Cycle : « Nouveaux formats » #2 Quel avenir pour la story ?

Ce que l’on retient des échanges :

  • La notion Test & learn est consubstantielle aux réseaux sociaux, mais elle prend un sens particulier sur un format en évolution comme la story
  • Le parcours utilisateur est extrêmement important dans les réseaux sociaux, il faut penser à l’action suivante, on ne fait pas une story pour faire une story
  • Avec la story l’utilisateur doit être embarqué dès la première frame, contrairement aux formats classiques on n’a pas le temps de développer une histoire

Les chiffres autour de la story donnent le vertige, 14 millions de français utilisent Snapchat tous les jours, 80 % ont plus de 18 ans et l’application est utilisée 30 fois par jour. En élargissant au niveau mondial, les stories d’Instagram et de Facebook agrègent 500 millions d’utilisateurs quotidiens (Hootsuite 2020), 218 millions d’utilisateurs quotidiens (chiffres Snap – résultats financiers Q4 2019), TikTok revendique 800 millions d’utilisateurs actifs  (Digimind 2019) et au-delà, une mesure simple : le nombre de stories a dépassé le nombre de posts classiques (TechCrunch 2019). Le décor est planté : la story cannibalise massivement l’usage du social media, « elle incarne assez bien toutes les possibilités créatives que l’on peut développer sur les réseaux sociaux, ce qui pose des questions de créativité, de performances et innovation » résume Karine Sentenac, directrice générale – Head Coach Content au sein de l’agence Insign. Alors qu’elle s’installe déjà comme la nouvelle norme, la story est de fait au carrefour de nombre d’interrogations en termes de contenus.

 

DÉFINITION

La genèse de la story est simple : « Le pari de Snapchat c’était de créer un outil de communication instantané sur mobile, nous sommes clairement de la génération qui n’a pas connu l’ordinateur. Le mobile on le tient à la verticale, cette verticalité nous tient à cœur et c’est devenu le standard » détaille Patrick Heneghan, directeur marketing France au sein de Snap Inc. Cette définition originale de la story a déjà connu quelques modifications ce qui amène la question ; où va la story, vers quoi va la story ? Le format court est une des composantes de départ d’un média conçu pour sortir du One2One en permettant l’envoi d’une vidéo éphémère à une liste d’ami, mais par exemple, fin 2018 Snapchat a lancé son format « Shows » ouvert à des partenaires media qualifiés. Konbini de son côté travaille à des extensions, en début de mois Twitter a racheté Chroma Labs fondé par d’anciens d’Instagram et de facebook et qui permet d’éditer des stories etc…En clair les marques et médias doivent s’adapter à un format de rupture qui est lui-même en mouvement.

IMPÉRATIFS DU 9/16

Conçue exclusivement pour le mobile, la story est verticale, en 9/16, ce qui implique pour les agences et les marques, la prise en compte d’une nouvelle écriture visuelle spécifique, ce que résume parfaitement Olivier Duband, Head of Social Media chez TF1 Pub « Pour nous, qui sommes le temple du 16/9 lorsque nous avons vu l’avènement du format vertical, c’était une rupture. La story est en 9/16, la première problématique a donc été : comment est-ce qu’on peut faire vivre sur la partie sociale, des formats qui fonctionnent en télé sans revenir à des logiques de production dédiée ? Comme tout le monde, nous avons essayé de simplement recadrer une 16/9 pour en faire un 9/16, le rendu n’est pas toujours optimal. Il a fallu nous adapter » ce que confirme Emmanuelle Rey Magnan, fondatrice du studio de production londonien Story Island Ltd « je fais du 16/9, du 90 minutes, des séries télé, pour créer Story Island. J’ai embauché une équipe de millenials sortant d’écoles de cinéma, mais pas encore trop formatés par les habitudes de prod. Lorsque j’ai dit à mes équipes que nous allions tourner en vertical, tout le monde m’a dit que c’était impossible, puis ils se sont approprié le format ». À noter que si le format 9/16, ne fait plus débat, la notion de persistance, de feed, elle, est importante. Elle permet de raconter une histoire avec plus de profondeur, et s’inscrit également dans le souci d’insérer la story dans un parcours. L’exemple de Youtube est cité, lorsque des influenceurs procèdent par épisode, la publication d’un épisode génère toujours, par ricochet, des vues sur les épisodes précédents.

