SMC #Essentiels | Comment maintenir la relation grâce aux réseaux sociaux? Rencontre avec Alexia Lefeuvre, Directrice communication et RSE d’AssurOne (Insurtech)

 

Précédemment Head of Communication de Rakuten France (anciennement le site de e-commerce PriceMinister), puis Head of global Communication de Novotel Hotels (groupe Accor), Alexia Lefeuvre partage son expertise sur l’utilisation des réseaux sociaux et la communication digitale. La rencontre est animée par Robin Coulet, membre du Social Media Club et fondateur de l’agence Conversationnel.

Robin Coulet: Les médias sociaux, avant d’être médias, sont des lieux de relation, des lieux sociaux. Cette notion de socialisation a évolué au fil du temps et n’est pas la même pour toutes les marques. En tant que responsable de la communication, comment as-tu ressenti que l’on était passé de la communication à la conversation et qu’il fallait entretenir une relation avec ses publics?

Alexia Lefeuvre: Quand je suis arrivée chez PriceMinister, la notion de communauté est un sujet que j’ai abordé très rapidement. Au tout départ, PriceMinister assurait un service d’achat-vente entre particuliers. La communauté s’est créée très rapidement. À l’époque, ils avaient créé un livre, « Le petit PriceMinister » qui recensait toutes les histoires, les anecdotes entre acheteurs et vendeurs. La communauté était attachée à PriceMinister (certains ont rencontré l’amour, d’autres ont découvert qu’ils avaient la même passion…). Il y avait une humanité chez PriceMinister qui était très forte. Lorsque Rakuten a racheté la plateforme en 2008, il y a eu une évolution vers du B2C, et les fondateurs voulaient absolument garder ce lien propre à la communauté. Nous avons eu la chance de formaliser la notion de « communauté » avec le réseau social via Twitter, Facebook et les débuts sur Instagram. Sur le site, il y avait un tchat où l’on pouvait poser des questions, auxquelles répondaient des particuliers qui aimaient tellement la plateforme PriceMinister qu’ils guidaient eux-mêmes d’autres utilisateurs. Quand vous commencez avec une marque aussi conversationnelle, vous ne pouvez qu’être sensibilisée à cela. La notion de réseau social permettait de faire fi des frontières géographiques.

 

Robin Coulet: Nous avons donc une entreprise avec une communauté inhérente à la marque : la fonctionnalité de la marque fait que cela crée du lien, de la socialisation, de la rencontre. C’est un terreau très fertile. Mais tu as aussi travaillé avec d’autres marques qui bénéficiaient moins de cet aspect intrinsèque de communauté. Est-ce que la notion de relation reste quand même? Comment l’entretenir?

Alexia Lefeuvre: C’était très différent en effet chez Novotel, avec une communauté mondiale (Novotel est présent dans 60 pays). Avec une telle marque, vous vous attendez à vivre une expérience en hôtel, pas sur les réseaux. Il a fallu alors créer l’expérience en dehors de l’hôtel, que l’on réfléchisse à l’universalité d’un sujet. Comment intéresser de la même manière des populations très différentes? Nous avons fait le choix du temps. Le temps  (et sa gestion) est un sujet qui nous concerne toutes et tous.. Nous avons mené une étude mondiale qui a confirmé cet insight. Sur 11 pays interrogés, 57% des personnes ont répondu qu’elles préféraient avoir plus de temps que plus d’argent. À partir de là, nous avons essayé de fédérer une communauté autour du “Time Well Spent”, “le temps bien dépensé ». C’est là que le réseau social prend toute sa saveur, puisque l’on conversait aussi bien avec des Brésiliens que des Japonais ou des Portugais. Nous apportions du contenu, et la relation n’était pas commerciale, mais une relation où nous leur montrions un autre aspect de la marque, presque une philosophie de vie. Il s’agissait de commencer cette relation en dehors de l’hôtel puis de la poursuivre dans l’hôtel.

Avec PriceMinister, l’idée était seulement de créer de la conversation. Chez Novotel, ce n’était pas le cas parce que la population n’était pas du tout la même. C’est à ce moment que le “brand content” a pris son sens pour moi. C’est-à-dire que la marque crée du contenu, non pas pour vendre, mais pour créer cette communauté et devenir une marque qui compte dans la vie des internautes et qui les accompagne au quotidien. Il fallait que l’on travaille tous les pans de la communication. Nous fournissions du contenu pour créer cette expérience totale de marque.

 

Robin Coulet: Comment as-tu utilisé le social listening à travers tes expériences pour parvenir à placer la bonne conversation et la bonne relation avec les publics?

