SMC #Focus | L’audio s’invite sur les plateformes sociales

 

L’audio est en plein boom! Les auditeurs plébiscitent la possibilité d’écouter ce qu’ils veulent, où ils veulent et quand ils veulent, et de pouvoir apprendre ou se divertir pendant qu’ils sont en train de faire autre chose, un footing ou la cuisine. Jusqu’à présent, ce développement passait beaucoup par les podcasts, dont la distribution sous forme de flux RSS ne permet pas vraiment d’intégrer de fonctionnalités sociales. De nouvelles plateformes se créent, telle que Clubhouse qui a connu un moment de gloire pendant les confinements, et tous les réseaux sociaux travaillent le sujet, de Facebook à Youtube en passant par Twitter et LinkedIn. Où en est-on de ces développements? Courts ou longs, user generated ou produits par des médias, live ou délinéarisés, quels sont les formats, les usages et les attentes des auditeurs? Comment s’emparer de ces différents formats, sur quelle plateforme faut-il commencer et quelle place donner à l’audio social dans sa communication de marque?

Les intervenants de cette session sont tous des passionnés des formats audio et plus particulièrement du podcast. Xavier Yvon était journaliste à Europe 1, récemment en tant que correspondant aux Etats-Unis où il a pu découvrir de nombreux podcasts nord-américains, avant de rejoindre L’Express pour développer un élément-clé de sa nouvelle formule, “La Loupe”, un podcast de décryptage de l’actualité reprenant un sujet par jour, à la manière du Daily du New York Times. Nina Cohen était une grande consommatrice de podcasts, en particulier des formats documentaires, et apprécie le fait qu’ils soient à ce point un nouvel espace de parole, libre et plus représentatif de la société que les médias traditionnels. Elle a rejoint le Paris Podcast Festival dès ses débuts, une association organisant chaque année un grand événement autour du podcast, à la fois pour les professionnels et pour les fans et communautés s’intéressant à des podcasts en particulier. Enfin, Thomas Leroy a rejoint Condé Nast France pour développer la vidéo mais a trouvé dans le podcast un média moins coûteux à développer et plus facile à concevoir avec les équipes de journalistes présentes.

Le social est d’abord un canal de promotion essentiel de l’audio digital.

Les plateformes de podcasts ont des fonctionnalités limitées pour découvrir, partager ou recommander des podcasts. Les réseaux sociaux, parce qu’ils n’intègrent pas la lecture de flux RSS, ne sont pas encore des lieux de consommation de podcasts importants, en revanche ils viennent compenser partiellement ce manque de fonctionnalités sociales de plateformes de podcasts. Pour les podcasts de Condé Nast France, la politique est à l’hyper-distribution, les formats développés sont présents partout et mis en avant sur les sites du groupe et sur les principaux réseaux, en particulier Twitter et Instagram. Du fait de la force de la chaîne Youtube de GQ, Youtube est de manière assez inhabituelle pour un podcast le canal d’écoute essentiel, capitalisant sur la force de la communauté. 

 

Comme formats pour la promotion sur les réseaux sociaux, beaucoup utilisent les extraits sous forme de clips fournis automatiquement par les plateformes d’hébergement de podcasts comme Audiomeans ou Acast. Condé Nast France préfère développer ses propres formats en interne, pour rester en ligne avec sa charte éditoriale. Chaque marque promeut ses podcasts sur toutes les communautés du groupe, pour ses podcasts éditoriaux mais aussi pour les podcasts faits pour des marques. Pour L’Express, il n’y a pas d’accord de promotion particulier avec telle ou telle plateforme, les podcasts sont également promus partout quand ils sont accessibles aux non-abonnés, comme c’est le cas pour “La Loupe”. Apple Podcasts représente une part importante des écoutes, de même que Podcast Addict pour les utilisateurs d’Android. Aucune de ses plateformes n’intègre des outils de promotion très pratiques, ne serait-ce que parce qu’elles ne sont pas utilisables par tous les utilisateurs de smartphones. Il est bien sûr possible d’utiliser un “Linktree” ou arbre à liens, mais cela multiplie les frictions, avec un clic supplémentaire et des utilisateurs qui ne comprennent pas toujours comment l’utiliser. L’Express teste régulièrement les renvois vers une seule plateforme, mais il manque clairement un vrai outil de promotion sociale. Les réseaux sociaux principaux utilisés par L’Express pour la promotion de ses podcasts sont Twitter, Instagram, Facebook et LinkedIn. Le groupe NRJ rencontre les mêmes problématiques, et comme L’Express alterne entre un renvoi unique vers son site et un “Linktree” avec les options d’écoute vers toutes les plateformes.

