SMC #CercleDircom – sobriété numérique

Le numérique représente actuellement 4% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial (Green IT, 2020). Pour la France, les émissions du secteur sont de 2% et pourraient passer à 7% en 2040 si rien n’est fait (Sénat, 2020).

Le numérique n’a pas été abordé au printemps lors de la discussion du vote de la loi Climat et résilience, malgré les recommandations de la Convention citoyenne pour le Climat de prendre en compte les enjeux de ce secteur. 

Au-delà de la loi, comment les entreprises et institutions peuvent-elles s’emparer de ces enjeux ? La communication étant au cœur de l’utilisation du numérique par les entreprises, que peuvent-elles changer dans leurs pratiques de communication pour réduire leur impact sur l’environnement ? Comment bien mesurer l’effet de leurs actions et comment parler de ces initiatives ?

 

Conclusions du rapport de l’Institut Rousseau sur la sobriété numérique 

L’intervenant, Adrien Jahier, docteur en sciences de l’information et de la communication, consultant et formateur indépendant en redirection et communication écologiques, ainsi que co-auteur d’un rapport pour l’Institut Rousseau sur la sobriété numérique, nous a présenté les conclusions principales de ce rapport pour les entreprises. 

Qu’entend-on exactement par sobriété numérique ? Pour Adrien Jahier, il s’agit d’un “point médian entre un monde sans technologie et un autre qui serait entièrement digitalisé”. Pour les entreprises, cela consiste à choisir les innovations et technologies qui soient en adéquation avec les limites physiques de la planète. Au niveau mondial, les émissions de gaz à effet de serre du numérique sont causées, à 47%, par les équipements des consommateurs et, à 53%, par les data centers et infrastructures réseau (ADEME, 2021). 

Tout d’abord, la fabrication des équipements des consommateurs entraîne l’extraction de ressources naturelles, notamment de métaux, et accélère le changement climatique, avec l’utilisation d’énergie émettrice de gaz à effet de serre : déjà en 2003, la production d’un ordinateur portable demandait, par exemple, 240 kg de combustibles fossiles, 22 kg de produits chimiques et 1,5 tonne d’eau (Kuehr & Williams). 

Ensuite, arrivés en fin de vie, très peu de ces appareils sont recyclés : en 2019, chaque humain a produit 7,3 kg de déchets électroniques (Nations Unies) et cette quantité croît de 3 à 4% par an. L’Europe en collecte environ un tiers, et les autres continents moins d’un cinquième. 

Entre la fabrication et la mise à la décharge, l’impact de leur utilisation d’Internet, via les data centers et les infrastructures réseau, est incontestable : il est corrélé à une croissance exponentielle de la consommation de données, qui a été multipliée par 38 dans le monde en 10 ans (DecisionData.org, 2020), notamment avec la généralisation des mails (293 milliards de mails échangés dans le monde en 2019 selon Statista), des smartphones, des réseaux sociaux, le raccordement des téléviseurs à internet, le développement du streaming vidéo ou encore des jeux vidéos en ligne. Cette croissance de la consommation de données est accentuée par la hausse de la qualité des vidéos diffusées (4K, HD) et de la 4G, qui consomme environ 10 fois plus d’électricité que la 3G pour une même quantité de données transmises. 

Les réseaux sociaux, en particulier, ont un impact de plus en plus marqué en favorisant la consommation de vidéos présentées souvent en lecture automatique dans les fils d’actualité, dans les “stories”, voire dans les messages des utilisateurs (ex : TikTok). 

Le comparatif de l’entreprise Greenspector, cité par Adrien Jahier, a interpellé les participants en présentant l’impact carbone des fils d’actualité des différents réseaux sociaux :

 

 

Selon The Shift Project (2019), cité par Adrien Jahier, la vidéo en ligne représente 60% des flux de données dans le monde, soit 20% du total des émissions de gaz à effet de serre causées par le numérique et 1% du total des émissions mondiales (équivalant à la quantité émise par un pays comme l’Espagne). 

Devant ces constats alarmants, que peuvent faire les entreprises ?

Quelles actions mettre en place pour les entreprises?

La note de l’Institut Rousseau propose de :

  • Réglementer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du secteur numérique ;
  • Étendre la garantie des appareils numériques ;
  • Généraliser l’éco-conception ;
  • Favoriser les réparations et le reconditionnement d’appareils ; 
  • Généraliser un passeport numérique européen pour les appareils informatiques entrant sur le continent permettant de suivre leurs différentes étapes de vie ;
  • Contraindre l’ensemble des sites web de service public et d’entreprises (à partir d’un certain chiffre d’affaires) à mettre en place des bonnes pratiques auditables afin de réduire leur impact environnemental ;
  • Constituer une base de données publique pour aider à la prise en compte du facteur environnemental dans les choix associés au numérique ;
  • Mieux organiser l’activité des collecteurs de déchets d’équipements électriques et électroniques ;
  • Sensibiliser le public sur les enjeux du développement technologique. 

