Cycle « Jusqu’où ira l’influence ? » #2 Employee Advocacy : des influenceurs aux ambassadeurs

Ce qu’on retient des échanges :

  •     Les employés d’une entreprise ont un potentiel d’influence plus important que les influenceurs externes
  •     L’employee advocacy est avant tout la conséquence d’une bonne politique RH et d’une fierté d’appartenance à l’entreprise
  •     Les entreprises adoptent une posture d’accompagnement et de pédagogie vis-à-vis de leurs salariés pour valoriser leur parole en ligne

Alors que le marketing d’influence occupe une part grandissante de la communication des entreprises, et devrait peser 10 milliards de dollars d’ici 2020[1], l’employee advocacy devient un levier de plus en plus central pour dynamiser l’influence. Cette stratégie visant à encourager la prise de parole des salariés, pour qu’ils deviennent des ambassadeurs naturels de l’entreprise sur les réseaux sociaux, porte ses fruits et génère désormais des budgets conséquents. « C’est un travail à temps plein depuis un an », annonce d’emblée Christiane Tran (Orange). « Autrefois, quand je travaillais sur les réseaux sociaux du groupe, cela occupait peut-être 10% de mon temps de travail, aujourd’hui cela nécessite un poste à part entière. » Pôle Emploi a par exemple également détaché Thibault de Maäyer de la communication digitale pour travailler exclusivement sur cette question.

Si les structures qui consacrent un poste à temps plein à l’employee advocacy semblent encore minoritaires en France, elles sont de plus en plus nombreuses à s’y intéresser ou essayer de l’activer. Car l’intérêt est très concret : 54% des internautes européens confient avoir confiance en les informations relayées sur les sites web des entreprises. Ils sont neuf sur dix à accorder du crédit aux informations publiées sur les réseaux sociaux lorsqu’elles sont relayées par l’une de leurs connaissances[2]. « Lorsqu’on travaillait sur l’évolution et la modification de la ligne éditoriale avec la direction, on s’est rendu compte que nous avions de plus en plus d’engagement sur nos publications officielles. Ce qui est logique vu le nombre de salariés – 90 000 en France et 150 000 dans le monde – que nous avons », raconte Christiane Tran (Orange) qui a créé un dispositif de salariés influenceurs,  sélectionnés et sollicités pour devenir des moteurs de l’employee advocacy. « On s’est rendu compte que nos employés pouvaient devenir une force de frappe énorme. Donc nous avons sélectionné et contacté une quarantaine de salariés en leur demandant s’ils voulaient faire partie du programme. Ce sont des gens qui étaient déjà à l’aise avec les réseaux sociaux, avec au moins 1 000 abonnés sur twitter par exemple. Nous leur proposons entre autres d’animer des ateliers ou des rencontres avec d’autres salariés », développe-t-elle. Et ce genre d’approches peuvent se révéler particulièrement efficaces : 61% des consommateurs se déclarent plus susceptibles de rechercher un produit ou un service recommandé sur les réseaux sociaux par un ami, contre 36% pour les influenceurs (Sprout Social 2018). Surtout, le contenu partagé par les collaborateurs génère huit fois plus d’engagement que le contenu partagé par la marque (Vanksen 2019).

 

« Je crois qu’aucun collaborateur ne veut être ambassadeur au point de partager tout le contenu de l’entreprise. L’idée n’est pas de les transformer en homme sandwich qui relaie tous les contenus corporate automatiquement. Il faut avant tout donner de la fierté et de l’engagement aux salariés. » Florent Hernandez (Sociallymap)

 

Si l’employee advocacy est donc un levier redoutable pour dynamiser la communication d’une entreprise, d’une marque ou d’une organisation, elle est difficile à maîtriser et relativement imprévisible. « Le frein principal que l’on peut rencontrer, c’est une direction qui veut remplacer la communication par l’employee advocacy parce que ça coûte moins cher », décrypte Florent Hernandez, qui accompagne au quotidien des entreprises et marques dans le développement de leur stratégie employee advocacy. « Ce genre de raisonnements est l’erreur à ne pas faire, car il n’y a pas de valeur ajoutée à ce type de programmes et les salariés n’y ont aucun intérêt. L’employee advocacy passe avant tout par une bonne politique RH de transparence, de bien être au travail et de sentiment de fierté d’appartenance à l’entreprise. Elle arrive en dernier lieu, une fois que tous ces préalables sont déjà réunis. Si les employés se sentent déjà engagés, alors peut-être qu’ils partageront du contenu », poursuit-il.

