Cycle « Jusqu’où ira l’influence ? » #1 Détecter, activer et évaluer les influenceurs

Ce qu’on retient des échanges :

  •   Les influenceurs se professionnalisent, avec des rémunérations et des budgets en hausse.
  •   La proximité avec les marques va jusqu’à la cocréation de contenus et est parfaitement assumée.
  • Les règles juridiques et financières varient encore beaucoup d’un partenariat à l’autre et sont encore difficiles à définir.

Sur Youtube, Instagram, Facebook, Snapchat et plus récemment Tik Tok, un nouveau métier a vu le jour depuis quelques années. De critiques indépendants isolés et ultra spécialisés dans leur domaine, les influenceurs sont désormais devenus des professionnels du marketing et de la publicité. Démarchés par les marques pour des partenariats publicitaires, ils sont rémunérés pour parler de certains produits auprès de leur communauté. « Autrefois on se reposait sur les journalistes, les médias et les personnalités people. Aujourd’hui on se repose sur des youtubeurs et instagrameurs pour qui c’est parfois une activité économique exclusive. Si 63% des partenariats ne sont pas rémunérés, on observe une professionnalisation du secteur. Ce qui est une bonne chose, parce qu’il y a des règles », expose Sébastien Bouillet (Influence4You).

Nano (moins de 10 000 abonnés), macro (entre 10 000 et 100 000 abonnés) ou méga (plus de 100 000 abonnés) les influenceurs offrent aux marques une audience sur un plateau, déjà constituée et engagée. Pour autant, il semble que la performance chiffrée ne soit pas l’objectif principal de ce genre de collaborations. « Un influenceur pour nous, c’est quelqu’un qui a développé sa communauté follower après follower. Ce n’est pas quelqu’un de très connu qui aura 100 000 followers dès la création de son compte sans rien publier. Les influenceurs développent un lien très fort avec leur communauté, et c’est cela qui est intéressant pour nous. Il vaut mieux 10 000 abonnés très engagés que 100 000 abonnés passifs. Pour moi, l’influence marketing se situe entre la TV et les leviers à la performance car on peut mieux suivre les résultats qu’avec la TV.” précise Sébastien Bouillet (Influence4You).

 

« Ça fait partie de notre ADN de communiquer avec les influenceuses. Elles se sont professionnalisées, mais en tant que marque nous nous sommes également professionnalisées dans notre rapport avec elles. Aujourd’hui, nous avons un poste à plein temps dédié à cela. » Julianne Clamens (Birchbox France)

 

Avec un marché estimé à 20 milliards de dollars en 2020 (selon une étude de l’agence Reech[1]) les influenceurs sont un levier intéressant permettant aux marques d’atteindre un nouveau public. Huit jeunes français sur dix (18-24 ans) déclarent effectivement avoir découvert un nouveau produit (80%) ou une nouvelle marque (75%) via un influenceur[2]. Si le travail avec les influenceurs ne révolutionne pas complètement les métiers de la publicité et du marketing, il permet tout de même de se connecter à une audience plus jeune aux usages en pleine mutation. « Il y a aussi tout simplement un filtrage technologique chez ce type de population, qui pour beaucoup ont des bloqueurs de publicité sur leurs appareils. Travailler avec un influenceur permet de contourner ce blocage », détaille Sébastien Bouillet (Influence4You).

 

UNE RELATION DE GRANDE PROXIMITÉ AVEC LES MARQUES

 

Pour les marques, l’enjeu principal est d’identifier les influenceurs les plus aptes à communiquer efficacement sur leurs activités et produits. Noyés dans une masse de comptes Instagram en partie factices et où les followers peuvent s’acheter facilement[3], la phase d’identification des profils en elle-même est assez chronophage. « Parfois on reçoit des mails où l’on comprend que la marque n’a même pas regardé ce que l’on fait, qu’ils cherchent un profil précis qui ne nous correspond pas. Et puis ensuite, plus aucune nouvelle », raconte Julie (Djulicious). « Ce n’est pas la meilleure approche. Il y a une vraie dimension relationnelle dans notre activité. Notre travail, c’est de faire rayonner l’identité de la marque et c’est souvent en discutant sur le long terme avec le responsable presse que la relation se crée. Ils nous écrivent parfois pour notre anniversaire, commentent nos photos de vacances, connaissent le nom de nos animaux de compagnie … C’est un vrai accompagnement au jour le jour », détaille-t-elle.

 

« Le discours est en train de changer. On est beaucoup plus sur du relationnel entre l’influenceur et la marque. L’influenceur va découvrir et s’approprier le produit, mais il a toujours une clause de sortie du partenariat si cela ne lui plait pas. » Sébastien Bouillet (Influence4You)

 

Cette logique d’accompagnement dans les partenariats entre marques et influenceurs peut prendre plusieurs formes. « Tout va dépendre de l’objectif que l’on recherche », tranche Julianne Clamens (Birchbox France). « Parfois, nous avons un objectif de recrutement et de visibilité, donc nous allons vers des influenceuses qui sont de bonnes vendeuses. C’est une approche qui s’apparente à de l’achat média où nous avons besoin que cela soit rentable. Il y a ensuite une autre approche où nous intégrons les influenceuses à nos équipes, et co-construisons un produit ou une campagne avec elles. Cela peut prendre de six à huit mois, mais à l’arrivée tout le monde est très fier du travail accompli. Nous créons un véritable affect entre l’influenceuse et la marque », développe-t-elle. « Une cocréation crée la différence. La marque s’imprègne de l’univers de l’influenceuse, qui lui amène un bout de sa communauté. C’est son univers et sa communauté qui suit la marque à travers ce produit », théorise Julie (Djulicious).