Pour les entreprises, les leviers s’articulent autour de l’achat des appareils informatiques, leur réparation et leur recyclage, ainsi que de leur utilisation. 

Selon Roxane Dervaux de Boehringer-Ingelheim, il y a, dans l’entreprise, un groupe de collaborateurs qui contribue volontairement à des actions de sensibilisation auprès de leurs collègues, notamment autour de la dépollution numérique via l’élimination des mails, ainsi qu’avec le recyclage d’anciens téléphones envoyés à une association. 

Pour la communication en particulier, que veut dire la sobriété numérique ? Comme d’autres productions plus industrielles, les sites web peuvent être “éco-conçus”, en se posant dès le départ la question de leur impact environnemental, comme l’a précisé Adrien Jahier : des sites webs plus légers, plus simples visuellement tout en restant attirants, qui vont à l’essentiel. C’est ce qu’on appelle les sites “low tech”, avec un design beaucoup plus sobre et des images moins lourdes. 

Dans ses publications sur les réseaux sociaux, l’entreprise peut également “éco-concevoir” sa politique de communication en limitant son usage de la vidéo en ligne et en proposant, lorsque celui-ci est nécessaire, le visionnage en basse résolution.

De même, il faut essayer de limiter l’usage de la vidéo dans les visio-conférences. Les entreprises peuvent également s’abstenir d’utiliser des panneaux publicitaires numériques.

 

Comment mesurer l’impact de ces actions?

Toutes les actions mentionnées ci-dessus vont dans le bon sens, mais comment savoir lesquelles ont un impact significatif ? Comment établir des priorités entre la réduction de son empreinte liée au numérique et une autre politique, par exemple le remplacement du papier par un support numérique ? 

Adrien Jahier rappelle que Greenit.fr et l’Institut du Numérique Responsable proposent différents outils d’évaluation et un registre de 65 bonnes pratiques. Il précise qu’un Bilan Carbone ® est souvent la 1ère étape fondamentale pour toute entreprise qui veut s’engager dans une démarche de réduction de son impact climatique, et que ce bilan est à 80% remboursé par l’ADEME. 

Le Bilan Carbone ® dans son entreprise passe alors par l’évaluation de postes d’émission associés, entre autres, au secteur numérique comme le matériel informatique immobilisé. Dans ce cadre, il devient également de plus en plus facile d’évaluer l’impact de sa politique de communication digitale : un email ou un tweet font déjà l’objet de mesure dans la Base Carbone ® de l’ADEME. L’entreprise met ensuite en place un plan d’action afin de réduire ses émissions pour les années à venir. 

En matière de comparaison d’impact environnemental pour un même support de communication en version papier et en version digitale, il n’y a pas de réponse toute faite. Une récente étude pour le groupe La Poste (2020) a donné, néanmoins, quelques pistes de réflexion et d’action : en dressant plusieurs scénarios pour une Analyse de Cycle de Vie (ACV), qui mesure l’impact potentiel de produits et services sur la santé humaine et l’environnement durant les différentes étapes de leur cycle de vie, il a été montré qu’une publicité de 16 pages A5 est plus favorable à la planète que sa version digitale, c’est-à-dire un site Internet accessible en ligne via un lien envoyé par emailing. Ceci dit, le digital est à privilégier, par exemple, pour le catalogue d’une marque de mobilier et les résultats sont plus mitigés pour la traditionnelle facture d’électricité. Plus généralement, une entreprise a tout intérêt à être accompagnée pour évaluer l’impact environnemental de ses différents supports de communication afin de choisir entre une version papier ou digitale.

 

Comment communiquer sur ces actions? 

En fonction de son secteur d’activité, il n’est pas toujours facile d’avoir un discours sur la sobriété numérique, quand son activité principale est considérée comme beaucoup plus polluante, avec, par exemple, le secteur du transport.

D’autres institutions, comme le CNRS, soulignent le côté “injonction contradictoire” qui s’applique à la communication numérique : d’un côté, l’incitation à faire des vidéos pour capter l’attention du public est très élevée, et encouragée par les agences et conseils ; de l’autre, faire preuve de sobriété. 

Dans tous les cas, il est possible de communiquer en interne sur des actions concrètes, comme, par exemple, les initiatives de réduction de nombre de mails lancées par les collaborateurs de Boehringer-Ingelheim, et d’intégrer ses actions de sobriété numérique dans sa communication sur les politiques RSE de l’entreprise.