#CercleDircom – La marque doit-elle devenir un média ?

Ce que l’on retient des échanges: 

  • Construire une marque média demande du temps, une grande cohérence dans les contenus créés, fondée sur les valeurs de la marque qui doivent agir comme un fil rouge éditorial. 
  • Être une marque média permet de maîtriser davantage sa communication, d’enrichir sa relation avec ses clients et de capter l’attention de l’audience à l’heure où la publicité traditionnelle ne la retient plus. 
  • La création de contenu d’une marque média peut être interne comme le fruit d’une collaboration avec d’autres médias ou influenceurs, c’est un modèle plus agile que la création publicitaire classique, avec des guidelines solides mais laissant plus de place à la créativité. 

Dans une économie de l’attention de plus en plus tendue, les marques ont fait de la création de contenus propres un canal de communication privilégié. Au-delà du brand content, faut-il pousser la création de contenus originaux jusqu’à créer sa propre audience et devenir un média? Quels sont les bénéfices envisageables? Comment procéder pour construire sa marque média et comment organiser la création de contenu? La visibilité et la réputation acquise à travers un statut de marque média se traduit-elle en termes de business, et comment en mesurer les impacts? 

Pour Robin Caillaud, d’une certaine façon, Le Slip Français a toujours été une marque média, car c’est une marque fondée sur un message et sur les valeurs très fortes que sont le Made in France, l’environnement, la qualité des produits, qui font que la marque a beaucoup de choses à dire. D’autre part, c’est une marque qui est née en ligne, autour d’une communauté, sur les réseaux, où elle a toujours publié du contenu. Cette identité naturelle de marque média n’empêche pas de se poser des questions, en dix ans la marque a beaucoup évolué. 

Chez EVA Group, qui gère plusieurs marques de cosmétiques dont L’Atelier du Sourcil, la notion de marque média est plus nouvelle. Gaelle Bouvier est convaincue que les marques doivent s’imprégner de leurs relations avec le public et se comporter comme un média, avec une logique de rédacteur en chef. Cette communication, qui va bien au-delà de la publicité, donne plus d’atouts. 

Dans le groupe Casino, la marque média est bien installée pour le corporate et c’est un véritable outil d’influence et de construction de communauté. Le groupe a commencé il y a plusieurs années à produire ses propres contenus, à devenir davantage un média, en sortant par exemple son propre podcast, un moyen très efficace de développer un média à part entière. En interne, l’application “C’est mon groupe” permet de partager des contenus et de créer une communauté, c’est un outil de média interne pour un groupe de plusieurs dizaines de milliers de personnes, qui permet aux employés des différentes filiales de suivre ce qui se passe dans le reste du groupe.

Pour l’OCDE, ces questions se posent au quotidien, et il n’est pas toujours simple de se situer. L’OCDE ne vend pas un produit mais promeut des idées, qui sont le reflet d’une politique, et s’adresse à de nombreuses cibles. Malgré cela, l’OCDE a réussi à construire une stratégie de communication, qui s’approche désormais d’une stratégie de branding, en deux étapes. D’une part, une équipe est dédiée à la perception de la marque, à la mesure d’impact : elle recueille les réactions du public et permet de sentir les tendances, de repérer les sujets qui intéressent les gens, et de définir une stratégie de communication proche de l’actualité et des intérêts du public, comme par exemple les sujets Santé qui ont naturellement été très présents en 2020. D’autre part, l’OCDE met maintenant en œuvre ses campagnes sur une période définie, avec des messages clés, ce qui permet une bonne coordination de toutes les équipes autour d’une vraie stratégie éditoriale, comme une marque média. 

 

Les avantages à devenir une marque média sont multiples

Pour le groupe Casino, c’est un outil pour reprendre la main sur sa communication corporate. Les médias traditionnels avaient en effet tendance à se focaliser sur l’actualité financière du groupe, au détriment d’autres sujets et initiatives positifs. Pour les mettre en valeur, le groupe Casino a décidé il y a déjà 3 ou 4 ans de créer son propre média, avec des contenus pour les réseaux sociaux et un podcast. Le groupe continue bien sûr à travailler avec les médias traditionnels, la presse et les grands médias TV et radio, la marque média est complémentaire et un bon outil pour rééquilibrer les relations presse.

