Cycle « Tous plateformisés » évolutions des stratégies de marque sur les réseaux sociaux

Ce qu’on retient des échanges :

  • Test & Learn : Face aux changements d’algorithme des plateformes, les marques s’adaptent, testent et apprennent.
  • Cohérence : Créer et fédérer une communauté en proposant du contenu affinitaire devient une priorité.
  • Influence marketing : L’employee advocacy devient le principal levier organique des marques pour générer de l’influence et de l’engagement en ligne.

Dans un environnement digital toujours plus évolutif, les marques doivent en permanence faire preuve d’agilité sur les réseaux sociaux. L’année 2018 l’a une nouvelle fois rappelé, avec les changements d’algorithmes et des API des plateformes comme Facebook et Instagram, qui ont pu bouleverser certaines stratégies mises en place depuis des années. Du jour au lendemain, les contenus ne sont plus mis en valeur de la même façon, leur viralité et le taux d’engagement qu’ils suscitent devient plus difficile à mesurer.

Pas de panique pour autant chez les annonceurs, qui considèrent que les revirements de ce type sont inhérents à leur présence sur les plateformes, les mettant naturellement dans une posture d’adaptation constante. « En cinq ans, nos KPI (les indicateurs clés de performance, Key Performance Indicator), nos stratégies et notre présence sur les réseaux sociaux a évolué, nous sommes sans cesse en train de s’adapter, de tester des nouvelles façons de faire et d’apprendre c’est aussi ce qui est passionnant » explique Alix Prouhet, Social media manager à The Coca-Cola Company, qui travaille en direct avec une équipe de neuf personnes réunies au sein d’un service innovant appelé « Consumer Interaction Center (CIC). Tous les canaux et toutes les plateformes sont investis, de Facebook à YouTube, en passant par Snapchat mais aussi Instagram, Twitter, LinkedIn et peut-être d’autres plateformes très prochainement. « Il n’y a pas de règles prédéfinies. Les choses évoluent très vite. Nous travaillons justement avec cette équipe pour être très réactifs, aller le plus vite possible dans la gestion des contacts, et ne pas restreindre nos activations sur telle ou telle plateforme mais toujours envisager la nouveauté en fonction des usages de nos cibles », détaille Alix Prouhet. « Il n’y a pas eu de révolution en terme de stratégies », tranche quant à lui Julien Marcaut, vice-président de la communication digitale d’Engie. « On parle beaucoup de stratégies changeantes en 2018, mais j’ai l’impression que ça a toujours été en évolution constante, d’où l’importance d’avoir des KPI qui évoluent tout le temps. On est toujours en train de courir après le train, donc il faut avoir des metrics qui évoluent », poursuit-il.

« On est toujours dans une logique de test & learn. Il faut suivre les évolutions et être agile : les plateformes sociales deviennent des plateformes d’influence, ce qui est gratuit devient payant, les modes de consommation changent … C’est important de ne pas avoir de règles, il faut constamment tester. » Julien Marcaut (Engie)

Dans cette démarche d’itération constante, la problématique principale réside dans la capacité à mesurer l’efficacité de ses actions. Si les plateformes fournissent des données pas toujours complètes ni lisibles, les instituts d’études restent des outils assez efficaces pour mesurer l’impact d’une campagne et la valoriser auprès de la direction. « De plus en plus, nous cherchons à compléter nos Kpi média avec des insight quali mais aussi à brancher des études d’impact à nos campagnes pour mieux comprendre les leviers dont nous disposons » analyse Alix Prouhet (The Coca-Cola Company). « Les études sont importantes, mais elles sont coûteuses en temps et en argent, on ne peut pas en lancer pour chaque campagne ou pour chaque post facebook. On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise donc il faut se donner les moyens de tester, et avoir cette mentalité en fil rouge. Nous ne sommes pas sur les mêmes budgets qu’une campagne télé, donc c’est moins dramatique si parfois ça ne marche pas », relativise cependant Julien Marcaut (Engie).

