Cycle “Nouveaux formats” #3 L’évolution des formats vidéos

Ce que l’on retient des échanges :

  • Un contenu spécifique par plateforme, avec une approche agile… Rien n’est gravé dans le marbre. In fine, l’approche est partiellement façonnée par le business model des plateformes.
  • La créa est importante, d’autant que dans un environnement digital elle n’est jamais figée, et reste testable en temps réel à tout moment.
  • Si l’UGC revient en force, l’interactivité, l’authenticité sont des facteurs centraux

La vidéo en social media est au croisement d’un nombre assez conséquent d’impératifs, voire de « dictatures » auxquels le producteur doit se soumettre, avec en contrepartie une agilité et une capacité de test beaucoup plus importante que pour les autres médias.

La première de ces « dictatures » est celle du court, « C’est très clair à chaque sortie de film ou de série,  on est globalement soumis à des contraintes qui exigent d’aller très très vite, si on n’est pas sur du live » explique Théo Diricq, Senior Marketing Product & Strategy Manager chez Warner Bros. « Il faut aller très vite, avec des rebondissement toutes les 5 ou 6 secondes, et ça, c’est quelque chose d’assez nouveau. Il y a 6 ans on avait le temps d’expliquer ce qu’était un film ou une série télé, maintenant si au bout de 5 secondes il ne s’est rien passé, les gens quittent. Pour moi, c’est la plus grosse évolution dans notre façon de faire des vidéos, qu’elles soient promotionnelles, éducatives, éditoriales, il faut que ça aille beaucoup plus vite, que les gens parlent plus vite, qu’il y ait plus de rebondissements et au bout de 25 secondes c’est fini, on a perdu tout le monde, sauf à faire du live ». Cette exigence concerne la longueur, mais également le rythme « avant les vidéos duraient en moyenne 1 minutes 30, aujourd’hui cela se joue sur 25/30 secondes.  Il faut désormais une blague toutes les 5 secondes alors qu’avant c’était toutes les 12 secondes ». 

Le live échappe à cette règle « .. sur Twitch, sur YouTube, cela peut durer une heure avec un influenceur, et encore les gens ne restent pas si ça ne rebondit pas assez vite ». Mathias Behaegel, fondateur du blog Tortuga vidéos et ex-reporter chez Michel & Augustin, confirme mais replace dans le contexte des exigences mouvantes des plateformes : « J’ai l’impression que cela a un peu évolué et que cela dépend aussi du réseau social, notamment sur YouTube et Facebook, avec la monétisation qui vient d’être ajoutée il y a quelques mois. Maintenant lorsqu’on publie une vidéo sur Facebook, une petite case qui s’affiche en rouge annonce “attention votre vidéo fait moins de 3 minutes”. Sur une vidéo courte, l’algorithme n’a pas le temps de placer une publicité, donc les réseaux sociaux nous poussent à créer du contenu qui soit un peu plus long, qui soit intéressant jusqu’au bout pour avoir un temps de watching plus important ». Théo Diricq (Warner Bros.) constate qu’après avoir longtemps incité à faire des vidéos de moins de 6 secondes, Youtube s’est rendue compte que ce format, disposant de metrics flatteurs, plaisait davantage aux adolescents qu’aux autres publics : « Dans cette stratégie, YouTube incite à la réalisation de vidéos plus longues, qui feront peut être moins d’audience, mais qui  attireront des publics plus qualifiées ».

Cet antagonisme entre longueur, business model de la plateforme et âge de l’audience, Sébastien Roumier, Managing Director chez Vertical Station l’aborde avec réalisme « Moins que la question de la longueur, qui est importante, ce qui fait que ça change, c’est la façon dont les plateformes ont formaté nos usages. Au départ, et pendant 3 ou 4 ans, Facebook a eu une soif de recrutement et il fallait absolument faire du reach et du 3 secondes. Depuis deux ans la demande à changé, on nous dit « il faut faire des vidéos de 3 minutes ». pour qu’ils puissent intégrer leurs algorithmes ». Son approche est pragmatique, d’autant que Vertical Station édite plusieurs plateformes communautaires leur permettant de tester des concepts « Ce que l’on tente de faire face aux plateformes c’est d’essayer de comprendre leur business model et derrière, la durée des vidéos les plus adaptées. En ce moment Facebook, Instagram poussent à fond IGTV et Watch. Donc avec des vidéos de 5 ou 6 minutes on a plus de chances d’être vus ».

