#CercleDircom #8 : Comm’ interne et réseaux sociaux : de très longues fiançailles ?

Les trois points à retenir : 

  • si le réseau social d’entreprise peine à trouver sa place, la comm’ interne doit pourtant se doter d’outils pour communiquer auprès de ses collaborateurs
  • la comm’ interne doit répondre à un double défi : mieux informer les salariés et soigner la culture d’entreprise
  • l’employee advocacy invite à repenser la barrière entre comm’ interne et comm’ externe sur les réseaux sociaux

En 2013, 75% des groupes du CAC 40 avaient un réseau social d’entreprise, selon les chiffres collectés par le JDN, et 70% d’entre eux considéraient ce projet comme « encourageant ou une véritable réussite », selon une étude Lecko. Six ans plus tard, le bilan est moins favorable. En cause : le taux d’utilisation de ces réseaux internes, qui ne décolle pas. Seuls 25% des managers, et une proposition encore moindre des autres salariés, les utiliseraient vraiment. Dès lors, comment adapter les outils de la communication interne ? À quoi sert un réseau social d’entreprise ? Comment faire en sorte qu’il soit adopté par les collaborateurs ?

Chez BETC, l’arrivée dans les nouveaux locaux de l’agence, les Magasins Généraux à Pantin, en 2016, a été l’occasion de repenser entièrement la façon de travailler, et donc, de communiquer en interne, comme l’explique Charlotte Levy-Frébault. Partir d’un quartier animé de Paris pour la proche banlieue, une zone moins dense en commerces et restaurants, a entraîné une réflexion sur les propositions de services à destination des collaborateurs – notamment un concept de cantine inédit avec une cheffe résidente et des  chefs invités. Côté comm’ interne, une application a été entièrement créée en interne pour faciliter la vie dans ces locaux de 20000 m2 : page d’accueil avec la météo, accès aux contacts de l’ensemble des collaborateurs, affichage de son emploi du temps, du menu de la cantine, de news, système de « push »… Certains codes des réseaux sociaux ont été intégrés dans cette application. 

« Penser réseau social dans l’entreprise, c’est parler autant d’espaces physiques comme la machine à café, les événements internes que d’immatériel derrière des interfaces qui sont souvent des écrans », abonde Bertrand Billoud, Head of Marketing Communication chez Kisio Digital. Cette filiale numérique du groupe Keolis – lui-même filiale de la SNCF – utilise certains outils en complément des outils utilisés par ses maisons mères (Keosphere et Yammer), ce qui peut parfois créer des difficultés en multipliant le nombre d’outils. Dans cette entreprise d’environ 140 personnes, c’est la messagerie Slack qui a été plébiscitée pour sa facilité d’usage, notamment dans le partage de fichiers, l’envoi de messages par « chaînes », individualisés ou par groupe de personnes et la possibilité de regrouper les sujets par hashtag comme sur Twitter. 

Chez Gecina, l’intranet est actuellement en cours de refonte pour passer d’une « plateforme de partage de l’information, très top-down, avec un CMS rigide » à une « nouvelle marque, plus proche des clients-collaborateurs, avec pour objectifs : fédérer et retenir les talents », explique Sarra Gadiri, responsable communication digitale chez Gecina. Après un benchmark des solutions existantes, le choix de Gecina s’est porté sur l’outil développé par LumApps : « nous sommes en train de repenser la comm’ interne, qui est parfois vue comme un service, pour la transformer en un outil d’acculturation des collaborateurs dont le but est d’informer, diffuser et faire participer à la transformation de l’entreprise  », poursuit Sarra Gadiri. L’enjeu est de, progressivement, rationaliser les contenus produits et les points d’accès à l’information en faisant de l’intranet le média indispensable des collaborateurs dans leur usage quotidien professionnel. 