NARRATION
Si la verticalité est l’apparent premier élément créatif à prendre en compte, la rupture de fond avec les médias basés sur des écrans fixes touche à la forme narrative, laquelle est sanctionnée par une interface utilisateur qui laisse peu de deuxième chance « c’est un peu du Usain Bolt, soit on va bien partir et on va réussir à capter l’attention sur l’intégralité de la story, ou soit c’est fini parce que juste avec la pulpe de notre doigt on va passer à la story suivante, c’est beaucoup plus puissant qu’un swipe qui génère un mouvement plus long, là une petite impulsion suffit » résume Olivier Duband (TF1Pub) »

« En termes de performances, c’est un niveau de lecture totalement différent, la complétion n’est pas comparable à celle d’un format classique ou on a le temps de développer une belle histoire. Avec la story on n’a même pas les 3 premières secondes pour embarquer les gens il faut les embarquer dès la première frame. La narration est totalement différente » Olivier Duband (TF1Pub)

 

Cette quasi-dictature de la première frame, qui implique une primauté de l’histoire racontée, sur la marque, est lourde d’implication pour les marques habituées à être présentes dès la première seconde. La story est un média qui impose pour que le transfert de valeur opère, de rendre l’histoire la plus intéressante possible immédiatement.

Si elle a ses exigences, cette nouvelle forme narrative ouvre des champs créatifs nouveaux, éventuellement complémentaires de productions destinées à des médias traditionnels « Nous créons des séries et des personnages, ce qui se prête très bien aux stories. L’idée est de faire sortir nos séries d’un format traditionnel, maintenant on a aussi des comptes dédiés, chaque série, chaque personnage a un compte personnel et on tourne des mini épisodes qui permettent de suivre le personnage, un peu comme si un fan de Friends pouvait suivre l’Insta de Chandler, celui de Joe, etc.. » explique Emmanuelle Rey Magnan (Story Island Ltd). Point qui n’est pas anodin dans cet usage de méta-story, qui vient en complément d’une série principale, le budget de la partie story est de 50 fois inférieur à la production principale, sans perdre en qualité et en touchant une autre cible.

ENJEU STRATÉGIQUE

Parmi les questions stratégiques que pose la story, il y a d’un côté celle de son intégration dans une stratégie globale et de l’autre sa performance. Vraisemblablement du fait de la relative jeunesse du format et de l’ambiguïté de son positionnement entre utilisateurs et moyen de communication, entre marque et utilisateurs, toutes les plateformes ne fonctionnent pas de la même façon. Les stories ne défilent pas automatiquement chez Snapchat, alors que le défilement est automatique chez Instagram par exemple. Les KPIs sont difficilement comparables d’une plateforme à l’autre, puisque les usages possibles varient d’une plate-forme à l’autre, comme l’explique Patrick Heneghan (Snap Inc.) « Nous n’avons pas de page de marque sur Snapchat. Les marques sont présentes dans des espaces publicitaires clairement définis comme tels. Les Stories se trouvent dans la partie Discover, avec les contenus produits par les éditeurs partenaires et les influenceurs ».

Les metrics classiques sont peu adaptés à la story dont l’objectif est précisément d’une part de s’inscrire dans un ensemble, de générer de l’engagement et qui d’autre part répond à des impératifs de captation immédiate de l’audience. Pour Patrick Heneghan « si on diffuse à large échelle, il faut accepter le fait que la majorité des personnes vont zapper au bout de 2 secondes et passer à autre chose, ce qu’on veut travailler c’est le reste ». Cette valeur est confirmée par Olivier Duband « il y a quelques mois, quelques années, on était sur de la complétion, mais avec les stories la complétion est vertigineuse, et pas dans le bon sens, parce que les gens partent très rapidement. Au début de la vidéo vue à 2 secondes, sur Instagram, le taux de complétion était celui cité… 80 % des personnes qui étaient parties, surtout sur des stories publicitaires avec la présence de marque exposée dès le début ,et le CPMV devenait stratosphérique. »