Alexia Lefeuvre: Chez PriceMinister, nous étions vraiment dans le quotidien des utilisateurs. En plus, dans le e-commerce, il est plus facile de s’ajuster rapidement. Lorsque l’on nous soulignait qu’il manquait une typologie d’objet, un sourcing pouvait immédiatement être mené de notre côté. Je parvenais à lier communication et commerce, et donc business. J’exploitais ces “signaux faibles” pour créer de la conversation, mais aussi pour créer des sujets de communication-relation presse. Pour citer un exemple, j’avais remarqué que de plus en plus de personnes achetaient des poulaillers de balcon. Je me suis dit qu’il fallait en vendre, ce qui s’est confirmé lorsque nous avons vu ce type de recherches apparaître sur notre site.

 

Robin Coulet: J’ai également un exemple sur l’écoute des conversations qui a permis de revoir l’offre commerciale, chez Decathlon. Ils se sont rendu compte qu’il y avait un vrai besoin d’acheter des matelas gonflables à Noël, détecté grâce aux réseaux sociaux, aux forums et à Twitter. L’écoute des conversations et la compréhension des besoins des consommateurs a parfois une répercussion immédiate sur le commerce.

Concernant les réseaux, nous n’avons pas les mêmes échanges ni les mêmes consommateurs en fonction des plateformes. Comment qualifier le type de relation que l’on peut entretenir en fonction des réseaux sociaux?

Alexia Lefeuvre: La première chose qui m’a frappée avec l’évolution des réseaux sociaux est la défiance envers la dimension promotionnelle des marques: «tout ce qui émane de la marque est publicitaire.» Comment en tant que communicant pouvons-nous leur prouver notre bonne foi et regagner en authenticité? J’ai remarqué une défiance couplée à de la passivité. En passant de Twitter à Instagram, en particulier, j’ai noté une vraie passivité. Il y avait des likes, mais pas de commentaires pour approuver, critiquer ou améliorer le contenu. Chez Novotel, je n’arrivais plus à créer de conversation ni de débat sur Instagram. C’est à ce moment-là que j’ai senti que nous étions passés d’un réseau de conversation à un réseau surtout d’image. J’envoyais mes contenus, j’avais des likes, mais j’avais l’impression de parler dans le vide. Alors qu’aujourd’hui, Twitch et Discord, par exemple, permettent de fédérer cette population engagée à la discussion.

Alors ne valait-il pas mieux quitter Instagram puisque le réseau n‘y engageait pas de réelles conversations? Puis il y a eu la pandémie, nos hôtels ont commencé à fermer en Chine, puis au Canada, aux États-Unis… Mais derrière toute crise, il y a une opportunité. Et là, Instagram était une réelle opportunité puisque qu’il y avait un besoin de rêve, à défaut de pouvoir le vivre en vrai. C’est à ce moment que nos chiffres Instagram ont commencé à évoluer. Nous avons fait un partenariat avec l’application Calm qui est leader sur la méditation, la respiration, le sommeil et la reprise en main du contrôle de son temps. Nous avons créé du contenu dans l’optique de permettre aux internautes de prendre ce temps. Ils avaient à ce moment du temps de cerveau disponible pour commenter et interagir. Nous n’avons pas quitté Instagram et nous avons continué de nourrir nos collaborateurs, nos clients et nos futurs clients.

 

Robin Coulet: Donc la crise sanitaire a transformé vos stratégies, puisque cela a changé la donne sur Instagram, où vous avez pu vous déployer avec plus d’échange et de conversation.

Au-delà d’Instagram, est-ce que tu as déjà interrompu certains réseaux sociaux parce que la relation ne fonctionnait plus?

Alexia Lefeuvre: Que ce soit chez Rakuten ou AssurOne, nous avons décidé d’arrêter d’utiliser Facebook. PriceMinister a commencé sa stratégie conversationnelle sur Facebook. Seulement, à cause de la population à la fois vieillissante et qui se détache complètement du réseau social et du fonctionnement de l’algorithme où il faut payer pour être vu en tant que marque, nous n’avons pas poursuivi sur Facebook. Je privilégie le qualitatif au quantitatif. Cependant, certaines marques reviennent sur Facebook et y retrouvent une caisse de résonance. Même si les internautes ne likent plus, ils voient l’information.

 

Robin Coulet: Est-ce que dans les communautés que tu as pu observer, il y avait ce sentiment de se retrouver dans un entre-soi sans dépendre des GAFAM ?

Alexia Lefeuvre: Chez PriceMinister, nous avions créé un tchat sur la plateforme où les ambassadeurs prenaient le temps de répondre aux utilisateurs. Les membres de la communauté faisaient partie de la vie des uns et des autres. Le digital peut être au service de quelque chose de bien réel. La plateforme leur convenait davantage qu’un réseau social ou une messagerie. Mais c’était une population très particulière d’ambassadeurs qui étaient sur le tchat, et qui dès qu’ils pouvaient se libérer de la mainmise des grands d’Internet, le faisaient.