DES MARQUES MÉDIAS

Avec des référentiels et des marqueurs qui évoluent au jour le jour, il paraît difficile, voire peu souhaitable de tout mesurer en permanence. L’innovation et l’audace semblent être des stratégies plus payantes. « On se rend compte qu’il y a souvent une prime au premier entrant sur un nouveau format ou une nouvelle plateforme. Et ça ne coûte pas cher d’être le premier. Quand on sait agir et rebondir sur des formats innovants, c’est souvent payant », raconte Julien Marcaut (Engie). Pour Alix Prouhet (The Coca-Cola Company) un des terrains d’innovation de 2018 en social media s’est situé sur « la création de contenus d’engagement via la réalité augmentée et sur la création de formats mobiles plus storytellés et immersif », nous optimisons en permanence nos messages et contenus en fonction de nos publics dont l’appétence pour les nouvelles expériences est de plus en plus marquée et dont les usages et intérêts évoluent sans cesse. Parfois cela donne lieu à des collaborations comme Sur Youtube ou Instagram, où on travaille par exemple en partenariat avec des personnes qui ont leur chaîne et leur audience et avec qui nous créons du contenu affinitaire », raconte Alix Prouhet (The Coca-Cola Company).

« Plutôt que de nouveaux formats, je parlerais plutôt de nouvelle démarche. En fonction des plateformes, les marques sont parfois davantage dans une stratégie de divertissement ou de service que dans une stratégie commerciale pure de vente de produit. » Marie Dollé, Experte en Digital.

Dans cette logique de nouveaux partenariats et de nouveaux récits, de nombreuses marques s’attachent donc à créer une communauté plutôt qu’à vendre leurs produits. L’exemple de Red Bull avec ses vidéos de sports extrêmes est particulièrement significatif. La marque fédère et s’affiche, auprès d’un public bien plus large que ses consommateurs, et devient incontournable dans son domaine[1]. Dans la même logique, Coca-Cola mise aujourd’hui beaucoup sur les événements sportifs, comme la coupe du monde de football l’année dernière ou prochainement la coupe du monde de football féminin. « Ce sont des événements que l’on prévoit longtemps en avance, et qui fédère nos différentes communautés. Nous travaillons en mode projet avec toutes les expertises réunis pour maximiser la cohérence et l’innovation. Ces compétitions sont de superbes opportunités pour réunir nos fans que ce soit off ou online ».

« On observe un essor des réseaux sociaux de marques. Ça crée de plus en plus de communautés autour d’intérêts communs. Et c’est intéressant car ces communautés permettent de pallier la baisse du reach sur les plateformes », analyse Marie Dollé, Experte en Digtal. « Dans la même logique, il y a de plus en plus de partenariats entre plusieurs marques qui ont la même cible, mais pas les mêmes intérêts. Il y a une logique de croiser les intérêts de marque », développe-t-elle. L’approche qualitative semble donc être valorisée par rapport à une approche uniquement quantitative visant à avoir le maximum de vues, de partages et de likes sur les réseaux sociaux. « Le problème avec les KPI, c’est qu’au bout d’un moment ça devient compliqué de tout mélanger. Les plateformes ne peuvent pas toujours être comparées, il y a du bon et du moins bon pour chaque contenu en fonction de chaque plateforme : si la vidéo dure trois secondes sur snapchat ou dix secondes sur youtube, l’impact est complètement différent. Si elle est vue en grand écran ou en scroll sans le son c’est encore différent. En fait, il n’y a pas de recette ni d’outil magique pour tout rationaliser », expose Julien Marcaut (Engie). « On ne peut plus faire l’impasse sur la qualité aujourd’hui. La distribution est très importante, et les plateformes suivent la façon dont on présente les choses », ajoute Marie Dollé, Experte en Digital. « Je pense qu’il faut mélanger les approches qualitatives et quantitatives. Lorsqu’on lance une campagne digitale, la direction s’attend à un grand niveau de détail et de granularité, sauf que c’est une équation à 42 entrées qu’il faut prendre en compte. « Il faut qu’on accepte en interne un niveau d’incertitude lié à cette variété de formats et d’outils de mesure », poursuit Julien Marcaut (Engie).

« Il faut surtout chercher à mieux comprendre les leviers et ne pas forcément chercher à tout comparer. Pour ça c’est à nous de voir quelles sont et où sont les autres données pertinentes et d’aller les chercher pour compléter les rapports et leur donner plus de sens et de poids que ce soit sur du quanti ou du quali. » Alix Prouhet (The Coca-Cola Company)

Avec des marqueurs d’efficacité aussi relatifs dans l’élaboration de campagnes digitales, les priorités évoluent également. Le taux d’engagement, présenté pendant longtemps comme le levier le plus efficace pour une marque, est aujourd’hui de plus en plus relativisé. « Aujourd’hui sur les réseaux sociaux, nous n’investissons plus à l’engagement mais au reach qualifié, ce qui ne nous empêche pas de chercher la viralité organique sur nos contenus » ajoute Alix Prouhet (The Coca-Cola Company). « Peut-être que le KPI du taux d’engagement n’est pas forcément le bon », ajoute Julien Marcaut (Engie). « Une étude récente a montré que sur certaines plates-formes, le taux d’engagement pouvait être jusqu’à deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Ce type de biais relativise les taux bruts, et invite à compléter avec d’autres paramètres », développe-t-il. « L’engagement va davantage être recherché via des leviers organiques ou des influenceurs », conclut enfin Alix Prouhet (The Coca-Cola Company).

