Web Culture

7
Déc

Comprendre la Web Culture

Si son bon goût est parfois discuté, force est de constater que la web culture est un territoire à part entière sur lequel de plus en plus d’annonceurs s’aventurent. Mais à quel prix ? Lors d’une conférence organisée par le SMC Lille à SKEMA, Maïté Hoste (Kiss my Geek – Ankama), Nicolas Moreau (Publicis Net Intelligenz) et Cyril Rimbaud (Curiouser) ont permis d’analyser les ressorts et facettes d’une culture qui s’expose fortement depuis quelques années.


Les mèmes : de « l’anti-propriété intellectuelle » au « langage codifié et universel »

Impossible de traiter de la web culture sans évoquer le cas des mèmes. Symbole de l’anti-proprieté intellectuelle ou véritable langage universel, ce phénomène internet se renouvelle en permanence autour de ces deux facettes et mieux vaut être du bon côté de la barrière. C’est en tout cas ce que constate Maïté Hoste dans le cas litigieux du Star Wars Kid « la question de l’anti-propriété intellectuelle est fortement liée à la façon dont on détourne l’image et la vidéo ». A contrario on se souviendra d’Antoine Dodson, hier parodié, aujourd’hui devenu une «célébrité ». Pourtant force est de constater que la problématique n’est pas récente « cette dynamique de braconnage intellectuel n’est pas arrivée avec internet, elle était déjà présente à l’époque, avec l’exemple du prof de collège qui faisait ses photocopies » rappelle Nicolas Moreau.

Alors, pas si spécial le mème ? Pour Nicolas Moreau, les mèmes sont des contenus lambdas qui sont repris, détournés, qui s’enrichissent au fur et à mesure et qui surtout, ont la capacité de faire rire. « Ils reposent sur un statut universel, tout le monde peut utiliser ce procédé pour retranscrire un sentiment » analyse Maïté Hoste.
Cyril Rimbaud place le mème sous le signe de l’oxymore « prenons l’exemple des lolcats, ils permettent d’exprimer une émotion qu’on ne peut pas retranscrire sur papier. Les premiers qui auront réussi à décoder cette grammaire auront gagné ! ». En résumé, les mèmes « cette fraction de culture indivisible très forte que les gens se transmettent les uns aux autres » et qui s’inscrivent dans un espace temps qui leur est propre « ce n’est pas nouveau et ça change tout le temps » Cyril Rimbaud.

Les creepypastas sont un bon exemple de mèmes. « Ce sont des légendes urbaines transposées à internet, au réseau, comme celle du fichier mp3 qui peut vous rendre aveugle ou celle de Keanu Reeves l’immortel » explique Nicolas Moreau. « Ils sont spécifiques à chaque pays, chaque endroit dans le monde génère des mèmes » ajoute Cyril Rimbaud.

 

De l’émergence d’un phénomène internet à ses tentatives d’appropriation

Annonceurs, médias, comment expliquer ces phénomènes et surtout se les approprier ? Pour Cyril Rimbaud, il y a deux dimensions que les marques devront intégrer si elles souhaitent s’inscrire dans cette dynamique de viralité à partir duquel se construit un phénomène internet. Le premier est lié à l’identification à une communauté « je propage, je reste dans ma communauté », le second à la valorisation « je propage pour montrer que je suis le premier à propager un mème ». Reste ensuite selon Maïté Hoste, « une grande part de chance dans l’association entre la bonne image et la bonne idée, comme ce fut le cas avec le mème de Nicolas Sarkozy, le « Trollcadero ».

Qu’en est-il des médias, comment s’approprient-ils ce phénomène pour ensuite l’expliquer à leur audience ? La tâche n’est pas évidente comme le souligne Maïté Hoste, l’exemple du journaliste de télématin qui a fait un buzz en parlant de « Meuporg » pour MMORPG « parce qu’il est tombé sur la mauvaise cible » l’illustre bien.
« Voir des journalistes lambdas se tromper, c’est agaçant !» commente Cyril Rimbaud. A l’inverse, le classique « top 20 des mèmes » dans la presse semble un exercice à meilleure portée.