Pour Nina Cohen, il est en effet impossible de lancer un podcast sans les réseaux sociaux, car la notion de communauté est fondamentale. Il faut créer un univers autour du podcast et générer des recommandations. Pour certains acteurs du podcast comme Arte Radio, Youtube représente une part importante des écoutes, mais les écoutes de Youtube, qui n’intègre pas les flux RSS, ne peuvent pas à ce jour être comptabilisées comme des audiences de podcasts monétisables. Le Paris Podcast Festival a d’ailleurs lancé un podcast avec La Gaîté Lyrique, “Il était des voix”, et a donc été directement confronté aux problématiques de promotion. Le “cross-post” Instagram permet de cumuler les vues et s’est révélé un outil efficace, mais il reste compliqué de garantir l’émergence d’un podcast. 

Ressortir des épisodes et recontextualiser en fonction de l’actualité est une des techniques qui peuvent fonctionner. L’Express avait par exemple réalisé un épisode de La Loupe sur le métaverse et l’a ressorti au moment où Facebook a mis le sujet au centre de l’actualité. Youtube a l’avantage de permettre un bon référencement en remontant très bien sur Google.

Faut-il des formats courts pour les réseaux sociaux? Les réseaux sociaux tentent de plus en plus de devenir un lieu de consommation de l’audio et non seulement un outil de promotion et de recommandation, ce qui est peut-être ralenti par des questions de format. Les usages sont en effet différents. Les auditeurs de podcast recherchent une écoute immersive, sans écran, qui leur permet en général de faire autre chose en même temps, et pousse à privilégier des formats un peu longs pour ne pas avoir à rechercher un nouveau contenu et relancer une écoute trop souvent. A l’inverse, sur les réseaux sociaux, le “scroll” face à son écran favorise les contenus plus courts et “snackables”, souvent même regardés sans le son, ce qui est un peu paradoxal pour un podcast! 

Sur les contenus audio de L’Express, on distingue la version audio du journal, exclusivement réservée aux abonnés et écoutable sur l’application L’Express, à l’exception de 2 ou 3 articles par semaine mis à la disposition des non-abonnés sur les plateformes de podcasts, et les podcasts comme “La Loupe”, accessibles à tous. La version audio du journal est lue par des comédiens et enregistrée juste après le bouclage du journal, très peu de temps avant sa publication. Cette version audio du journal est un nouvel usage, auquel pour le moment seule une petite partie des abonnés s’est convertie, mais ceux qui l’ont fait sont très fidèles et engagés. Cet usage est beaucoup plus développé aux Etats-Unis, où toutes les publications sont disponibles en version audio sur Apple News + par exemple. Pour Condé Nast, les formats audio courts ne sont pas encore répandus, les épisodes de podcasts ont des durées au moins égales à 10 minutes. L’économie du podcast telle qu’elle existe aujourd’hui, avec des formats pre-roll, n’est pas forcément adaptée à des formats très courts, mais des initiatives intéressantes ont été remarquées par Nina récemment, avec des formats proches de ceux des mémos vocaux. La Radiotélévision Suisse a ainsi lancé “Le short”, envoyé sur une chaîne Whatsapp. Pour NRJ, les formats courts sont en pleine ascension, il s’agit effectivement d’une pratique un peu différente, mais ils sont un moyen efficace de construire une audience et facile à promouvoir sur les réseaux sociaux. Le format court de “Lalala, le podcast d’NRJ sur l’amour, a très bien fonctionné cet été, et “3615 Podcast” avec Marine Baousson, un podcast d’humour, était bien adapté à son format entre 3 et 5 minutes.

Les réseaux sociaux, lieux du live audio? L’audio en direct et en ligne a connu un moment fort avec le développement de Clubhouse l’an dernier, mais la tendance est depuis assez clairement retombée. Les intervenants partagent le constat que le live, n’étant pas écrit et monté comme un podcast, avait tendance à délayer beaucoup les contenus, et qu’on ressortait souvent d’une room Clubhouse avec l’impression qu’une heure aurait pu être condensée en 10 minutes. Condé Nast a plutôt utilisé des enregistrements d’événements pour en tirer une adaptation audio: les conférences du Vogue Festival ont été adaptées en masterclasses sur Majelan. Cela permet de conserver la caractéristique d’un média à la demande, facteur clé du succès des podcasts, qui est que l’on peut écouter ce contenu où et quand on veut. 

