Cycle “La comm’ responsable” #2 RSE: le nouveau langage de la publicité

Ce que l’on retient des échanges:

  • L’arrivée sur le marché de marques créées autour de la RSE poussent les acteurs historiques à faire évoluer leur façon de produire et de communiquer.
  • Privilégier une communication produit transparente en assumant la marge de progression, la trajectoire et la dimension perfectible des produits et services de la marque permet de gagner en crédibilité.
  • Il existe une coresponsabilité entre la marque et le consommateur. La conscience environnementale progresse mais ne se traduit pas encore suffisamment en actes dans les achats.

 

« Il y a ce que la publicité dit de la société, mais aussi ce qu’elle dit des produits eux-mêmes », soulève Jean-Maxence Granier, Directeur et Fondateur de l’agence Think-Out, et coanimateur de cette session. Il s’agit aujourd’hui de comprendre comment les marques se confrontent aux enjeux de RSE, et l’intègrent dans leur stratégie et leur communication. Quel moteur amène les marques à se transformer et s’engager ?  

 

Évolutions observées dans la communication des marques 

Au regard des attentes des consommateurs et des évolutions sociétales, les entreprises se doivent plus que jamais d’être responsables et engagées. Le rythme de cette prise de conscience semble s’être accéléré ces dernières années. Ce que Jean-Maxence Granier (Think-Out) traduit ainsi : « La notion de responsabilité s’ancre dans une forme d’urgence contrainte qui semble être beaucoup plus importante aujourd’hui que naguère, notamment concernant les questions environnementales. » Justement, pour Emeline Keundjian, Directrice générale de Walk Agence W, c’est bien un phénomène d’accélération que l’on observe aujourd’hui. « Ce qui était une tendance depuis 15-20 ans, à savoir donner du sens dans ses actions et contribuer à la société, devient aujourd’hui une obligation. D’ailleurs, 100 % de nos briefs mettent au cœur la RSE et la contribution des entreprises et des marques. »

Le tournant se serait opéré à la fin des années 2000. Pour Grégoire Weil, Directeur général de Walk Agence W, « On constate depuis 10 ans une montée en puissance de tout ce qui est raison d’être, société à mission ; en somme, à une émergence d’un fond d’âme. » En France, « ce phénomène est devenu très visible depuis la loi PACTE, qui aura eu au moins le bénéfice de forcer toutes les entreprises à se poser ces questions afin de rebâtir un socle plus sain : À

quoi je sers ? À quoi je contribue dans la société ? » Mais en réalité, cette réflexion est née à la suite de la crise des subprimes qui a questionné la finalité du système : « Avant la crise économique, on appelait cela la RSE et dans la décennie suivante, la RSE est devenue la raison d’être ». Si le pendant en marketing et en publicité autour des années 2010 était la valeur d’usage, aujourd’hui les marques tendent vers la valeur étendue. » Grégoire Weil cite l’exemple de Nike comme illustration de cette valeur d’usage communautaire en 2010 et qui, depuis 2018, met l’enjeu sociétal au cœur de sa stratégie de communication. « Il y a un basculement où les marques sentent qu’il faut ajouter une valeur sociétale dans leur discours », termine-t-il.

Béatrice Parguel, chercheure au CNRS, ne pense pas cette évolution des enjeux RSE comme une réelle rupture, mais comme « une communication qui évolue dans ses pratiques en fonction des attentes sociétales. » Graduellement, le consommateur augmente son exigence de responsabilité, ce qui se traduit par une plus grande responsabilité dans la prise de parole des marques. Selon elle, cette progression se traduit « à la fois dans le choix des média de diffusion en fonction de leur impact environnemental, la prise en compte de la sensibilité de la cible à laquelle la marque s’adresse et enfin dans l’exécution du message, autant dans le choix des mots que dans celui de l’iconographie. »

Le moteur d’action des entreprises provient ainsi à la fois de l’évolution des enjeux sociétaux et leur urgence relative, de la demande consommateur, et pour les grandes entreprises, c’est également un effet « boule de neige » qui s’opère, comme l’explique Christine Cabon, Communication Director chez Procter & Gamble (Shaving & depilatories France-Benelux-South Europe): « L’accélération, notamment dans la grande consommation sur cette dernière décennie, vient principalement de petites marques créées autour de la RSE. Cela a forcé les grands groupes à se transformer dans la façon de produire et de communiquer. »

 

Privilégier la transparence d’une communication produit au-delà d’une communication autour des représentations sociétales 

La multiplicité des outils de communication disponibles aujourd’hui, facilite la mise en valeur du produit dans une optique de transparence : « Nous pouvons choisir d’abandonner une communication fonctionnelle pour tendre vers une communication plus technique et didactique. Le site internet, de façon simple et transparente, peut permettre de recenser les composés utilisés dans le produit par exemple. Ainsi, nous pouvons prioriser dans l’histoire de notre marque ce que l’on a envie de raconter, où, à qui et comment. »

 

Quid des marques dont les produits sont jugés moins « respectueux de l’environnement ou de la santé » ? 