 

« L’anonymat favorise la créativité, alors que le trolling c’est foutre le bordel ! »

« L’anonymat génère de la créativité, il permet de rebondir sans problème et de mixer la culture qui est autour de nous » explique Cyril Rimbaud. L’anonymat devient finalement une sorte de marque d’identité au sein d’une communauté qui manipule des contenus qui constituent un « entre-nous », comme on peut le voir sur 4 chan. A l’inverse, le trolling « c’est l’art de foutre en l’air, opéré par des personnes malsaines qui préfèrent être sous couvert d’anonymat » analyse Cyril Rimbaud.
Pourtant, trolling et anonymat ont ceci en commun de respecter des règles comme le rappelle Maïté Hoste « le trolling suppose de bien connaître les règles d’internet, le « troll » va se jouer de vous pour vous faire adhérer à une idée subversive. »
L’anonymat, lui, « ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de règles, analyse Nicolas Moreau. Il y a une hiérarchie dans la publication, des repères normés entre utilisateurs ».

 

Quelles opportunités pour les marques ?

Pour Cyril Rimbaud, « les hommages marchent bien mais pas la récupération des mèmes. Oasis a des exemples réussis mais a parodié des mèmes, tout comme Evian qui s’est inspiré du « dancing baby » de 1996. Pour autant, une marque a pour but d’être stable. Comment utiliser un mème pour une marque ? Elle n’est pas faite pour ça ! Sauf Oasis qui s’adapte constamment mais très peu de marques peuvent lancer de l’amusement en permanence. »
La posture d’ouverture et d’auto-dérision est essentielle pour Nicolas Moreau qui s’appuie sur l’exemple du naked guy de La Redoute. « Le mème est gratuit est c’est ce que les gens aiment. Il démontre une posture d’ouverture, d’auto-dérision. On va s’en servir pour créer du trafic sur votre site. Ce qui est malin c’est de faire des références, d’adopter des postures sans que le mème soit la pierre angulaire. » A cette position s’ajoute l’importance de comprendre le public qui est une notion centrale pour Maïté Hoste, « la publicité pour World of Warcraft avec Chuck Norris est une belle exploitation qui montre qu’on comprend le public auquel on s’adresse, mais ce n’est pas évident de construire une campagne marketing dessus, l’exemple de Veet en témoigne bien. »

 

Comprendre les nouveaux territoires digitaux et « arrêter de faire de la réclame ! »

Quelle réponse pour les marques ? « Mèmes et creepypastas fonctionnent sur un effet de mode, ils sont donc éphémères : ils sont amenés à évoluer puis voués à disparaître. Pour l’heure, ils restent un terrain de jeu intéressant dans la communication, même si « tout ce qui toune autour du mème est une culture complexe quand on ne s’y connaît pas » analyse Maïté Hoste. Un point de vue partagé par Nicolas Moreau : « le mème est une école de pensée à part enitère et il est compliqué de peser sur de tels phénomènes de communication, il faut prendre du recul. »
Il y a également une dimension « générationnelle » dans la constitution de ces phénomènes web-culturels. « Internet n’est pas un média passif et ne répond à aucune génération digitale » prévient Cyril Rimbaud. « Le mème est un épiphénomène, il montre qu’internet n’est pas qu’un média, encore moins un média passif souscripteur de réclames mais bien un maillage de territoires, qui crée de la culture et des comportements. Ce phénomène montre qu’internet est un média complexe sur lequel on ne peut se contenter de mettre des banières pub ! ».
La web culture est donc un phénomène partagé par une communauté « qui a trouvé un écho à sa créativité », rassemblée sur des centres d’intérêt mais certainement pas sur une tranche d’âge. « 2013 sera l’année des comportements et des internautes » prédit Cyril Rimbaud. Mais, en attendant, les « tauliers se chargent de remettre les apprentis sur le droit chemin de la toile » conclut Nicolas Moreau.

 

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Illustration par Cyroul