 

Robin Coulet: Comment adapter ses contenus et être au plus proche des attentes des consommateurs?

Alexia Lefeuvre: Il faut être sur le terrain, qu’il soit virtuel ou réel. Il faut écouter, aller sur les forums, partout sur Internet, et identifier ce qui fait vibrer les consommateurs. Penser qu’il n’est plus nécessaire au bout d’un certain temps d’être connecté au terrain est,selon moi, une grosse erreur. Par exemple, chez Novotel, j’allais travailler dans les hôtels, parce que c’est là que je captais le plus de conversations et l’ambiance générale, que je me reconnectais avec la réalité terrain.

 

Robin Coulet: C’est un privilège réservé à certaines marques qui ont un lien direct avec le consommateur final. Quand on est fabricant ou que l’on vend des produits, il peut y avoir une distance.

Alexia Lefeuvre: Chez AssurOne, ce sont des populations auxquelles je n’ai pas accès habituellement. Il y a beaucoup d’informations que j’obtiens via les commerciaux, ou dans les conférences, les salons et sur Internet. Je passe beaucoup de temps à regarder tous les types de réseaux sociaux possibles par rapport à un sujet, à une marque. C’est une observation participante, un travail d’écoute et d’appropriation des environnements dans lesquels nous évoluons. Cela peut paraître basique, mais c’est à faire, que l’on ait accès (facilement) au client final ou non.

 

Robin Coulet: Le digital et les réseaux sociaux permettent cette veille d’opinion et ce social listening. Y a-t-il des insights à retirer des réseaux sociaux pour les marques?

Alexia Lefeuvre: La communication comme je l’imagine est un esprit “toile d’araignée” ou “éponge”. Je suis capable de regarder un grand nombre d’informations qui n’ont au départ potentiellement pas de lien avec mon sujet ou ma marque, mais dont je tire à la fin quelque chose qui va servir ma marque, dans son temps et son univers. Je vais essayer des choses et tout ce que je vais pouvoir en retirer va me permettre de comprendre à qui j’ai affaire. Je fais des micro-ajustements pour en tirer une sorte de science.

 

Robin Coulet: C’est donc du “test-and-learn”, de l’apprentissage par l’expérience, de l’écoute et du bon sens. C’est intéressant d’être passé d’une marque communautaire de façon organique (PriceMinister) par intérêt à une marque communautaire par intérêt (Novotel) puis à une marque qui a moins d’aspérités communautaires (AssurOne). Comment as-tu fait pour garder cette relation et cet esprit communautaire?

Alexia Lefeuvre: C’est l’aspect humain qui m’a touchée chez AssurOne. C’est une insurtech de plus de 450 collaborateurs . On crée des tunnels de souscriptions, des mini-sites. On met à disposition des gammes de produits et de services. C’est majoritairement une marque blanche, ce qui en fait sa complexité. Avant même d’en faire une marque, je veux en faire un label de qualité. Le premier outil pour capter de futurs partenaires est donc LinkedIn. J’ai voulu montrer une image plus humaine de l’assurance, j’ai donc montré les coulisses d’AssurOne. Qu’est-ce qui fait l’assurance? Ce sont les personnes qui sont derrière. J’ai créé une communauté d’ambassadeurs internes. En tant que communicante, je dois faire ce petit pas de côté pour trouver le sujet universel. Ainsi, je trouve un public cible avec lequel je peux interagir.

 

Robin Coulet: Qui est-ce qui endosse ce rôle et est-ce facile de le faire?

Alexia Lefeuvre: Les premiers ambassadeurs sont les collaborateurs. Ils s’approprient leur rôle progressivement. Je tourne de petits films avec eux. On est dans le vrai, le réel, il y a un côté artisanal mais toujours avec un gage de qualité. Accepter d’être ambassadeur peut avoir des répercussions positives, si ce n’est en externe, au moins en interne.

 

Robin Coulet: Comment voyez-vous l’avenir de la relation? Dans le Metaverse, dans un monde immersif?

Alexia Lefeuvre: Je pense que la notion d’immersion est aujourd’hui importante. Mais je ressens pourtant l’inverse dans le milieu dans lequel je suis aujourd’hui : un besoin fondamental de reconnexion dans le vrai. Nous essayons de repenser la convivialité de manière qualitative. J’ai pris connaissance d’une statistique qui disait que 30 % de la créativité venait de discussions informelles. Aujourd’hui, le télétravail permet de choisir la typologie d’interaction qui nous fait du bien. Le Metaverse, pour ma part, ce n’est pas pour tout de suite.