Dircoms et (nouveaux médias), les règles du jeu ont-elles changé ?

Par Aurore Gayte / Crédit photos : Sébastien Faye

Ce qu’il faut retenir de ces échanges :

  • Les réseaux sociaux ont changé le rythme de vie des rédactions, il faut en tenir compte.
  • Les méthodes “traditionnelles” de communication entre journalistes et entreprises doivent évoluer.
  • Parmi ces évolutions, le brand content et la co-création sont les plus utilisés par les nouveaux médias.

L’arrivée des « nouveaux médias » et l’évolution des médias traditionnels a entraîné de nouveaux modes de fonctionnement : impératifs d’immédiateté, de transparence, de réactivité, besoin permanent d’images… Les communicants ont-ils bien pris la mesure des profonds changements qui ont affecté les médias, des nouvelles formes de diffusion de l’information (du 100% vidéo ou de nouvelles plateformes tel que Snapchat) ? Doivent-ils réinventer leurs stratégies de relation presse ? Et de leur côté, qu’attendent les journalistes des communicants ?

Les nouveaux médias, qui sont-ils ? Quelles différences avec “l’ancienne école” ?

Le chercheur et directeur du think-tank Future Exploration Network Ross Dawson a prédit la fin des journaux papier en France pour 2029. Il ne faut cependant pas dire que la fin des médias et du journalisme est prévu pour dans une dizaine d’années : les nouveaux pure players d’informations affichent de très forts taux de croissance, et l’accélération du temps de l’info a boosté les médias plus traditionnels. Comme le souligne Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM TV, la chaîne a d’ailleurs réalisé sa meilleure audience jamais enregistrée lors de sa couverture de la crise des Gilets Jaunes. “Ce qui plaît et horripile chez BFM TV, c’est la liberté de ton qu’offre le temps réel. Historiquement, c’est BFMTV qui donnait la parole aux manifestants lors des directs, et aujourd’hui avec les Gilets Jaunes nous sommes concurrencés par les réseaux sociaux. Ils n’ont plus vraiment besoin de nous pour se faire entendre.”  

L’accélération de l’information est également synonyme de changement dans la relation entre les communicants et les médias. Armelle Le Goff, directrice de la rédaction de 20 Minutes, explique que “ l’accélération de l’info rallonge le temps de travail, et du coup rend la communication avec les journalistes plus difficile. Si on nous contacte, il faut savoir à qui on veut parler, sinon ça peut faire perdre du temps.” Ce n’est cependant pas qu’une mauvaise nouvelle : “ On a récemment beaucoup travaillé sur le thème du cyber harcèlement, en publiant tous les lundis un témoignage, et ça pourrait être intéressant pour une marque de s’associer avec nous sur des sujets comme ça.”

Créer des contenus qui génèrent de l’engagement est un objectif commun pour les journalistes et les communicants mais reste difficile à atteindre. Nicolas Perret, co-fondateur et directeur de MAD, le pure player spécialisé dans l’entertainment du groupe Le Figaro, revendique que l’intégralité de son business model repose sur de la co-création de contenus, et que travailler avec des marques est une nécessité : “ on a choisi de se spécialiser sur la thématique de la mode, avec une audience qu’on savait assez segmentée et ciblée, et parce qu’il y a beaucoup à faire sur le sujet. Notre conviction était que, sur la mode, le panorama média n’avaient pas trop été chamboulé, contrairement aux titres de presse généralistes.” Pour convaincre les marques de travailler avec lui, MAD a ciblé un secteur de niche, très segmenté, ainsi qu’un format 100%réseaux sociaux, avec un ton détonnant, beaucoup de décalage et même “parfois du cynisme”, précise Nicolas. L’équipe de MAD apporte également une grande attention à la direction artistique et à la créativité, ce dont elle se sert pour se démarquer de ses concurrents. “On reste un média, mais on est amené à beaucoup travailler avec des agences et des influenceurs.” Il faut selon lui mettre l’accent sur la collaboration et la co-création : “il y a quelque chose de l’ordre de la confiance à créer. Il faut aussi savoir travailler avec des annonceurs en dehors de son cercle, ils peuvent apprendre de nous et nous d’eux.“