« On a eu 4 ou 5 ans de travail assez classique où le seul effort à faire consistait à se demander comment ajuster la longueur pour garder les gens le plus longtemps. Depuis un an, un truc assez nouveau revient en force : l’UGC avec les nouvelles stories et plateformes dédiées » Sébastien Roumier (Vertical Station)

Autre tendance notable, l’UGC fait graduellement son grand retour. Pour Sébastien Roumier (Vertical Station) «  Nous vivons un petit retour en arrière avec le développement des stories, avec le développement de Twitch et de TikTok, toutes ces nouvelles plateformes reposent sur l’UGC. » Cependant il y a une différence important entre l’UGC historique et sa version 2020 : l’interactivité. « Il y a une évolution des modes de consommation de la vidéo » explique Melissa Simoni, Sales Director France, Belgique & Luxembourg pour Twitch « nous travaillons principalement avec des millenials, avec la genZ, c’est une audience qui regarde beaucoup moins tout ce qui est contenu télévisé, ils disent même qu’ils pourraient se passer de télé. Ils veulent de la consommation rapide. Ce qu’ils viennent chercher chez Twitch, c’est un contenu qui est live, qui est interactif, communautaire, où ensemble ils vont co-créer leur propre divertissement. On en arrive à une forme de social TV ». La marque Michel & Augustin a d’ailleurs intégré de façon empirique cette nouvelle appétence pour l’UGC, jusqu’à en faire une signature créative, comme l’explique Mathis Behaegel « chez Michel & Augustin on ne passe pas par des agences, tout est fait en interne y compris la création des vidéos qui colle bien à la démarche. J’appelle cela « la stratégie de l’influenceur ». Nous travaillons nos vidéos avec beaucoup de transparence et d’autodérision en montrant notamment qu’il n’y a pas de montage, comme si c’était un live ou une story mais en format plus long. La seule exception ce sont les tutos YouTube qui sont plus léchés. Mais sur Facebook, c’est clairement cette stratégie que nous avons adopté, avec des vidéos peu travaillées, non censurées, plus proche des gens. »

« Aucun indicateur en lui seul n’a de signification. On est obligé d’avoir une approche multifactorielle, le taux de complétion doit forcément être couplé à autre chose » Théo Diricq (Warner Bros.)

La question des KPI est doublement complexe dans l’évaluation des performances d’une vidéo. Les habitudes culturelles des audiences amènent à une réflexion marketing globale qui dépasse très largement la question du metric. Se pose également la question de la mesure de l’engagement sur des vidéos de moins de 10 secondes « Il y a un critère beaucoup mis en avant, c’est le clic, on peut savoir qui a cliqué, YouTube par exemple nous dit qui clique. Pour être complètement honnête, il n’y a pas vraiment de critère qui fait autorité. Classiquement le critère c’est le temps de visionnage, mais avec une vidéo de 6 secondes, surtout si c’est un format du type “Bumper” sur YouTube qui n’est pas skippable, on a pas d’information, il ne reste que le clic. Il reste un KPI incomplet. La personne peut être intéressée par un produit sans cliquer pour autant. Quelqu’un qui a vu une pub pour un yaourt ne va pas cliquer pour l’acheter immédiatement, en revanche lorsqu’il sera au magasin, on peut espérer que devant le rayon des yaourts il choisira celui-là. Mais ça on ne le sait pas », explique Théo Diricq (Warner Bros.). 

