Marques et influenceurs : leurs contenus ont-ils encore du sens ?

Par Elise Koutnouyan

Les trois points à retenir :

  • L’exigence de créativité, maître mot de la relation entre les influenceurs et les marques.
  • Pour les annonceurs, la relation influenceurs doit faire l’objet d’une approche en terme d’objectifs : notoriété, relation au sein d’une communauté, création d’un tunnel d’engagement. Il y a donc un  enjeu d’alignement des différentes équipes internes : digital, marketing, PR.
  • Il y a souvent confusion entre visibilité et influence, il est donc impératif de mixer indicateurs quantitatif et qualitatifs pour évaluer l’impact des actions.

Pour en discuter, nous avons réuni Bénédicte Amiot, Senior Account Manager chez Traackr, Aude Baron, Rédactrice en chef de eurosport.fr, Guillaume Doki-Thonon, CEO et fondateur de Reech, Mathilde Jaïs, VP Marketing chez Octoly et Arthur Kannas, CEO de Heaven. Cette session de la commission Content était animée par Maxime Drouet DGA de Burson Marsteller i&e et Aurélien Viers, Rédacteur en chef vidéo du Parisien.

Avec les réseaux sociaux, une nouvelle génération d’influenceurs est arrivée sur le Web et s’est taillée une place de choix dans les stratégies médias des annonceurs. Ces nouveaux acteurs s’affirment comme des médias à part entière, dont les marques apprécient la pertinence dans une approche communautaire de l’audience. Un nouvel écosystème est en train de se mettre en place et pose plusieurs questions : comment cadrer la relation entre marques et influenceurs ? Dans quelle dynamique et pour quel but ? Le marketing d’influence est le nouveau terrain d’action privilégié des marques mais reste parfois mal exploité.

L’un des premiers points d’interrogation dans la relation entre influenceurs et annonceurs, soulevé par Maxime Drouet (Burson Marsteller i&e) concerne la rémunération : faut-il payer ou faire le pari d’une prescription plus « naturelle » ? Chez Heaven, qui a lancé la première régie d’influenceurs, dès le début des années 2000 : « On parle de relations tarifées avec les influenceurs », témoigne Arthur Kannas son CEO « le modèle économique actuel est différent car le métier d’influenceur a muté avec l’arrivée des plateformes sociales et leurs metrics. » Si l’ancienne génération était sollicitée « pour le search et le référencement naturel », les influenceurs d’aujourd’hui offrent de la « visibilité » et un accès à une communauté. Même discours chez Reech, une brand-tech qui connecte les marques et les influenceurs : « la majorité des opérations sont sponsorisées car on attend quelque chose de concret », explique Guillaume Doki-Thonon, CEO et fondateur de Reech.

Rémunération et déontologie

Du côté d’Octoly, une plateforme d’intermédiation entre les marques et les influenceurs créée il y a trois ans, « nous ne faisons aucun partenariat payant. On promeut l’authenticité vis-à-vis de la communauté », défend Mathilde Jaïs, VP Marketing. Le modèle consiste à proposer gratuitement des produits aux influenceurs – et surtout influenceuses (beauté, lifestyle, mode) – en échange d’une revue du produit. Les influenceurs ne sont pas tenus de faire un retour positif, néanmoins cela représente 85% des revues de produits testés via la marketplace.

Pour Aude Baron, rédactrice en chef de eurosport.fr et fondatrice du blog resto-de-paris.com, la rémunération pose la question de l’éthique et de déontologie des influenceurs. « En tant que journaliste, j’ai toujours payé mes repas pour les chroniques de restaurant de mon blog, souligne-t-elle. La sincérité est là quand l’influenceur n’a pas besoin de l’argent généré par cette activité pour vivre. » Sauf qu’aujourd’hui, nuance Guillaume Doki-Thonon (Reech), 85% des influenceurs gagnent moins de 5 000 euros par an pour cette activité : « Ce sont surtout des passionnés ». La nature financière de la relation annonceur-influenceur s’inscrit dans la tendance à la professionnalisation de cette activité.