PARCOURS DANS LES MÉDIAS SOCIAUX

Si la story est la tête de pont qui assure le contact avec le consommateur, il est indispensable qu’elle soit intégrée dans un ensemble plus large. Pour Patrick Heneghan « Il y a une notion d’objectif . Le digital est un média d’intentionnalité, il faut toujours penser à ce que la personne va faire après. La consommation de la story n’est pas une fin en soi, on espère une action dernière, swipe vers quelque chose, visite d’un 218site, visualisation d’une vidéo plus longue, etc… ». Olivier Duband (TF1Pub) illustre l’efficacité de la story utilisée en collaboration avec d’autre médias sociaux au travers d’une campagne de grande ampleur « On a monté une campagne sur Snapchat avec MMA qui a bien fonctionné. On a dit à l’annonceur ,qui était mature sur le sujet, qu’on ne lui vendait pas de complétion, mais de l’engagement. C’était un projet de prévention pour les fêtes de fin d’année pour inciter les conducteurs à ne pas prendre le volant après avoir consommé de l’alcool. L’opération incluait une webapp pilotée par des influenceurs et qui permettait d’envoyer des canulars a des amis, Nous avons utilisé Instagram pour les influenceurs et Snapchat pour générer du trafic sur le site internet. Au final la campagne a été un succès, on a généré plus de 130 000 canulars en une semaine et l’engagement était là.  La clé était d’être clairs sur le parti-pris par rapport aux KPIs, dans ce cas ce n’était pas de la complétion, mais une visibilité massive ».

PUBLIC

Si les plateformes de stories s’adressent prioritairement aux millennials, plusieurs témoignages montrent que la story permet de générer de l’engagement, y compris avec des contenus qui pourraient être jugés peu susceptibles d’intéresser cette cible. Louisa Amara, Social Media Manager pour Axa Partners « il y a quelques années j’ai monté pour un site gouvernemental un calendrier de l’avent sur Snapchat qui portait sur un quiz administratif autour du sens civique, avec des questions du type “savez-vous ce qu’est le pavoisement des drapeaux ?”, nous avons été surpris par le nombre et la forme des réponses ». Ce constat est confirmé par Patrick Heneghan (Snap Inc.) « Snapchat est la première appli des 15-34 en terme d’utilisation quotidienne, et les jeunes qui utilisent notre plateforme sont intéressés par tout. Paris Match a fait certains de  ses plus beaux scores d’audience lors des décès de Johnny ou de Jacques Chirac, alors qu’on pourrait penser que les millennials ne sont pas intéressés par ce sujet ». Autre exemple, celui d’Arte. Pour se reconnecter avec les plus jeunes, la chaîne est allé sur Snapchat avec son format FAQ développé en tant que « show » sur la zone Discover de Snapchat. Le principe est simple : une question, assez fondamentale (Peut-on vivre ailleurs que sur Terre ? A-t-on le droit de tout dire ?) à laquelle à la fois des experts et la communauté répondent. Les KPIs anticipés ont triplé. L’intérêt pour Arte c’est de toucher un public qui ne regarde pas la télé. 20 Minutes a développé le même concept de mini-docu avec OMF, (Oh My Fake).

ENGAGEMENT/INFLUENCE

Un des atouts indéniables de la story est l’engagement qu’elle est capable de générer du fait de la sensation de proximité qu’elle génère. Cette caractéristique en fait l’outil idéal des influenceurs qui racontent leur vie, donnant par le biais d’une certaine mise en scène de soi, la sensation de l’intime. Pour l’anecdote, l’interpellation de la communauté peut parfois suivre des mouvements récursifs. Patrick Heneghan (Snap Inc.) cite l’exemple de Maître Gims qui poste à l’attention de sa communauté, des vidéos de capture d’écran de messages envoyés par des fans. Cette notion de proximité peut déboucher sur de nouveaux usages qui n’avaient pas été anticipé, comme le recrutement de nouveaux talents chez Emmanuelle Rey Magnan : « le contact direct avec le public est très nouveau pour les producteurs et les scénaristes. Nous nous servons aussi de la story pour faire des castings. Le monde de production est perçu comme obscur et intimidant, et ce format nous permet de toucher des gens qui n’auraient jamais su comment nous contacter et que nous n’aurions pas vus en temps normal. Actuellement nous avons recruté trois personnes par ce bais ». Petit point ajouté par Louisa Amara (Axa Partners) « Un des atouts de la story pour la communication directe avec les publics est la notion de proximité qu’elle génère. Elle est amplifiée par l’éphémère de la publication qui invite à réagir de suite, à quoi s’ajoute la personnalisation de la réponse personnalisée dans le style éventuellement reconnaissable de l’influenceur auquel on a écrit. C’est infiniment plus grisant qu’un contact anonyme avec un Community Manager. »