Le Slip Français, en tant que pionnier des DNVB (Digital Native Vertical Brand), s’est toujours adressé de manière directe au consommateur et n’a pas eu dans la même mesure à s’affranchir de canaux traditionnels, qu’il n’a jamais beaucoup utilisés. En termes de communication, la marque s’inscrit dans un projet plus large, économique et social, de réindustrialisation en France. Le Slip Français cherche à prouver que c’est possible de le faire dans de bonnes conditions et que cela n’empêche pas de faire de la croissance. Le patriotisme économique, le Made in France, sont des sujets dont on ne parle pas sur tous les réseaux, ils ne sont pas très adaptés à TikTok où on privilégie les contenus purement mode : il est important de trouver sur quelle plateforme parler de quel sujet. Le Slip Français procède avec une logique de test. Cette démarche bénéficie à la marque et au commerce : en effet aujourd’hui personne n’a envie de suivre une marque qui fait exclusivement des contenus commerciaux, les gens savent que la marque a des produits à vendre, mais leur relation avec la marque va bien au-delà de ça. 

Dans l’étude Kantar DIMENSION de 2020, on voit d’ailleurs que les consommateurs pensent en majorité pouvoir identifier ce qui est un contenu de marque, tout en préférant que celui-ci soit signalé comme une publicité.

 

Construire sa marque média

Pour ce faire, il faut avoir un message à porter, des valeurs, un vrai fil rouge éditorial. Le Slip Français ne s’est pas approprié les sujets de Made in France et d’engagement par hasard, ils sont au cœur de l’ADN de la marque. En termes de canaux, cette construction de marque média a eu un impact très net sur la répartition du budget marketing : une partie des budgets de marketing digital, très ROIste, comme par exemple des bannières de retargeting, a été réorienté en création de contenu avec des médias. Historiquement, le programmatique avait une place importante dans le marketing digital du Slip Français, qui a constaté depuis 3 ans que les internautes cliquaient de moins en moins sur les bannières, et même ne les voyaient plus, du fait d’adblockers ou de l’habitude.  Lorsque l’on crée un contenu avec un média, on rédige ou co-rédige un contenu et on l’amplifie avec la communauté du média pour diriger un maximum de trafic vers ce contenu. L’objectif n’est plus systématiquement de renvoyer vers le site e-commerce de la marque, c’est une vraie évolution de la publicité digitale et un bon exemple de ce qu’implique la marque média. 

Pour Gaelle Bouvier (EVA Group), les réseaux sociaux sont également à utiliser en fonction du message que l’on a à porter, LinkedIn et Twitter sont des canaux davantage corporate, Facebook, Instagram, et les newsletters permettent de s’adresser directement aux clients. 

A l’OCDE, les newsletters sont également un canal important, elles sont nombreuses et la mise en place d’une stratégie de communication a permis d’en harmoniser les messages. L’OCDE fait aussi beaucoup usage de l’édition de livres et a investi significativement ces dernières années sur le format web-book qui inclue des animations, des podcasts, des contenus associés… ce format permet d’enrichir l’expérience du lecteur pour qu’elle soit la meilleure possible en ligne.  En termes de régularité, le rythme était donné par des lancements presse de ces publications, qui étaient des moments de communication assez forts. Aujourd’hui, le timing est un peu plus guidé par l’actualité qui nourrit le contenu des campagnes, il n’est pas toujours nécessaire d’attendre qu’un livre soit publié. Enfin en tant que producteur d’idée, l’OCDE utilise aussi beaucoup le canal broadcast : les experts de l’OCDE, comme l’économiste en chef Laurence Boone, sont souvent invités à prendre la parole et cela a un impact toujours aussi important, les sujets d’actualité donnent beaucoup plus l’occasion de s’exprimer que pour les marques qui vendent un produit classique. 

 

Comment créer ce contenu de marque média, en interne, avec un budget dédié, une content factory?