 

VALORISER LA PAROLE DES SALARIÉS

 

D’une entreprise à l’autre, les solutions et les approches varient. Certaines s’appuient principalement sur la présence en ligne de leurs dirigeants, comme CANAL +. « Nous avons déjà quelques personnalités très actives en ligne comme Maxime Saada, et nous accompagnons d’autres talents comme Laurent Weil qui vient de se lancer sur Instagram. Ensuite, nous avons des salariés à qui il faut redonner de la fierté d’appartenance au groupe », explique Marie Laleian, responsable veille digitale et e-réputation chez Canal+. D’autres débloquent des budgets importants et cherchent à solliciter l’ensemble des salariés, avec des ateliers de formation et sensibilisation notamment. « Évidemment nous aimerions que tout le monde, du technicien terrain au cadre, soit actif sur les réseaux sociaux, mais ce n’est pas encore le cas », confie Christiane Tran (Orange). « Il y a encore beaucoup de craintes, certains salariés s’autocensurent eux-mêmes en ne sachant même pas qu’ils ont le droit de s’exprimer sur leur travail. Nous leur disons que non seulement ils ont le droit, mais qu’en plus nous les y encourageons. D’autres ne veulent tout simplement pas, car ils ne voient pas leur intérêt personnel à le faire », explique-t-elle.

 

« Il y a en général 10% des salariés qui sont totalement réfractaires aux réseaux sociaux. Puis il y en a 10% qui sont très à l’aise, et qui doivent servir de moteur pour les 80% restant qui sont plutôt dans l’appréhension et la crainte. » Florent Hernandez (Sociallymap)

 

L’enjeu pour les personnes en charge de l’employee advocacy vise donc à faire de la pédagogie, en expliquant notamment aux collaborateurs l’intérêt personnel qu’ils peuvent avoir à s’exprimer sur les réseaux sociaux. « Nous avons une fabrique à belles histoires de retour à l’emploi, et on veut donner à nos collaborateurs le moyen de les raconter », explique Thibault de Maäyer (Pôle Emploi). « Au niveau local, nos collaborateurs deviennent des ambassadeurs sur leur territoire, les directeurs d’agence sont par exemple très influents auprès des politiques et de la presse. Nous essayons de valoriser cela, en faisant comprendre à nos collaborateurs qu’ils peuvent se positionner en tant qu’expert de l’emploi, tout en faisant un bon travail de veille sur la transformation numérique et le monde du travail de demain », détaille-t-il.

Pour parvenir à cet objectif, un mot clé fait l’unanimité : l’accompagnement. Les chartes d’utilisation des réseaux sociaux circulant en interne semblent aujourd’hui bannies, et remplacées par des guidelines, des conseils de bonnes pratiques et erreurs à éviter. L’idée étant de pousser les salariés à s’exprimer de façon libre et autonome. « Beaucoup de collaborateurs ne savent même pas que c’est autorisé de parler de son travail et de l’entreprise sur les réseaux sociaux. L’objectif est donc de rassurer, puis d’acculturer un maximum de salariés en commençant par les communautés. On va les orienter sur une posture et des bonnes pratiques plutôt qu’un cadre », résume Christiane Tran (Orange).