RÉEL/PROXIMITÉ/FICTION

La sensation de proximité pose, pour les stratégies de marque, la question de la place de la fiction dans les story. Est-ce que le réel seul est suffisant pour susciter l’intérêt, ou est-ce que la fiction doit venir en support d’un réel, pas toujours glamour ? Ottavia Palomba, Communications Consultant pour Karl Otto, fait remarquer qu’« entre fiction et temps réel il y a l’éditorialisation. Celle-ci est globalement permanente ». En pratique, une story de marque ou d’influenceur, c’est rarement du réel, mais dans le même temps les utilisateurs sont de plus en plus capables de le détecter. Dans une certaine mesure on peut considérer la notion d’authenticité comme une posture dès lors qu’une marque est en jeu, comme l’explique Olivier Duband (TF1Pub) « l’absence de narration devient dans la norme, quelque chose de préparé. Il y a des marques qui vont dire “ok vous avez carte blanche vous pouvez faire ce que vous voulez”, mais nous avons quand même des impératifs de marketing, des guidelines, qui dépendent du degré de maturité de la marque et de la prise de risque possible ».

LE FUTUR

En essayant de faire un peu de prospective, quel est le futur de la story ? Pour Emmanuelle Rey Magnan (Story Island Ltd), maintenant que les questions de production sont à maturité, la story doit être promue comme un moyen de véhiculer des valeurs, plutôt qu’un moyen d’afficher des logos « Au départ on a validé le mode de production de la story. On cherche maintenant à le déployer. Il y a le placement de produit, on peut l’inclure et le vendre directement depuis le film. Nous pensons surtout que pour une marque qui a une communauté significative, ça peut être intéressant de leur proposer une série, qui ne soit pas de la publicité. Les marques  veulent faire passer leurs valeurs, c’est des choses qu’on peut faire passer dans une série sans montrer le produit. ». Diana Liu (Medialab de France TV) ajoute qu’elle vient de réaliser un reportage sur l’usage de la story en Chine notamment chez Douyin, la version chinoise de TikTok (400 millions d’utilisateurs/jour). Les utilisateurs poussent à allonger la durée des vidéos qui étaient très courtes au départ, et à une professionnalisation des contenus.


« Le Futur est lié au passé. Pour nous la story est avant tout un objet de communication, un véhicule pour transporter plein de choses. Ce qui va continuer à changer c’est que nous avons ouvert les APIs , pour essayer de mettre des stories partout »  Patrick Heneghan (Snap Inc.)


Pour Olivier Duband « ..il est difficile de se projeter. Si demain Snapchat ou Instagram sortent une nouvelle fonctionnalité, cela remet les compteurs à zéro. Il faut garder en tête que ces formats sont avant tout des terrains pour les propriétaires de ces plateformes. La question est « qu’est ce que ces plateformes nous permettront de faire ? »  On est dans un Test & Learn permanent. A ça s’ajoute que les choses vont très vite. Si les téléphones pliables se répandent est-ce que demain le format d’un écran de téléphone ne sera pas carré ? En résumé la réponse est plus globale et dépasse la seule story » . La prospective c’est aussi l’intégration complète et mature  des nouveaux formats dans les stratégies digitales des marques. Le mot de la fin est pour le représentant de l’inventeur du concept, Patrick Heneghan (Snap Inc.) « Le futur est dans le passé, pour nous la story est avant tout un objet de communication qui reste un véhicule pour transporter plein de choses, nous ajoutons des fonctionnalités ( filtres, réalité augmentée, etc…) et surtout nous ouvrons des APIs qui permettent d’importer les stories Snapchat dans des applications tierces grâce à l’outil SnapKit. Je peux importer une story Snap dans Tinder si ça me semble utile. Même chose pour nos partenariats avec Netflix ou Spotify pour optimiser le partage dans un Snap du film que je regarde ou du morceau que j’écoute. »