Influenceurs ou créateurs de contenus ?

On assiste aussi à un débat de wording sur la manière de qualifier ces nouveaux acteurs : sont-ils simples « influenceurs » ou véritables « créateurs de contenus » ? « Le marketing d’influence, ce n’est pas forcément donner son avis sur un produit. Il s’agit plutôt de vivre des expériences avec un produit et faire de l’impression, soutient Guillaume Doki-Thonon (Reech) qui plaide pour qualifier les influenceurs de « creators », ou créateurs de contenus, comme c’est le cas aux Etats-Unis.

La différence entre influenceurs et créateurs de contenus tient à la nature du contenu proposé. Selon Aude Baron (eurosport.fr), l’influenceur « en général parle de produits avec une démarche de communication : il y a une connotation de consommation » (EnjoyPhoenix, Youtubeuses beauté…) tandis que le créateur « produit du contenu avec une démarche plus artistique que consumériste, comme Norman ou Cyprien”.

Ce débat montre que la créativité est désormais le maître mot des influenceurs. Ces contenus originaux et créatifs leur ont permis de fédérer une communauté et cette compétence est recherchée par les annonceurs..

« Avant, on allait chercher les influenceurs pour leur avis, au format écrit (blog). Maintenant, on essaie de s’insérer dans leur ligne éditoriale : ça demande plus de créativité et de budget », soutient Arthur Kannas (Heaven).

Dans l’élaboration du contenu pour les marques, les influenceurs jouent un rôle important afin de garantir l’authenticité de leur discours et donc leur crédibilité face à leur audience. « Tout est question de cohérence : la communauté n’est pas dupe, elle sait qu’il y a du sponsoring mais est prête à l’accepter s’il correspond à la ligne éditoriale de l’influenceur » (Mathilde Jaïs, Octoly). À Eurosport, la rédactrice en chef Aude Baron était chargée de travailler avec les influenceurs afin d’élaborer des contenus respectant l’ADN de l’influenceur et du site.

Pour les annonceurs et les médias, s’offrir les services d’un influenceur nécessite de se poser la question de ce qui est attendu de la relation : s’agit-il avant tout d’acheter une large audience, de convertir une communauté ou bien de s’adresser à une niche ?

Nano / Micro / Macro : Trouver le bon influenceur en fonction de son objectif

La diversité du paysage du marketing d’influence permet aux annonceurs et aux agences de déployer tout un arsenal de relations mais aussi de choisir le type d’influenceur avec lequel travailler. Mathilde Jaïs (Octoly) distingue « micro-influenceur » (à partir de 5000 followers), « mid-tail » (de 100 000 à 500 000 followers) et les stars. « Pour sélectionner les influenceurs de notre plateforme, on vérifie aussi le taux d’engagement et la qualité du contenu publié », précise-t-elle. Certains annonceurs vont même jusqu’à cibler des nano-influenceurs (moins de 1 000 abonnés) pour leur pertinence sur des sujets de niche. « On va alors utiliser leur capacité à créer du contenu et la légitimité de ce spécialiste tout en lui donnant de l’audience par d’autre leviers traditionnels », explique Guillaume Doki-Thonon (Reech).

Moins exploitée, la communauté des clients en tant qu’« ambassadeurs » peut aussi permettre de véhiculer une image positive de la marque. « Nous avons mis en place un programme « Top Fan » : concrètement, on informe ces clients-influenceurs de nouveautés avant leur sortie, on les équipe… » détaille Arthur Kannas (Heaven). Ces échanges, non rémunérés, entretiennent l’authenticité de la parole recherchée chez des relais d’audience. À la Française des Jeux, ambassadeurs et influenceurs sont complémentaires, confirme Mehdi Hedjem, responsable SocialRoom FDJ.