Pour Christine Cabon (P&G Shaving & depilatories), il faut privilégier une « communication qui ne soit ni mensongère, ni incitatrice à une mauvaise utilisation du produit. » Une attention particulière doit être portée au discours autour de l’utilisation du produit, du contexte de sa consommation et du moment où la marque sera légitime pour en parler. Selon elle, « il est plus efficace de faire correspondre le métier de la marque et la valeur sociétale qu’elle apporte ».

Pour Béatrice Parguel (CNRS), il est toujours possible de communiquer sur le produit en lui-même, y compris lorsqu’il n’est pas parfait sur le plan environnemental en privilégiant trois axes : le premier axe réside dans le fait de rendre visible l’amélioration progressive du produit d’une année sur l’autre. Le deuxième consiste à déplacer la communication produit vers la communication corporate. Enfin, ne pas pousser à la (sur)consommation du produit, au contraire. Le consommateur s’attache alors à la marque grâce à son discours responsable et éducatif, qui résonne avec ses idéaux.

« Aujourd’hui et plus que jamais, je peux promouvoir une idée à travers des produits », observe Grégoire Grégoire Weil (Walk by Agence W) en citant Patagonia ou C’est qui le patron?! « De façon pragmatique, ce qui importe c’est la trajectoire de l’entreprise, c’est-à-dire sa progression sur un temps limité. »

 

L’entreprise prend-elle un risque à assumer l’imperfection de son produit ou de son service ? 

Comme le souligne Jean-Maxence Granier (Think-Out), oser parler du chemin qu’il reste à parcourir ou de la progression, n’est-ce pas se détacher du discours idéalisant propre à la publicité ?

Pour Emeline Keundjian (Walk Agence W), si c’est bien un risque, « aujourd’hui, le consommateur est prêt à entendre l’imperfection et le fait que la progression nécessite un investissement. Par contre, il n’est pas capable d’entendre un discours qui vante la perfection d’un produit alors qu’il y a de l’inaction derrière. Il faut montrer que la marque se transforme et est prête à s’investir. Il est essentiel de montrer la progression de la marque et de ne pas mentir. »

De nombreux travaux démontrent justement que « le fait d’être équilibré dans ses arguments, c’est-à-dire de communiquer autant sur le négatif que sur le positif, permet de crédibiliser ce qu’on fait de bien, et ce, grâce à la reconnaissance honnête de ce qui n’est pas encore parfait », ajoute Béatrice Parguel (CNRS).

D’autre part, il faut savoir relativiser sur cette peur de dévoiler ses imperfections.  « Entre ce que les consommateurs disent et font, il y a souvent un décalage. Il faut parvenir à trouver un équilibre », conseille Christine Cabon (P&G Shaving & depilatories).

 

La RSE est-elle une question de mode ou une révolution plus profonde ?

Les marques se contentent-elles de suivre la tendance ou sont-elles à l’origine de la prise de conscience des enjeux environnementaux et sociétaux ? Et quel rôle les réseaux sociaux ont-ils joué dans le développement de cette conscience RSE? Pour Grégoire Weil (Walk Agence W) comme pour Christine Cabon (P&G Shaving & depilatories), le social media est un terrain clé pour la RSE. Néanmoins, « les réseaux sociaux sont un miroir déformant de l’opinion », dont l’usage évolue très rapidement. Il ne faut pas chercher à se placer sur tous les canaux, ce que Béatrice Parguel (CNRS) appuie par une nécessité de prudence : « Il faut faire attention à la pression de la communication sur l’individu. »

Christine Cabon (P&G Shaving & depilatories) témoigne de ses engagements concernant les enjeux environnementaux : « Nous ne répondons pas qu’à une tendance, nous essayons d’apporter le produit qui nous semble le plus adapté à la situation. » Béatrice Parguel (CNRS) de son côté souligne le fait que ce n’est pas parce que la conscience environnementale progresse que les consommateurs la traduisent en actes dans leurs achats.

Enfin, pour Emeline Keundjian (Walk Agence W), les marques ont tout intérêt à formuler des discours qui allient intérêt collectif et plaisir individuel, car ce sont des stratégies complémentaires. De plus, la relation entre les consommateurs et la marque tend à l’horizontalité : il y aurait donc à présent une « coresponsabilité entre la marque et le consommateur », résume Jean-Maxence Granier (Think-Out).

Au sein même de l’entreprise, « la communication sur le social peut difficilement être centralisée. La responsabilité doit être partagée au sein de l’entreprise. », souligne Emeline Keundjian (Walk Agence W). La polyphonie est donc à privilégier autour de porte-paroles mais sur un socle commun. Reste à savoir si ce socle de l’engagement deviendra le poumon stratégique des entreprises au-delà de la communication et du marketing.