Brut a également choisi un modèle économique original, avec de “l’engaging ad”, c’est à dire de la publicité choisie, avec un nombre réduit de marques partenaires. Roger Coste, le co-fondateur de Brut, explique ce choix : “on travaille avec elles mais sans brand content. De plus, on choisit nos partenaires : si une marque qui nous a contactés ne peut pas faire la preuve que nous partageons un certain nombre de valeurs – comme l’écologie, le féminisme etc. – on refuse de travailler avec elle. Cette nouvelle technique de narration marche très bien, même quand les marques n’apparaissent pas en tant que telles dans les vidéos.”  

Tous les intervenants insistent néanmoins sur un point : même s’ils font du brand content, ils restent de vrais médias, avec toutes les responsabilités que cela implique, que ce soit au niveau du fact checking, “un travail rendu de plus en plus compliqué avec les fake news et l’apparition des deep fakes”, confie Céline Pigalle, ou du sourcing des images. Chez Brut, qui fonctionne avec beaucoup d’images et de vidéos repérées sur internet, “la situation peut devenir catastrophique si on source mal”, confirme Roger Coste. “D’autant plus que les marques nous font également confiance là dessus. Ne pas vérifier les infos serait du suicide, le consommateur moyen de Brut ne serait plus là si nous n’étions pas réglo sur ce point.”

 

La fin des communiqués de presse ?

Ces nouvelles interactions entre entreprises et médias signent-elles la fin des méthodes plus traditionnelles, comme les conférences de presse, les communiqués ou encore les voyages de presse ? Les avis divergent.  

Pour Roger Coste de Brut, “les communiqués de presse, c’est terminé”. Brut a un service de programmateurs qui continuent d’en recevoir de la part de partis politiques et de certaines marques, mais ils travaillent beaucoup plus avec des marques sélectionnées pour faire de la communication différente, plus “pédagogique”. Armelle Le Goff de 20 Minutes reste quant à elle convaincu de leur utilité : “à mon sens, cela reste le plus efficace aujourd’hui quand on veut faire parvenir une information essentielle et au plus grand nombre”. Elle note cependant qu’il reste beaucoup de choses à faire au niveau du brand content pour proposer un travail de création intéressant pour les rédactions et les services de création marketing. “C’est dans cet esprit que nous avons collaboré avec la SNCF, nous avions réalisé un contenu assez classique, avant de créer des communautés spécialisées sur Facebook pour les passionnés des chemins de fer.”   

Céline Pigalle, de BFM TV, reste elle aussi convaincue de l’intérêt du communiqué de presse, même si elle lui reconnaît des limites, notamment en cas de besoin d’une réponse extrêmement rapide. Elle insiste surtout sur l’aspect humain de la communication “en parallèle du monde digital, cela reste indispensable de voir les gens en face-à-face et d’avoir leur numéro.” Selon elle les conférences de presse ont également toujours leurs sens dans des secteurs comme l’événementiel. “Chacun de ces exercices a un intérêt je pense, mais il faut savoir être efficace et inventif.”

Dans le cas des médias spécialisés, comme MAD, Nicolas Pellet rappelle que l’exercice est un peu différent : “Nous recevons beaucoup de communiqués, et une grosse partie de notre travail est de faire remonter ces informations.” Les communiqués de presse et les conférences restent ainsi essentiels pour la presse spécialisée et professionnelle, mais ça n’est pas non plus une raison pour s’y cantonner : “Chez MAD, on travaille sur un univers créatif très marqué, donc on va essayer de repenser avec les marques comment présenter les collections, on est amené à faire des opérations qui dépassent les relations traditionnelles entreprises/presse. On parle ainsi beaucoup et en direct avec les services RH..”

