Cycle « La comm’ responsable » #1 Quelles prises de parole pour l’entreprise dans le débat social ?

Ce que l’on retient des échanges:

  • La RSE n’est pas un sujet de communication mais un sujet profond et structurel nécessaire sur le long-terme au fonctionnement de l’entreprise.
  • La légitimité des marques se trouve dans la communication par la preuve, c’est-à-dire la contribution positive et sincère à travers des actes concrets pour avoir une RSE efficace, cohérente et crédible.
  • Les marques doivent glisser vers une économie partenariale, en prenant en compte toutes les parties prenantes et s’imposer en tant que marques créatives face à l’urgence du changement social et environnemental.

 

Quelle légitimité ont les marques à s’exprimer ces sujets ? 

Nous vivons aujourd’hui une perte de confiance généralisée envers les discours des marques, notamment lorsqu’elles s’emparent des sujets qui traitent de RSE rappelle Elise Paris, Responsable communication & influence pour AmazingContent et animatrice de cette table ronde. Pour Denis Gancel, Président Fondateur de W&Cie & Fondateur de Contributing® Advisory, « La société est défiante, inquiète et fracturée. Dès l’instant où vous avez une responsabilité, on va mettre votre parole, et même vos actes en doute », ce qui s’illustre avec l’apparition des émissions d’investigation, phénomène observé durant ces dix dernières années. Si la RSE dont s’emparaient les entreprises autour des années 2000 était plutôt exogène, imposée (par la loi) et subie, aujourd’hui, c’est un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur (notamment grâce à l’élan de la loi PACTE de 2019 permettant aux entreprises de devenir des entreprises à mission). Là où la RSE d’hier était subie, aujourd’hui elle est choisie. C’est ce que permet le contributing aux entreprises : avoir une « contribution sociétale positive calibrée pour l’intérêt individuel » comme le définit Denis Gancel (W&Cie).

« la légitimité de l’entreprise ne découle que de ses actions », Augustin Boulot (B Lab France)

Ce changement s’incarne pour Augustin Boulot, Délégué général de B Lab France, dans un glissement d’un « less bad à un more good », c’est-à-dire « qu’on bascule entre des entreprises qui respectent des normes et des lois à contrecœur, à une contribution positive, volontaire qui se traduit par des actes très concrets. » Ainsi, « la légitimité de l’entreprise ne découle que de ses actions ». C’est le cas de Les 2 Vaches, une filiale de Danone, dont « la mission n’est pas de vendre des yaourts mais de réussir à participer à son échelle à une transition agricole en aidant les éleveurs à se convertir en bio et à mieux vivre de leur travail » illustre-t-il.

Cependant, la marque ne peut pas se positionner dans tous les débats publics : « une marque, ça se retient » intervient Denis Gancel (W&Cie) en clin d’œil à la citation du père de Camus. « On est dans un tel climat de défiance qu’il y a un seul juge de paix, c’est la sincérité de la marque. Ça n’est pas la parole, ça n’est pas la communication, c’est la preuve. » Augustin Boulot (B Lab France) l’approuve également : « On ne peut pas contribuer et prendre la parole sur tout. Il faut réussir à ne pas trop se disperser. »

 

Comment créer une stratégie de comm’ crédible, cohérente et juste ? 

« Dans le climat de défiance, le fait d’avoir des cautions extérieures, des classements, aident à

lire le réel, à simplifier la réalité », Denis Gancel (W&Cie)

Dans l’idée que la marque doit agir, elle doit aussi « être sincère » sur ses actions pour Denis Gancel (W&Cie), tandis qu’Augustin Boulot (B Lab France) affirme que « ce qui marche, c’est la communication par la preuve. » Il prend alors l’exemple de la marque Danone qui est à la fois devenue entreprise à mission et qui s’est engagée pour obtenir la labellisation B Corp d’ici 2025 (il souligne que c’est un label très difficile à décrocher). En effet, les rankings et les labels sont devenus des outils clés pour rendre la comm’ plus crédible et cohérente : « Dans le climat de défiance, le fait d’avoir des cautions extérieures, des classements, aident à lire le réel, à simplifier la réalité » souligne Denis Gancel. Le prochain défi de l’Europe en matière de RSE est peut-être justement de développer ses propres labels, comme l’ont fait la Chine ou les Etats-Unis.

Si la marque est déjà « surexposée, en particulier du fait des réseaux sociaux […] faut-il en plus qu’elle aille s’exposer sur un terrain qui n’est pas le sien ? » s’interroge Denis Gancel après qu’Augustin Boulot ait évoqué la réappropriation du mouvement Black Lives Matter par certaines marques. Il faut savoir faire la différence entre prise de position personnelle et au sein de l’entreprise : « Derrière toute marque, il y a un objet social et vous n’avez pas le droit de sortir de cet objet qui a un statut au tribunal » rappelle Denis Gancel.

Il résume le propos : « Il faut du performatif et une inscription dans la durée. Choisir un axe et le tenir dans la durée et dans ce cadre-là, je milite pour la discrétion. La communication externe est dangereuse et la communication interne indispensable. ». Ce à quoi Augustin Boulot ajoute : « Pour avoir une cohérence, il ne suffit pas de bien réaliser sa mission, mais aussi de faire attention à toutes les externalités et parties prenantes touchées par cette mission.

 

La gestion de l’urgence en entreprise

La position attentiste des marques qui se traduit par le fait qu’elles « veulent bien devenir green quand leurs consommateurs le seront plus qu’elles » ne fonctionne plus selon Jean-Maxence Granier, Directeur et Fondateur de Think-Out. Justement, à présent « N’y a-t-il pas un dégagisme des marques qui sont dans l’hyperconsommation ? » se demande Denis Gancel. Une étude récente en collaboration avec le CSA montre dans ce sens que « la marque est non seulement attendue et invitée, mais on attend aussi de l’acte de consommation d’être le principal levier du changement de la société. »

« Il faut changer le business model » assure Denis Gancel, et ce, pour aller vers un modèle plus responsable. Augustin Boulot propose une « économie partenariale » qui prend en compte toutes les parties prenantes. Face à ce besoin de changement, 3 types de marques aux attitudes différentes se partageraient le terrain selon Denis Gancel :

  • Les marques cyniques : qui pensent miser sur les nouveaux consommateurs des pays émergents (qui sont dans l’erreur face à leur prétendue naïveté et la non-exigence),
  • Les marques repenties : qui se rendent compte qu’il faut changer et qu’il faut donc accompagner,
  • Les marques créatives : qui ne renoncent pas à un imaginaire et font de la pub plus subtile et plus personnalisée.

Ainsi, le positionnement et le changement des marques face à l’urgence sont nécessaires sur le long-terme et intrinsèques au fonctionnement de l’entreprise.

 

Quelques sources:

Incarner la RSE : l’exemple d’Emmanuel Faber, le sain patron

Jean-Maxence Granier Bienvenue dans l’entrepocène