En finir avec l’infobésité et le trop-plein de mails

De l’avis des participants, un réseau social d’entreprise doit aussi servir à éviter la multiplication des mails « polluants » : rassembler le contenu, tout en favorisant l’autonomie dans la recherche et la communication entre collaborateurs. Ce dernier point – la façon dont les employés communiquent entre eux, en interne – varie en fonction de la culture d’entreprise et de sa taille. Ainsi, Charlotte Levy-Frébault (BETC) évoque l’existence d’un outil « off », un forum où se cultivait un art d’« amuser la galerie », de se charrier entre collègues, à l’époque où l’agence comptait environ 450 salariés. « Aujourd’hui, c’est plus compliqué avec 1 200 personnes mais nous essayons de faire en sorte que l’ADN de l’agence perdure », poursuit la Dircom de BETC. Bertrand Billoud se rappelle qu’à son arrivée, Kisio Digital cultivait une grande liberté de parole et d’action, sous l’élan du CEO qui « allait régulièrement sur le réseau social interne, likait des messages, diffusait, commentait, passait aussi sur l’open space pour saluer les personnes à leur poste… » L’appétence personnelle du CEO pour ces outils et sa manière de communiquer semblent influer sur l’adoption et l’usage du Réseau social d’entreprise. Un certain mimétisme peut parfois s’opérer.

Ainsi, l’implémentation de Workplace (Facebook) chez Danone a été poussée directement par son PDG Emmanuel Faber. Le réseau social est utilisé pour valoriser les réussites des collaborateurs, mettre en avant certaines actions… faire communiquer comm’ externe et comm’ interne. Si l’implication du CEO a son importance, Bertrand Billoud (Kisio Digital) estime qu’il y a désormais besoin d’employee advocacy, de collaborateurs ambassadeurs prêts à s’engager, mener la conversation, partager les bonnes informations aux bonnes personnes. 

L’implémentation d’un réseau social d’entreprise porte toutefois une contradiction : si le but d’un RS est de capter le temps et l’attention de ses usagers, l’entreprise cherche au contraire à faire gagner du temps aux collaborateurs et à améliorer leur productivité. Charlotte Levy-Frébault (BETC) insiste plutôt sur l’aspect « facilitateur et d’agréabilité pour le salarié » de l’application interne. La dimension de culture, d’échange via messageries existe quant à elle avec l’outil Teams. Pour autant, la Dircom de BETC déplore ne pas avoir trouvé la « recette miracle » pour éviter la pollution des mails. Bertrand Billoud (Kisio Digital) voit dans l’outil Slack la possibilité de diffuser une information plus facilement et de manière plus efficace que les mails, en ciblant grâce aux groupes et aux fonctionnalités de l’outil de messagerie. 

Stimuler l’employee advocacy

Dans cette même problématique d’information, Sarra Gadiri (Gecina) soulève la difficulté à s’adresser à l’ensemble des collaborateurs (« du gardien d’immeuble au membre du COMEX ») dont la culture numérique n’est pas homogène. « Nous pensons recruter un rédacteur en chef pour la comm’ interne de façon à animer et à impulser une dynamique à tous les niveaux de l’entreprise. » Pour faciliter le partage d’informations, Gecina utilise SharePoint (Microsoft) afin d’héberger les fichiers ressources. Chez BETC, un intranet nommé « Machin » concentre les informations par mots-clés (congés ou RTT, « boire et manger »…). Tous soulignent l’importance d’un moteur de recherche efficace pour éviter, ou du moins atténuer, l’ « infobésité » qui guette la comm’ interne. 

La création et la mise en place de ces outils internes impliquent souvent un dialogue entre les DSI et services de communication, et nécessitent de trouver le juste milieu entre un cadrage des informations (charte graphique, éditoriale etc), la préservation de la culture d’entreprise et la création d’espaces de liberté pour l’expression des collaborateurs. « Il faut accompagner les salariés dans le changement, souligne Charlotte Levy-Frébault, nous l’avons constaté avec le changement de locaux : les nouveaux outils et les nouvelles façons de travailler peuvent avoir des effets anxiogènes sur certaines personnes. » Chez Gecina, ce travail consiste à accompagner les pratiques communautaires digitales, encore peu présentes. 

Par extension, lorsqu’on parle réseaux sociaux et comm’ interne, se pose la question des réseaux sociaux dits « publics », externes, comme il a déjà été question plus haut. Se croisent alors les enjeux d’employee advocacy, de marque employeur, de reconnaissance ou fierté des salariés envers leur entreprise, mais aussi de bonnes pratiques à adopter. Si certains collaborateurs moins sensibilisés au numérique pourraient bénéficier d’une « éducation » à l’usage des RS, cela engage également le libre arbitre de chacun dans la production de ses contenus sur Internet. In fine, se dessine la question subsidiaire de la porosité entre vie professionnelle et vie personnelle sur les RS des collaborateurs. Où poser la frontière ? Un prochain enjeu à débattre avec le Social Media Club.

Elise Koutnouyan