Selon Bénédicte Amiot (Trackr), le choix de l’influenceur s’effectue sur le critère de la « pertinence par rapport au sujet de conversation » : « les marques cherchent à créer un tunnel d’engagement » et privilégient en ce sens des micro-influenceurs pour s’adresser à des niches et construire une relation de long terme. À l’inverse, les influenceurs « stars » peuvent être sollicités pour d’importantes opérations limitées dans le temps. Mais gare à la « mythologie de l’influenceur » qui déforme la vision des relations, prévient Mathilde Jaïs (Octoly) : « Les marketeux ont cette image en tête de l’opération avec un gros influenceur qui fait vendre un produit à 100 000 personnes en 10 min… En réalité ça n’existe quasiment pas. »

La maturité des marques à géométrie variable

Les agences pointent toutes un besoin d’évangéliser l’annonceur pour sortir de cette mythologie de l’impact des influenceurs : « on s’est rendu compte que certaines marques ne savaient pas quoi faire avec eux » (Guillaume Doki-Thonon, Reech). La maturité des marques varie notamment en fonction du secteur : « le domaine dans lequel on voit le plus d’expérimentations, c’est la beauté, décrypte Bénédicte Amiot (Traackr).

Les annonceurs se posent également la question de la direction à laquelle rattacher les influenceurs : Marketing, relations presse, social media… « En fonction de la direction dans laquelle le budget ‘influenceur’ est logé, la stratégie change » estime Arthur Kannas (Heaven). « Tout dépend de ce que veut la marque, abonde Bénédicte Amiot, Senior Account Manager chez Traackr : veut-elle faire acheter un produit directement ou pousser un aspect de son image de marque auprès des consommateurs ? ». En fonction des objectifs, les moyens divergent.

« Quand on lance une opération avec une ‘star’, le marketing a tendance à attendre des retombées directes en terme de vente et propose souvent d’y inclure un volet Business. Il est important de leur rappeler qu’un programme influenceur se travaille sur la durée et qu’il est important de poser un cadre relationnel avant de vouloir y mettre de la transformation clients », pointe Mehdi Hedjem (FDJ). À l’inverse, les relations presse sont dans une logique d’influence autour des valeurs de la marque.

Changement d’algorithme et mesure d’audience

Si la relation entre annonceurs et influenceurs est en pleine construction, les évolutions du Web social bousculent en permanence les stratégies médias. Les récents changements d’algorithme et d’API sur Instagram, Youtube et, dans une moindre mesure, Facebook, ont compliqué la mesure d’audience du marketing d’influence. Face à la mainmise des plateformes, la solution consiste désormais à collaborer pour « amplifier ». « Les réseaux sociaux nous enlèvent de la donnée si on ne va pas dans leur sens, explique Guillaume Doki-Thonon (Reech). La tendance est à relayer en « paid » les contenus créés avec les influenceurs : plus efficace qu’une publicité classique, cette solution permet de réduire le coût par clic tout en évitant une mise en concurrence avec les plateformes. Une variable supplémentaire à gérer : ces dernières tendent à s’immiscer directement dans les relations influenceurs-annonceurs en prenant le rôle d’agence et en proposant de coacher directement les influenceurs.

Enfin, travailler avec des influenceurs nécessite de prendre en compte des enjeux juridiques nouveaux. C’est le cas pour les influenceurs mineurs, une pratique encore mal encadrée mais qui appelle à la prudence quant aux conditions de travail, rappelle Arthur Kannas (Heaven). Et si une récente loi oblige désormais la mention de contenus sponsorisés, tous les influenceurs n’appliquent pas la législation avec la même assiduité : un « problème déontologique » que pointe Aude Baron (eurosport.fr). « On fait de l’éducation auprès de nos influenceurs, explique Mathilde Jaïs (Octoly) avant de souligner : En terme d’engagement, on ne voit pas de différences notables entre les contenus portant la mention ‘sponsorisé’ et ceux qui ne l’ont pas ». Le marketing d’influence a encore de beaux jours devant lui.

 

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