Dark Social : Quelle stratégie et quelles opportunités pour communiquer auprès des communautés fermées ?

 

Ce que l’on retient des échanges:

  • Le dark social reste très efficace pour fédérer une communauté, en s’appuyant sur des membres passionnés, et potentiellement captifs
  • Le Dark Social reprend les codes d’interaction de ses ancêtres, les blogs, tout en proposant une alternative à la communication via les réseaux sociaux.
  • Communiquer en privé prend du temps et nécessite des moyens humains.

 

Pour parler de Dark Social, rien de mieux que de se retrouver par le biais d’une conférence vidéo. En cette période de confinement, les professionnels des Social Media ont su rebondir pour se retrouver et témoigner de leurs différentes stratégies. Car c’est en partie cela le Dark Social, se réunir loin des réseaux sociaux publics auprès d’une communauté fermée. En d’autres termes, c’est ce que Margaux Lagrange définit comme « tous les échanges en messagerie privée sur les réseaux ». Pour cette Consultante Social Media Senior chez Insign, si la pratique reste timide aujourd’hui, c’est avant tout qu’elle peut faire peur. « Ça s’explique par le fait que ces partages et conversations deviennent invisibles et difficiles à quantifier par les marques », justifie cette dernière. Pourtant, les chiffres montrent l’efficacité du Dark Social. Selon une étude de GlobalWebIndex, parmi les internautes qui souhaitent partager une information, 63% d’entre eux veulent le faire à travers une messagerie privée. Aujourd’hui,  84% des partages se font d’ailleurs par messagerie privée, mail, sms, mais aussi par voie orale. Désormais, les réseaux sociaux ne représentent que 16% de ces contenus.

Mais le dark social est loin d’être une nouveauté. En 2013, Margaux Lagrange (Insign) travaillait chez Adopte un mec, alors que l’application de rencontre n’avait que cinq ans d’ancienneté: «Dans mon poste, j’ai dû me créer un compte sur la plateforme et ça s’est avéré très utile. Ca me permettait de recevoir des insights très forts tout en valorisant l’entreprise, puisque j’indiquais que je travaillais chez Adopte un mec.» Elle avait ainsi pu créer une relation particulière autour de groupes privés, tout en se positionnant au coeur de la communauté. Une pure action de “dark social”!

 

Dans sa construction, le dark social semble revenir aux fondamentaux du web. La socialisation privée refait son apparition comme sur les blogs des années 2000, souligne Olivier Spaeth. Pour le Digital Marketing Manager du FC Grenoble Rugby, « les réseaux sociaux ont caché cette mine d’or de l’interaction, mais désormais les groupes fermés redeviennent utiles pour partager et aller chercher les informations. Ils servent aussi à trouver des tendances auprès de notre clientèle.»

 

Alors comment a eu lieu ce revirement de tendance? Pour Olivier Spaeth, cela est avant tout lié aux évolutions des algorithmes Facebook, qui ont fait passer le cercle proche en priorité. «En voyant que les audiences et l’engagement diminuaient, on s’est dit qu’on devait travailler autrement, raconte ce dernier. On a alors développé des groupes dédiés à nos supporters et notamment nos abonnés. On favorise désormais nos échanges avec ces adhérents, mais aussi les liens entre eux.»

 

Néanmoins, le sport n’est pas le seul sujet qui amène une conversation en sphère privée, comme en témoigne Rachel Matos, Social Media Manager auprès du Groupe SEB. Selon elle, la cuisine a également été un sujet fédérateur pour les 56.000 membres actifs du groupe privé « Cake Factory », lancé par la marque Tefal sur Facebook. De manière générale, cette dernière voit un lien entre un cuisinier amateur et un supporter de rugby dans la passion exprimée auprès d’une communauté. « Afin de pouvoir fédérer un groupe, avoir des conversations et des membres qui animent eux-mêmes la discussion, il faut que le sujet génère un intérêt, rappelle Rachel Matos. Un des premiers insights est l’intérêt généré par la catégorie sur internet et les réseaux sociaux, et surtout le partage de cet intérêt.»

 

Une fois la communauté installée dans cette sphère privée, il est nécessaire pour une marque de savoir comme se positionner vis-à-vis de ce cercle. Christophe Tavlaridis, Community and Influence Manager du Groupe SEB, se réjouit, les internautes font preuve de bienveillance, permettant à la marque de rester en retrait. «Notre prise de parole au quotidien est assez rare et quand elle se fait, c’est pour donner des informations ou faire gagner des produits», souligne ce dernier.  La stratégie peut également se tourner vers de l’insight consommateur afin de prendre en compte les préférences de son public dans de futures stratégies marketing. «On peut par exemple demander à l’audience de nous indiquer quel produit Cake Factory elle préfère, entre le marron et le rose. Quand on a la chance de pouvoir lancer des sondages auprès de 50.000 personnes et que 30.000 répondent, pour nous c’est du pain béni», témoigne Christophe Tavlaridis.

 

«La prise de parole de la marque a diminué progressivement. En plus de la modération, cela nous a permis de désamorcer des cas sensibles, confirme Rachel Matos. Au début, on a eu quelques problèmes qui auraient pu générer du bad buzz. Être en one-to-one avec les membres nous permet d’éviter que ça se répande.» Au sein de son groupe Cake Factory, le Top 10 des membres les plus actifs génère autour de 200 publications par mois individuellement, ce qui relève de l’exception selon ces experts du marketing.