 

« Suite à une campagne de communication digitale, la part de voix de nos salariés pouvait représenter jusqu’à 60% des mentions sur les réseaux sociaux. » Christiane Tran (Orange)

 

L’employee advocacy est donc efficace, mais souvent freinée par des mécanismes de crainte, autant de la part des salariés eux-mêmes que de certaines directions. «La politique était auparavant de fortement limiter l’expression des collaborateurs sur les médias sociaux », raconte par exemple Guilhem Boyer, Social Media Manager de Safran. « Mais nous avons évolué, en diffusant des guidelines en interne et en accompagnant des membres du comité exécutif sur Linkedin », poursuit-il. De fait, la peur du bad buzz est encore très présente dans certaines structures. Celles ayant misé sur l’employee advocacy assument au contraire une forme de lâcher prise, tout en surveillant de très près ce qui est publié. « Je fais une veille par mots clés pour voir si ce qui est publié est cohérent avec la ligne éditoriale », raconte Thibault de Maäyer (Pôle Emploi). « Par principe, je ne valide pas ce qui est méchant ou insultant, mais les salariés partagent ce qu’ils veulent. Je n’ai aucun moyen personnel de leur interdire de partager un contenu de presse qui va critiquer l’établissement par exemple », détaille-t-il. « Nous avons essayé d’avoir recours à des outils de publication, à des mails hebdomadaires pour pousser les gens à tweeter, et ça ne fonctionnait pas très bien. Au final, nous sommes aujourd’hui dans une approche plus longue, où l’on prône la voix des salariés en leur disant que leur voix compte. Les événements comme Vivatech sont par exemple des leviers intéressants pour encourager cette posture », abonde Christiane Tran (Orange).

 

POROSITÉ ENTRE COMM’ INTERNE ET EXTERNE

 

Une stratégie d’employee advocacy efficace repose donc avant tout sur un important travail en interne. « Les meilleurs programmes que nous accompagnons sont ceux où il y a une importante composante RH », tranche Florent Hernandez (Sociallymap). L’employee advocacy passant largement par des ateliers de formation, des temps de rencontre, et la diffusion de conseils en interne, un outil unique et universel ne s’impose pas. Florent Hernandez explique d’ailleurs que l’essentiel de son travail consiste à développer des solutions sur mesure. « Notre outil ne remplace jamais un intranet ou un chat interne à l’entreprise, il vient s’y greffer. Les accompagnements varient d’une structure à l’autre, dans une entreprise comme Adidas, chaque contenu est partagé 10 000 fois par les salariés et ça ressemble plus à de la veille. Dans des startups de cinq employés, on va plus chercher à raconter des histoires individuelles », illustre-t-il. « Il y a souvent un effet boule de neige dans l’employee advocacy. Beaucoup de salariés commencent à s’exprimer après avoir vu leurs collègues le faire. C’est là-dessus que nous essayons de capitaliser, en identifiant les personnes naturellement à l’aise avec les réseaux sociaux et en accompagnant les plus réticents », résume enfin Florent Hernandez (Sociallymap).

Si les leviers d’action se situent en interne dans un travail humain relationnel avant tout, il existe quand même des blocages techniques. La RGPD interdit par exemple aux entreprises de croiser une base de données interne avec un listing sur les réseaux sociaux. « Pour identifier nos collaborateurs, nous les encourageons à se présenter eux-mêmes comme salariés Orange sur leurs comptes, autrement nous n’avons aucun moyen de les distinguer », explique Christiane Tran. Un autre blocage vient également du fait que beaucoup de salariés ont encore du mal à visualiser l’aspect transversal de l’employee advocacy. « Quand nous diffusons des guidelines réseaux sociaux par mail, beaucoup voient encore cela comme de la communication interne. Alors que l’engagement est beaucoup plus large que du partage de contenus sur les réseaux sociaux », analyse Christiane Tran (Orange). Aujourd’hui, Orange pousse par exemple la logique jusqu’à former certains de ses cadres à la production de vidéo mobile. « Idéalement, il faudrait que l’on industrialise cette logique de salariés influenceurs, et qu’elle se répande dans tous les corps de métier du groupe. Pour les boutiques et les centres d’appel, nous recherchons encore des solutions adaptées. Mais la prochaine étape serait qu’un compte officiel du groupe puisse reprendre le contenu d’un salarié », s’enthousiasme Christiane Tran (Orange). En fondant de plus en plus les frontières entre vie individuelle et vie d’entreprise, l’employee advocacy joue aujourd’hui un rôle central dans les stratégies de communication des entreprises.

 

[1] https://www.socialbakers.com/social-media-content/studies/most-important-social-media-trends-to-remember-in-2019

[2] https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/02/24600-et-si-la-notion-dengagement-etait-depassee/