 

UNE PROFESSION AUX RÈGLES À DÉFINIR

 

Si les métiers tendent à se professionnaliser, il est encore difficile d’identifier des tendances, des pratiques et des règles claires. Peu de partenariats sont rémunérés et le cadre de travail est encore assez variable. « Au début il n’y avait pas du tout d’argent en jeu. Maintenant, c’est sûr que la rémunération nous aide, mais il ne faudrait pas non plus que cela tue ce qu’on faisait avant », questionne Julie (Djulicious). « La question de payer un influenceur en fonction du retour sur investissement est difficile, on se l’est beaucoup posée », poursuit Julianne Clamens (Birchbox France). « Je suis mitigée car on a constaté certaines dérives vis à vis des budgets, des prix des influenceurs. On ne peut pas se permettre de dépenser des milliers d’euros en influence si on ne s’y retrouve pas au bout du compte », explique-t-elle. « Quand une marque comme Estée Lauder annonce que 75% de leur budget marketing va passer dans l’influence, forcément ça crée une bulle spéculative. Chez certains influenceurs cela devient délirant. J’en connais un qui a augmenté ses tarifs de 25% en quatre mois. Certes, il avait gagné en visibilité, mais ce n’était pas du tout justifié, c’est un prix que je ne pouvais absolument pas défendre auprès de mon client », remarque Sébastien Bouillet (Influence4You).

 

« On observe un transfert de budget des grandes marques, qui passent des égéries aux influenceurs. Alors forcément, cela devient difficile pour les petites structures de lutter face aux grandes marques. » Daniel Lemin (SoLocal)

 

Une fois le partenariat signé, les clauses varient d’une situation à une autre. Comment les influenceurs peuvent-ils garantir leur indépendance à leur communauté tout en étant rémunérés par la marque qu’ils mettent en avant ? « On demande de plus en plus que notre discours ne soit pas rédigé à notre place. Si la marque vient nous voir, c’est qu’elle aime déjà notre façon de faire, notre ton et notre style », assure Julie (Djulicious). « La marque donne des lignes directrices, elle peut demander par exemple à ce que le contenu sorte à une date précise. Mais tout se négocie. Si la marque reste trop rigide, ce n’est pas à son avantage », précise-t-elle. Pour ne pas tromper leur communauté, il est désormais courant que les influenceurs mentionnent le partenariat d’entrée de jeu. Selon l’étude de Reech mentionnée plus haut, ils seraient 96% à respecter cette pratique. « Ma communauté me le reprocherait si je ne le faisais pas », explique Julie (Djulicious). « C’est sûr qu’il y a un enjeu de crédibilité », tranche Julianne Clamens (Birchbox France). « Le marché de l’influence a beaucoup évolué, mais l’audience également. Aujourd’hui la moitié des personnes qui contactent un influenceur le font pour obtenir un code promo. Les consommateurs sont donc mûrs et pas naïfs, ils ont déjà assimilé cet aspect là, ce n’est pas vu de façon nocive », estime-t-elle.

 

« Avant, les influenceurs étaient vus comme des menteurs. Il y avait des pro et des anti. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes intègrent cette pratique et la trouvent normale. » Julie (Djulicious)

 

Avec la professionnalisation du métier d’influenceur, les clauses des contrats de partenariat deviennent de plus en plus précises, demandant par exemple une exclusivité temporaire. Certaines marques demandent également à vérifier les contenus précédemment publiés par les influenceurs avant de travailler avec eux. Des cours de « marketing d’influence » voient le jour dans les écoles de commerce. Dans les entreprises, l’influence peine encore à trouver sa place dans les organigrammes, à mi chemin entre le marketing, le community management et les relations publiques. « Identifier les personnes qui s’occupent de l’influence dans les entreprises, c’est tout mon désarroi depuis que j’ai lancé ma société. Il m’est arrivé de sortir d’un rendez-vous où dix personnes différentes disaient vouloir le faire, mais personne ne prenait le lead. », déplore Sébastien Bouillet (Influence4You). « Il y a différentes approches de l’influence en fonction des corps de métiers. Certains viennent des RP et ne veulent jamais payer les influenceurs car ils ont l’habitude d’échanger avec des journalistes et des blogueurs. D’autres viennent de l’audiovisuel et trouvent tout à fait naturel de rémunérer quelqu’un pour de la production de contenus, tout en se demandant quel sera le retour sur investissement … C’est encore un peu nouveau, les entreprises sont encore en train de se structurer et tout le monde se cherche un peu », relativise-t-il. L’influence est donc en train de devenir un pan à part entière de la publicité et du marketing, avec ses nouvelles règles et codes en cours d’écriture.

 

[1] https://www.reech.com/fr/influencers-brands-study-2019

[2] https://observatoirecetelem.com/les-zooms/enquete-3-3-consommation-daujourdhui-et-demain-le-poids-des-influenceurs/

[3] https://www.liberation.fr/futurs/2019/04/12/faux-comptes-et-spammeurs-comment-les-reseaux-tentent-de-reagir_1720687