 

D’autres initiatives ont vu le jour, sur d’autres types de communautés. Mickaël San Juan, directeur associé chez Insign évoque les actions menées par Renault Trucks: «On a demandé à la marque de construire un réseau fermé sur Instagram où les conducteurs s’enregistraient et partageaient leurs cabines et comment ils l’avaient aménagée. Il faut savoir que pour chaque conducteur il y a un affect énorme, ce n’est pas seulement un véhicule dans lequel on dort, c’est surtout une maison dans laquelle on roule. C’était des milliers de partages en Europe, on l’avait appelé Truckers Gallery». L’initiative se poursuit encore aujourd’hui auprès de cette communauté, une nouvelle fois de passionnés.

 

Mais pour Margaux Lagrange, les communautés peuvent aller au-delà des passions communes. Selon la consultante social senior d’Insign, les groupes privés peuvent également passer par des défis communs, comme dans le secteur de la santé. « Pour le groupe Santé Publique France, nous sommes partis de l’idée de créer une communauté dans un groupe privé pour arrêter de fumer. Il y avait juste un groupe global au départ, on restait présent mais au fur à mesure, ça a vraiment pris. Au fil du temps, les membres étaient demandeurs de plus petites communautés, par régions notamment, pour qu’ils s’aident au plus près et qu’on puisse faciliter les rencontres”, raconte Margaux Lagrange. Par cette action de dark social, les micro-groupes locaux ont comptabilisé 200 abonnés en moyenne.

 

Reste la question de savoir comment mesurer le dark social, qui par définition est privé. Sur cette problématique, la société de presse Time s’est rendu compte que le partage de ses articles se faisaient majoritairement par email. Ils ont ainsi pris l’initiative de rajouter le bouton de partage «par email», au même niveau que les autres canaux. «C’est vieux jeu d’une certaine manière, mais ça permet d’engager et d’inciter une conversation dans la sphère privé des gens», tranche Robin Coulet, fondateur de Conversationnel. Pour ce dernier, l’apparition du dark social permet ainsi à la marque de s’interroger sur son propre rôle, et d’aller plus loin que la simple présentation de produits.

 

Ce qui n’empêche pas les problématiques en matière d’analyse. «Il faut faire attention aux données personnelles en matière de RGPD», prévient Rachel Matos, avant de poursuivre : «On ne peut pas plugger d’outil de social listening pour aller crawler la data, car il s’agit d’un groupe privé. Si on veut l’analyser, on peut le faire, mais c’est à la main.»

 

Ce à quoi semble adhérer Robin Coulet pour qui le dark social inscrit « un pacte entre le consommateur et la marque, où on cherche à l’engager dans sa communauté et ça ne peut se faire que dans le respect de la privacy». Pour ce dernier, on peut trouver de nouvelles méthodes pour mesurer ces chiffres, par exemple celle choisie par le rappeur Oxmo Puccino pour faire la promotion de son nouvel album, La nuit du réveil. La stratégie utilisée par l’agence Dare.Win a été de rendre public un de ses nouveaux clips uniquement par message privé, par le partage via Whatsapp, Messenger, Snapchat ou encore Instagram. Pendant quatre jours, le clip a tourné 5.000 fois. «L’avantage est que les retombées sont faciles à mesurer car chaque partage représente une vue», précise Robin Coulet. Une stratégie initiale qui permet de susciter l’intérêt. Aujourd’hui, le clip en question, Social Club, avoisine les 500.000 vues sur Youtube.

 

Alors que l’étude de Radium One estime que 82% du contenu partagé sur téléphone l’est par le dark social, sa mesure reste très artisanale. Les marques sont encore craintives pour se lancer et il est nécessaire parfois de miser sur l’influence des membres pour convaincre ses clients et gagner en crédibilité. Ce sont  les conclusions que tire Annaise Descamps, Social Media Manager chez Adecco Group de sa campagne de haut recrutement menée à travers une communauté fermée de cadres dirigeants. « Il fallait les inviter à communiquer sur leurs problématiques et continuer à faire du business. Parfois, c’est très épineux parce qu’ils n’ont pas de visibilité sur tout ce qu’on apporte comme contenu. Pour plus de visibilité, on a invité l’ensemble du board sur une plateforme d’Alumni pour créer une web app. La meilleure technique est de choisir une personne de cette communauté, qui pourrait devenir ambassadeur du groupe pour prouver que ça peut être fiable afin de travailler sur de l’influence sociale en partant de la preuve», décrypte Annaise Descamps. Mais cette dernière préfère prévenir: «Il faut s’armer de patience.»

 

Pour autant, une marque peut-elle tout miser sur le dark social? Rachel Matos s’interroge. «Lush par exemple a arrêté les réseaux sociaux, car ça ne leur permettait de toucher leurs communauté. Mais où s’exprime la marque du coup?» Il ne s’agit pas non plus de rejeter les réseaux sociaux qui restent «un point de départ à la communication », souligne Olivier Spaeth. De son côté, Robin Coulet rappelle: «L’intérêt d’une page officielle est qu’elle soit une vitrine, devenant le porte-parole de diffusion au plus grand nombre. Les réseaux sociaux permettent de capter plus d’audience, ça reste une plateforme médiatique. La notion sociale, même si c’est l’ADN de ces plateformes, c’est plus pour toucher les audiences qu’avoir ce rapport social.»

 

De son côté, Simon Duhil prévient : « Il faut éviter les comportements trop opportunistes et ne pas créer une communauté sans avoir défini un objectif précis. La mise en place d’une communauté ne se fait pas en 1 clic, elle demande une stratégie, une plateforme et une équipe définie. Et parfois, une communauté n’est pas la solution ». Avec le dark social, le métier de community manager, parfois décrié, revient sur le devant de la scène…