Cela veut-il dire qu’il faut que les rédactions et les services relationnels fusionnent ? La question n’est pas nouvelle, mais reste plus que jamais d’actualité. Pour ce qui est de l’état actuel des choses, chez 20 Minutes la réponse est catégorique : “ce sont deux services séparés, ils le resteront, mais ce sont deux services qui ont une très forte créativité”, explique Armelle Le Goff. Même son de cloche chez BFMTV, où la séparation entre les deux services est très marquée.  

En revanche, chez MAD, “c’est tout l’inverse”, explique Nicolas. “Nous restons un vrai groupe de presse avec une forte culture journalistique, mais notre modèle est protéiforme, avec à la fois des journalistes et des concepteurs rédacteurs qui ne sont pas du tout compartimentés.” Il faut dire que le modèle économique de MAD est basé sur le brand content : “on sait que ce que les annonceurs viennent chercher c’est avant tout un savoir-faire, une certaine patte et un ton. Pour réussir à faire cela, il faut mobiliser les deux équipes, journalistes et créatifs, donc la frontière est assez floue entre les éditeurs et les commerciaux.” Attention cependant, il ne faut pas faire cela n’importe comment : l’enjeu est de donner du sens aux publicités, et surtout qu’elles soient facilement identifiables.

La visibilité des publicités et du brand content, un point sur lequel Roger Coste de Brut est tout à fait d’accord : “ même si les deux services sont complètement séparés et que la rédaction n’intervient pas, on publie quand même sous le nom de Brut donc il faut que cela respecte un cahier des charges très précis. Pour que ça marche, il faut que le contenu soit sincère et authentique”.   

La fin de la frontière journalistes / communicants ?

Non seulement les pure players d’informations reçoivent la majorité de leur trafic grâce aux réseaux sociaux, ils sont également de plus en plus à ne pas avoir de site web et à fonctionner uniquement grâce aux réseaux, comme Facebook, Instagram, YouTube ou encore Snapchat. Cette présence uniquement en dehors des sites webs change-t-elle la façon dont les communicants interagissent avec les journalistes ?

Armelle Le Goff se souvient de l’arrivée de Twitter dans les rédactions, vécue comme “ une vraie révolution, qui tout d’un coup rendait beaucoup plus abordables les hommes et femmes politiques “, eux aussi très friands du réseau social. Nicolas Pellet se montre lui plus mesuré, en soutenant qu’au final cela ne change pas grand chose dans les RP : “entre un texto et un DM, il n’a pas grand chose de différent au final, on pouvait déjà faire ça avant. Les réseaux sociaux ajoutent juste un canal différent par lequel passer, mais je ne parlerais pas de révolution.”  

La crise que traverse actuellement la presse signifie-t-elle la fin des journalistes et la fin de la limite avec la communication ? Armelle Le Goff le reconnaît, la crise est “assez importante pour les médias. J’étais très choquée par les remarques du monde politique, qui a ouvertement insulté BFM TV pendant la crise des Gilets Jaunes. Au final chaque acteur veut qu’on les écoute eux plutôt que leurs voisins, mais nous ne sommes pas les porte-parole des gens. Les médias ne sont pas là pour raconter la vie de chaque individu mais une vie collective, qu’on vit tous ensemble et c’est essentiel de ne pas perdre cet objectif de vue.”

Pour Céline Pigalle, la différence majeure entre communication et journalisme reste l’engagement : “en tant que journalistes, nous sommes engagés pour le dialogue entre les interlocuteurs, pour favoriser le débat, les questionnements. Nous ne sommes pas engagés pour une marque. Etre juste, c’est parfois dire une vérité qui dérange.” Et Roger Coste le confirme,  internet rend plus difficile que jamais le travail des directeurs et directrice de la communication au sein des entreprises : “ C’est un challenge très compliqué de contrôler cette communication parce que les réseaux sociaux font peur parfois, les fake news font peur à tout le monde, pas qu’aux journalistes.”