Elections municipales : les médias sociaux changent-ils la donne ?

 

Le bijoutier de Nice, le chaton maltraité à Marseille, le chalutage en eaux profondes… autant d’affaires qui ont suscité une forte mobilisation en ligne. De quoi susciter l’envie chez les politiques qui essaient aux aussi d’engager les citoyens en ligne. Avec quels résultats ? Que vaut vraiment l’engagement en ligne ? Le Social Media Club a réuni professionnels et chercheur pour en débattre lors d’une conférence animée par Alban Martin, vice-président de l’association, à quelques jours des élections municipales.

 

Engagement en ligne et hors ligne : quelle différence ?

Les scrutins électoraux sont l’occasion d’observer de nouveaux outils et usages numériques, qui s’ajoutent aux traditionnels affichages, porte-à-porte et distribution de tracts. Les élections présidentielles de 2012 ont d’ailleurs vu fleurir les infographies, s’installer la social TV ou encore le fact-checking. Mais derrière ces initiatives, il reste difficile de sonder leur influence sur l’opinion en ligne. Pour Romain Badouard, enseignant-chercheur à l’Université de Cergy-Pontoise, les règles propres au numérique reconfigurent en partie les pratiques politiques. Beaucoup d’enquêtes suggèrent en effet que l’engagement numérique est différent de l’engagement physique.
D’abord, l’engagement numérique semble plus souple que l’engagement physique : sur internet, les citoyens disposent d’un « portefeuille d’engagement ». S’il leur arrive de s’engager assez largement et de manière assez diffuse, ils ne s’investissent pas pour autant pleinement.
Ensuite, la manière de « faire public » sur internet est singulière. Lorsqu’il s’engage politiquement, hors pratiques numériques, l’individu passe par trois phases successives : le sentiment de « concernement » par une cause, l’engagement dans cette cause et le passage à l’acte. Sur internet, ces trois étapes sont fusionnées. La participation en ligne requiert une implication moindre. D’où la désignation de « collectifs malgré eux » : les individus n’ont pas vraiment l’impression de faire partie d’un collectif.
Enfin, les collectifs formés en ligne ont un caractère performatif. Il s’agit de la manière dont, en représentant un public, on le fait exister en partie. Avec le social media existe une obsession de la quantification. Dans le cadre d’une action collective, ces chiffres prennent une autre dimension : le sentiment de faire partie d’un public s’impose et les internautes se voient agir à travers la quantification de leurs traces numériques.

 

A « liké » = a voté ?

Les campagnes politiques sont aussi l’occasion de prises de parole des politiques sur les réseaux sociaux. Dans le cadre des municipales, « l’efficacité d’une communication numérique doit être relativisée » juge Ivan Valerio, journaliste au Scan Politique du Figaro. En effet, ces élections représentent un enjeu très local, or, dans les petites communes de l’Hexagone, candidats comme citoyens nouent peu de relations en ligne. Quant aux grandes métropoles, nulle victoire ne peut être directement imputée au déploiement de ces stratégies politiques en ligne.
Par ailleurs, la maîtrise de la parole sur les réseaux sociaux est un exercice périlleux, notamment pour les candidats. C’est ce que révèle l’étude d’opinion mining menée sur Twitter par Scan Research en collaboration avec les étudiants du CELSA au sujet du duel opposant Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo. Comme démontré par Benjamin Sureau, étudiant du Master MISC, un compte twitter « influent » par ses métriques n’est pas forcément « influent » sur les votants. Ainsi, si 71% des tweets sur la campagne concernent Kosciusko-Morizet, seuls 38% ont une tonalité positive, contre 72% pour Hidalgo.
Pour Jim Jarrassé, chef de service au Scan Politique du Figaro, s’il ne permet « pas forcément une réappropriation des enjeux citoyens », le numérique a néanmoins ceci de positif sur la communication politique : « le devoir d’exemplarité des politiques sur les réseaux ». Les prises de parole des candidats sont en effet scrutées par les médias, car un tweet ou un contenu viral peut bouleverser l’agenda médiatique en quelques minutes.
Matthieu Lerondeau, directeur associé de La Netscouade reste quant à lui persuadé qu’il est possible de faire la différence avec le numérique, d’autant plus « lorsque cela se joue sur de très petits chiffres ». Les réseaux sociaux seraient moins un outil d’obtention de voix, que des leviers de recrutement pour fédérer et mobiliser les militants. Une influence décelée dès 2009 par le rapport Terra Nova.

 

Le numérique au service des citoyens ?

« Il faut distinguer l’engagement citoyen de l’engagement politique » signale Jim Jarrassé. Mais pourtant, « 56% des 15-30 ans considèrent que signer une pétition, c’est faire de la politique » relève Sarah Durieux, directrice de campagne senior chez Change.org. Ce site, qui se veut « plate-forme de démocratie ouverte », compte trois millions d’utilisateurs aujourd’hui. Les internautes qui le fréquentent ne sont pas des activistes pour autant. Toute personne interpellée par un fait, une injustice, une violence, une irrégularité dans l’espace public peut déposer une pétition pour alerter et mobiliser. Change.org est à ce titre « un thermomètre intéressant sur le plan local ». En effet, certaines pétitions sont entendues et donnent lieu à des actions concrètes, quand bien même le nombre de signataires n’étaient pas particulièrement important. La publicisation de la cause suffit. Pour en revenir au scrutin municipal, s’il n’a pas d’impact direct sur l’activité enregistrée sur Change.org, il reste une opportunité médiatique pour faire entendre sa voix.

Ces différentes initiatives citoyennes sur internet participent de « la construction d’une échelle d’engagement ». Qu’il s’agisse des réseaux sociaux, Twitter, Facebook, Instagram, Foursquare, Tumblr… ou des plates-formes d’expression citoyenne comme Change.org, des usages émergent et s’installent. « Tous ces comptes sont autant d’accélérateurs pour la démocratie locale » ajoute M. Lerondeau : car les relations initiées durant les campagnes politiques « vont perdurer et continuer d’être des outils d’interaction entre citoyens et élus ».

 

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