Twitch est le réseau de référence pour le live, le studio de podcasts Binge Audio a par exemple organisé 24 heures de live pour présenter sa nouvelle saison. Le live est un outil puissant pour événementialiser, créer un rendez-vous, engager et faire réagir sa communauté, mais les événements permettent de remplir ces mêmes objectifs, comme l’a fait Binge avec Binge en Scène, une vraie rencontre avec le public de ses podcasts.

Le social comme outil d’interactivité audio. 

Le podcast est généralement un format assez travaillé et produit, il n’est pas si compatible avec le live. Pour interagir avec sa communauté, des enregistrements événementialisés, en public, peuvent être organisés. Les possibilités de recevoir des commentaires et suggestions via les plateformes de podcasts sont extrêmement limitées, cette interaction avec l’audience est donc un autre point sur lequel les réseaux sociaux ont un rôle important à jouer. Les thématiques autour du développement personnel en particulier pourraient être beaucoup plus interactives car ces podcasts ont un côté très tutoriel. Un podcast comme “Le coeur sur la table” essaie d’intégrer régulièrement les retours de sa communauté. Pour faire participer l’audience au contenu, NRJ utilisait des courriers de lecteurs dans la saison 1 de “Lalala” et est en train de développer un épisode interactif du podcast pour enfants de Chérie FM “Conte-moi l’aventure!” Dans lequel l’interactivité passe directement par la voix et l’audio, permettant à l’enfant de choisir l’évolution de l’histoire.

Nina Cohen cite des plateformes de podcasts récentes créées autour de cette idée d’interactivité, par exemple Eeko ou Tumult, permettant des réactions en direct et à un instant précis de l’épisode, comme on peut le faire sur Soundcloud, quand les plateformes traditionnelles de podcasts ne permettent que les commentaires sur le podcast en général, sans pouvoir les lier à un épisode en particulier, encore moins une seconde précise de celui-ci. La plateforme d’hébergement Anchor, rachetée par Spotify, permettait cette fonctionnalité, et Spotify est en train de le développer. Un autre exemple d’intégration de la communauté est de citer dans un épisode soit certains commentaires comme le fait Rosa Bursztein dans son podcast “Les mecs que je veux ken” soit les noms des donateurs contribuant via le crowdfunding au financement du podcast comme le fait le podcasteur Julien Cernobori. 

Une communauté engagée est en effet très liée aux modèles de podcast payant. Cela passe aujourd’hui beaucoup par le financement participatif, avec par exemple des épisodes exclusivement réservés à ceux qui contribuent sur Patreon, mais les plateformes de podcasts pensent toutes à développer des fonctionnalités pour des modèles payants, comme l’a fait Apple Podcasts récemment. Le podcast d’Europe 1 à succès “Hondelatte raconte” a ainsi lancé sa chaîne payante sur Apple Podcast. Pour le moment les nombres d’abonnés semblent assez bas, le public n’est peut-être pas encore prêt à ce genre d’initiative. Il reste encore à généraliser l’écoute du podcast, en particulier auprès de deux groupes, les adolescents et les plus de 50 ans. Réserver des podcasts à ses abonnés payants, comme le font Spotify et Deezer avec leurs Originals, est un autre pas vers la plateformisation. Spotify, Deezer et Amazon Music sont très engagés dans cette voie, et des environnements fermés et spécifiques à certaines cibles comme la jeunesse se développent également.  Elargir l’audience en touchant une cible plus grand public, avec des formats de grande qualité sur des thématiques de divertissement, est aussi la stratégie du groupe NRJ sur le sujet des podcasts.

Sources:

https://techcrunch.com/2021/10/11/facebook-launches-a-audio-hub-in-the-u-s-for-podcasts-live-audio-and-short-form-clips/

https://help.twitter.com/en/using-twitter/spaces

https://techcrunch.com/2021/09/14/linkedin-is-launching-its-own-25m-fund-and-incubator-for-creators/

https://techcrunch.com/2021/03/30/linkedin-confirms-its-working-on-a-clubhouse-rival-too/

https://www.theverge.com/2021/4/19/22391551/facebook-audio-podcasts-clubhouse-competitor-spotify-live-rooms

https://techcrunch.com/2021/04/26/facebook-introduces-a-new-miniplayer-that-streams-spotify-within-the-facebook-app/

https://www.theverge.com/2021/7/16/22570683/audio-short-form-podcast-app-racket-beams