outils ne se pose pas uniquement en termes économiques. « Internaliser c’est bien, mais c’est très chronophage de tout compiler et analyser. Et pour moi, confier ce travail à un partenaire externe est aussi la garantie d’avoir un regard neutre et critique, » explique Delphine Penalva (SoLocal). « Il y a un vrai débat pour savoir à qui confier tout cela. Si c’est une agence qui a travaillé avec nous sur l’opération, ils vont forcément avoir tendance à enjoliver les résultats, si c’est quelqu’un de complètement extérieur on ne sait pas exactement ce qu’ils font. Pour combler ce déficit de transparence et de confiance, « les outils se développent de plus en plus avec des modèles de full transparency où le client reste propriétaire des données, » selon Raphaël Labbé (Wiztopic).

UN NOUVEAU RAPPORT AU TEMPS

Le temps de la communication s’accélère, celui des dircom aussi. Les chiffres leur parviennent de plus en plus régulièrement et rapidement, permettant une organisation plus efficace du travail. « C’est vrai que l’on gagne du temps, mais en parallèle, l’activité des directions de la communication a augmenté en quantité comme en qualité. Comme les outils sont plus rapides, cela demande des résultats plus rapides, donc ça accélère le rythme. Le luxe, ce serait d’avoir un service documentation, qui analyse tous les jours les données en fonction des besoins de la société, » décrypte Marie-Christine Lavaux (Garance Conseils). « Ces nouveaux outils permettent au moins de mutualiser certains contenus pour la communication interne et externe. Donc ça fait déjà gagner du temps aux équipes, et ça leur permet de travailler ensemble, » ajoute Agathe Sanson (CNP Assurances).

« Les objectifs se mesurent sur une durée. Avant nous analysions les données au bout d’un an, désormais nous les analysons au bout de trois mois. Il y a des décisions qui peuvent être prises à l’emporte pièce. » Marie-Christine Lavaux (Garance Conseils).

La multiplication des outils, des données et des résultats pourrait donc créer une forme d’infobésité chez les communicants. Entre les données internes, celles des outils, les réseaux sociaux et la presse, il peut être difficile de garder sa vision et son objectif avec clarté. Si les nouvelles technologies poussent à la rapidité et à l’immédiateté, les stratégies de communication peuvent quant à elles s’inscrire dans un temps beaucoup plus long. Le dircom doit donc constamment faire l’équilibriste entre ces différentes temporalités : celle des technologies, celle de sa direction, celle de ses employés, et celle de sa propre stratégie. « On peut perdre des gens pour en gagner après. Si on reste uniquement dans le court terme et qu’on ajuste en permanence, on ne va pas réussir à créer de l’engagement. Parfois on fait de l’investissement au long terme. Là aussi notre valeur c’est de ne pas paniquer et d’expliquer. Parfois, on sait qu’on engage une année un, et que les résultats arrivent en année deux, » analyse Anne-Sophie Sibout (Edenred). « Mais les publics digitaux mutent très vite, il est donc extrêmement difficile de faire une stratégie de long terme, encore plus quand on travaille dans plusieurs pays où les usages diffèrent totalement, » ajoute Sophie Leprettre (Bel).

« Aujourd’hui, personne ne peut savoir comment vont évoluer les publics et usages sur les réseaux sociaux. La question qui se pose pour le dircom, est-elle celle de l’acceptation de l’usage, ou plutôt de l’agilité et du repositionnement constant ? » Sophie Leprettre (Bel)

Le rôle analytique du directeur de la communication se retrouve donc paradoxalement renforcé, avec un besoin croissant de vision et de prise de recul. « Les équipes sont parfois dans l’infobésité. Ils sont dans leurs propres KPIs. Notre valeur va beaucoup se situer au niveau du pourquoi ? Que fait-on et pourquoi le fait-on ? Si on ne se pose pas ces questions, on passe à côté de quelque chose, et on laisse les technologies supplanter notre expertise, notre intuition et notre capacité d’analyse, » analyse Anne-Sophie Sibout (Edenred).

« On présente souvent des données intéressantes, mais il manque les conclusions qu’il faut en tirer. Or, notre valeur de communicant réside dans cette capacité d’analyse. » Anne-Sophie Sibout (Edenred)

Si la légitimité du dircom en situation de communication de crise n’est plus à démontrer, un certain dénigrement persiste encore sur d’autres sujets, malgré les nouveaux outils. « Ça nous questionne sur notre rôle. Souvent, la communication n’est pas prise au bon niveau dans l’entreprise. Ce qui est clé c’est la culture d’entreprise, la culture du directeur général, la capacité du dircom à assumer ses choix, à prendre des risques. Par rapport à d’autres postes, nous avons cette position de chef d’orchestre. Les outils c’est très bien, mais si le dircom n’est pas bien armé pour faire face à tout ce qui l’attend, ils ne servent à rien, » analyse Delphine Penalva (SoLocal). « Si on n’est pas capable d’emmener ces outils vers un objectif commun, cela ne sert à rien, » ajoute Alexia Lefeuvre (Rakuten).

Dans un contexte où les employés ainsi que la direction sont de plus en plus amenés à s’exprimer personnellement et sans filtre sur les réseaux sociaux, le rôle de stratège du dircom anticipant les difficultés à venir se retrouve amplifié. L’employee advocacy est un levier intéressant pour y parvenir, ainsi qu’un rôle d’accompagnement et de conseil, notamment auprès de certains PDG réticents aux réseaux sociaux, ou au contraire un peu trop bavards. Un bon binôme entre le DG et le dircom semble donc essentiel, ainsi que de bonnes relations de confiance avec tous les autres services et directions.

Plus largement, le digital fait évoluer le dialogue entre les différents acteurs de l’entreprise et son écosystème, voire même au sein de l’entreprise avec des outils comme Workplace[1] . Le dircom n’a pas vocation à être celui qui dicte quoi dire, mais davantage celui qui donne les clés d’un dialogue réussi. « Les réseaux sociaux sont faits d’une multiplicité de communautés et donc de sensibilités, il est important de développer une intelligence émotionnelle. Les réseaux sociaux sont aussi une captation du monde, et ça nous permet d’alimenter la réflexion sur notre responsabilité sociétale en tant que marque, » élargit enfin Sophie Leprettre (Bel). Au lieu de le supplanter et de le remplacer, les technologies semblent donc amplifier les fonctions profondément humaines du dircom d’analyse, d’intuition et de sensibilité.

Par Brice Andlauer
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[1] Lacour, Anoushka. “Facebook Workplace, Vers Une Révolution De La Communication Interne.” Forbes France, 23 Nov. 2016, 

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