Pour Le Slip Français, la réponse est majoritairement en interne : 3 personnes s’occupent de la création de contenu visuel, essentiellement de la vidéo, qui est vraiment ce qui fonctionne le mieux dans l’économie de l’attention, et 1 personne de la rédaction de contenus éditoriaux. Pour conserver une grande cohérence, très peu de choses sont sous-traitées. L’exception, ce sont les partenariats médias, car les médias choisis connaissent leur audience, Le Slip Français leur donne des éléments mais leur fait confiance pour créer le contenu le plus adapté à leur audience. 

Pour l’Atelier du Sourcil, la création de contenu est souvent interne : le groupe Ieva compte une DA et 2 graphistes. L’équipe communication fait appel à eux et crée aussi beaucoup de choses seule, comme les newsletters, qui partent généralement une fois par semaine mais ont été plus fréquentes dernièrement pendant la fermeture des 114 Ateliers car elles ont permis de maintenir un lien avec les clients. L’équipe étant réduite, pour des contenus ou des événements spécifiques, comme un lancement à venir cet été, il lui faut faire appel à des free lances et des pigistes. 

Dans ce contexte, les contenus créés par les influenceurs sont essentiels. L’Atelier du Sourcil est une marque attractive pour les influenceuses, une politique de gifting a permis de toucher leurs audiences, mais pas encore vraiment de créer du contenu. Aujourd’hui beaucoup d’influenceurs font des contenus de très grande qualité, L’Atelier du Sourcil veut collaborer avec eux beaucoup plus dans une logique de création de contenu, une agence d’influence va les y aider. La marque a besoin de cohérence, que la DA donne des guidelines pour cadrer, tout en laissant une certaine liberté pour que cela ne soit pas trop contraint. 

Pour Le Slip Français, ces guidelines de création de contenu sont assez récentes, environ 2 ans, et il faut faire attention à ce qu’elles ne limitent pas l’agilité ou la créativité. Les influenceurs sont un relais de plus en plus important, ultra-qualitatif, avec des contenus souvent de niveau shooting, ils se sont beaucoup professionnalisés depuis 2 ou 3 ans dans la création de contenus. Leurs contenus sont maintenant complémentaires de ceux de la marque : par exemple sur les produits mixtes les influenceurs se les sont appropriés et ont produit des contenus que la marque n’avait pas envisagé. Dans une communauté, il faut accepter la discussion, le débat, par exemple Le Slip Français fait face tous les jours à des commentaires sur le prix de ses produits, c’est lié à son engagement sur le Made in France, il faut l’accepter et continuer à l’expliquer. Les influenceurs étaient gérés au Slip Français par l’équipe Réseaux Sociaux jusqu’à l’été dernier, il y a maintenant une équipe Influence à proprement parler à qui 15% du budget de publicité a été alloué, on est donc passé instantanément de 0 à 15%, c’est un changement très significatif. L’équipe Influence travaille avec tous les types d’influenceurs, micro, nano… et avec tous les types de modèles, CPA, CPC, gifting, ou au forfait en fonction de la taille de leur communauté. Le Slip Français préfère d’ailleurs travailler avec des influenceurs qui ne font pas de la publicité trop souvent, qui restent authentiques, quitte à ce que leurs communautés soient un peu plus réduites.

 

Enfin, comment mesurer l’impact de ces contenus?

L’OCDE utilise son outil de mesure des tendances, qui permet d’orienter les campagnes mais aussi de mesurer l’impact qu’a eu tel ou tel message. Les mots choisis par les internautes dans leurs recherches Google sont très consultés par les équipes, qui les utilisent pour choisir la formation des messages de communication avec beaucoup de précision. Un dashboard de gestion des KPIs de campagne a par ailleurs été mis en place. 

En conclusion, le succès d’une marque média se mesure à la fois comme celui d’une marque, avec ses ventes et la satisfaction des clients, et celui d’un média, avec la taille de son audience, son influence et l’engagement créé, qui vient nourrir le succès de la marque. 

 

Cette session, animée par Johana Sabroux (directrice opérationnelle du Social Media Club), s’est tenue en ligne le 18 mai 2021. Avec Stéphanie Abadie (directrice adjointe de la communication en charge de la presse, Groupe Casino), Gaelle Bouvier (directrice de la communication, EVA Group), Robin Caillaud (Head of eCommerce, Le Slip Français) et Virginie Counioux (Digital Transformation Officer, OCDE). Compte-rendu rédigé par Tiphaine Masurel.