VERS UNE RATIONALISATION DES USAGES ?

L’un des principaux leviers organiques pour générer de l’influence et de l’engagement en ligne, de plus en plus plébiscité par les marques, est l’employee advocacy. Ce mécanisme, qui consiste à faire des employés de l’entreprise des ambassadeurs de la marque sur les réseaux sociaux, en misant sur leur fierté d’appartenance à l’entreprise, peut se révéler extrêmement efficace lorsqu’il est activé. « Les influenceurs sont souvent plus puissants que les médias eux-mêmes. En donnant la parole à nos 150 000 employés, on peut indirectement contourner les algorithmes des plateformes », analyse Julien Marcaut (Engie). Chez Coca-Cola par exemple, l’employee advocacy passe par de la formation et de l’outillage, on accompagne les employés en les outillant pour qu’ils puissent communiquer sereinement sur la vie de l’entreprise  et sur nos actualités. Certains sont très demandeurs d’autre moins, ce qui compte c’est que le service est là s’ils le souhaitent », explique Alix Prouhet (The Coca-Cola Company). « On se rend compte qu’il y a à la fois de l’envie et de la crainte de s’exprimer sur les réseaux sociaux. On est dans une logique d’accompagnement. C’est encore un véritable enjeu de créer de l’attraction et de la visibilité, en apprenant à être fier de son entreprise, en la connaissant bien et en portant ses messages, aussi bien dans la vraie vie que sur les réseaux sociaux », analyse Julien Marcaut (Engie).

« Aujourd’hui, l’employee advocacy se professionnalise et se structure. On se rend compte que c’est une influence cross fonctionnelle, qui doit être activée par tous les services et pas seulement en silos. » Marie Dollé, Experte en Digital.

L’employee advocacy s’impose donc comme un moyen parmi tant d’autres de développer son propre réseau, et de renforcer sa communauté pour être par exemple plus puissant face aux GAFA. Car avec des plateformes de plus en plus incontournables et aux règles de fonctionnement de plus en plus opaques et changeantes, une forme de confrontation s’installe. « Les marques ne veulent plus être totalement dépendantes et ne pas se retrouver coincées par les changements d’algorithmes. C’est difficile de rivaliser en termes de puissance, mais il y a un vrai jeu du chat et de la souris qui se met en place entre les marques et les plateformes », analyse Julien Marcaut (Engie).

Dans ce rapport de force où une approche qualitative semble retrouver son efficacité, Marie Dollé (Experte en Digital) observe une certaine forme de rationalisation des usages et de distanciation des plateformes : « Il y avait une promesse des réseaux sociaux de permettre aux marques de devenir des médias délinéarisés, en étant en contact permanent avec son audience, always on. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’au contraire, rationaliser les usages peut être une solution à la baisse de reach, en installant par exemple des rendez-vous avec ses audiences. » Dans cette même logique, elle observe un retour au blog, au site et aux plateformes hébergées par les marques, là où des médias comme MinuteBuzz s’étaient lancés uniquement sur les réseaux sociaux il y a trois ou quatre ans. « On parlait alors beaucoup de distributed media ou distributed content », rappelle Marie Dollé. « Il y avait un effet d’annonces de médias qui disaient exister à 100% sur les réseaux sociaux et ne plus avoir besoin de site. Au final, ces médias rouvrent des sites aujourd’hui (MinuteBuzz devient Vertical Station). Ils ont voulu investir les plateformes à fond, puis quand le reach a baissé ils ne savaient plus quoi faire car ils ne pouvaient pas les quitter non plus. Aujourd’hui avec cette rationalisation, on entre plus dans une logique de all media : quoi que je fasse sur n’importe quelle plateforme, ça a un impact sur les autres plateformes, » développe-t-elle.

Cette ère du all media impose désormais une forme de cohérence, dans un contexte où la porosité entre les communications internes, externes, corporate et digitales est de plus en plus prononcée. Peu importe les points de contacts, la variété des formats et les publics ciblés, la marque doit afficher un message cohérent de bout en bout de la chaîne. Cette exigence devient le cœur du travail de communication.

Par Brice ANDLAUER

[1] https://robertkatai.com/red-bull-media-company/