Avec son approche très user-friendly, la marque Michel & Augustin associe les plateformes et attache de l’importance à l’interaction  « Nous avons une audience plus âgée. On a adapté chaque vidéo à chaque plateforme, courte sur Facebook plus longue sur YouTube où l’on publie des tutos. Pour ce qui est de la mesure sur les vidéos publiées sur Facebook, on pouvait voir que ça fonctionnait bien au niveau des interactions, au niveau de la communauté qui interagissait beaucoup plus que sur YouTube. » détaille Mathis Behaegel. Selon  Stéphane Roumier (Vertical Station) « Il est compliqué de mesurer de l’engagement sur du moins de 10 secondes, c’est du clic ou du reach. Nous regardons la complétion, l’idéal étant 30-40 % autour de la minute avec des taux d’engagement de 10-20 % c’est-à-dire des gens qui vont consommer, commenter, partager, liker nos contenus. Le taux de complétion c’est un indicateur important, mais c’est aussi un trompe-l’oeil. La première chose qui fait qu’une personne reste ou skip c’est son habitude. Par exemple, les moins de 20 ans skippent très vite, même lorsque la vidéo leur plaît, parce que leur habitude c’est de quitter au bout de 5 secondes, et à l’inverse on a des tranches d’âge qui restent jusqu’au bout de 30 secondes et qui en fait ne sont pas du tout intéressées. Donc le taux de complétion est important, mais ça n’est pas une valeur absolue et ça dépend aussi de ce qu’on fait. »  Pour illustrer son propos, Théo Diricq (Warner Bros.) rebondit sur une question posée par Louisa Amara (Axa Partners), concernant la transposition de ces démarches dans un domaine B2B, loin de l’entertainment, comme l’assurance « Si le public est ciblé et qu’il regarde jusqu’au bout la vidéo ou le live, cela signifie que l’objectif est atteint, que vous allez vendre vos assurances. A l’inverse quand on vend un film ou une série télé, le taux de complétion seul n’est pas suffisant ».

La question de la complétion est d’autant plus complexe, qu’elle est également prise en compte par la plateforme pour le statut de la vidéo. « Sur Facebook, si en complétion on est en dessous de 30 secondes, l’algo pénalise, sur TikTok le métric est plus court, donc on le regarde à la fois parce que cela nous favorise vis à vis de l’algorithme et d’autre part pour nos clients qui veulent de plus en plus d’interactions, et de temps de watching longs devant leurs contenus » explique Sébastien Roumier (Vertical Station). « Pour TikTok, un des éléments les plus importants pour l’algorithme c’est le nombre de loop,  donc plus la vidéo est courte, plus la personne aura tendance à la regarder en boucle et si c’est le cas ça va augmenter sa valeur dans algorithme. » abonde  Mathis Behaegel (Tortuga Vidéos). Chez Twitch sur la partie paid, la complétion est excellente puisqu’une partie du revenu de la publicité diffusée en amont du stream est reversée au streamer. Pour sa communauté, regarder de la publicité est donc un moyen de le soutenir.

« La plupart des éditeurs ne sortent plus un film, une série TV ou un jeu vidéo sans faire plusieurs créa, des tests en permanence et de l’optimisation à la minute. » Théo Diricq (Warner Bros.)

La créa est fondamentale, mais dans le digital, elle est à mettre en parallèle avec le véritable laboratoire interactif que constitue le support : « C’est devenu la règle. Pour tous film ou promotion, il existe une série de créa. YouTube a même prévu un système d’Ad Sequencing permettant de lancer plein de petites vidéos différentes que l’on optimise en fonction de la réaction des audiences » explique Théo Diricq (Warner Bros.). «Nous testons beaucoup les premières idées, d’abord sur des panels. L’élément clé sur toutes les plateformes, c’est le hook, les 3 premières secondes, donc on teste des accroches différentes », explique Stéphane Roumier (Vertical Station). Twitch à, de son côté, développé un studio interne afin d’accompagner les marques pour mieux appréhender les codes de la plateforme.  

« Pour moi, le vertical et le long horizontal vont continuer à avancer en parallèle, on ne consomme pas de la même façon sur son mobile et sur son PC, nous ne sommes pas dans le même mindset. » Melissa Simoni (Twitch)

Le vertical a le vent en poupe, mais lorsqu’il s’agit d’imaginer le futur, les experts invités s’accordent à penser que les formats courts, longs, verticaux, horizontaux, correspondant à des publics, des stratégies, des moments de consommation différents, vont perdurer en parallèle. Ce que précise également Olivier Duband, Head of Social Media pour TF1 Pub « le 9/16 n’est pas est en train de tuer le  16/9. En revanche, il faut que nous nous adaptions à des différents types de formats et à leurs spécificités ». Selon Théo Diricq (Warner Bros.), la vraie révolution digitale à venir, concernera  la télévision, avec notamment l’hyper personnalisation incluse dans la nouvelle loi sur l’audiovisuel.