Social Data : les nouveaux KPIs de l’engagement

Ce qu’on retient des échanges : 

  • les KPIs ont énormément évolué ces dernières années : d’indicateurs stricts à un système plus agile
  • la rapide évolution des plateformes et les spécificités de chacune incitent à des analyses plus qualitatives que quantitatives et à la définition de KPIs au « cas par cas » 
  • le marketing a tendance à prendre le pas sur la communication digitale, une évolution à surveiller car elle peut mener à une saturation des cibles 

L’évolution constante des plateformes, de leurs algorithmes et de leurs APIs invite à repenser la mesure de l’engagement. Ainsi, Instagram commence à déployer la fin des likes sur les posts, notamment aux Etats-Unis. Quelles alternatives trouver ? Même si le « j’aime » n’était déjà plus un KPI considéré comme « fiable » dans de nombreux cas, cette décision de la firme d’Adam Mosseri confirme une tendance de la social data à laquelle doivent s’adapter annonceurs et agences. Organique vs Paid : les KPIs sont-ils similaires ? Comment cette data est-elle traduite et diffusée en interne ? Quel est l’impact de la social data sur la stratégie, les budgets… ? Peut-on se fier aux données mises à disposition par les APIs des plateformes ? 

Pour en discuter, le Social Media Club avait invité Marie Laleian, responsable veille digitale et e-réputation chez Canal Plus et Chloé Lechopier, directrice de clientèle chez Studio 71 France. Cette session était animée par Charlotte Clemens, Managing Director France de Talkwalker et Clément Brygier, co-fondateur et CEO de Digital Insighters. 

« Dans KPIs, il y a le mot ‘key’ : cette notion est très importante, puisque le sujet c’est de pouvoir isoler des indicateurs pertinents, compris dans une organisation et sur lesquels on peut avoir un effet direct », amorce Clément Brygier (Digital Insighters) en introduction. Face à l’inondation de KPIs, les marques cherchent à obtenir quelques chiffres clés compréhensibles. De fait, « la multiplication des plateformes, des contenus et des formats fait qu’il est plus compliqué de trouver des KPIs lisibles », poursuit Clément Brygier. Les KPIs doivent à la fois pouvoir refléter le pouls de l’opinion, tout en assurant également dans une démarche performance. 

Chez Canal +, le service du marketing digital répond à deux objectifs. Le premier est de « valoriser les marques et les événements en paid et en gratuit sur les RS », détaille Marie Laleian. Le second est de « développer l’audience, l’empreinte digitale globale et de générer du trafic vers la plateforme MyCanal ». La responsable veille digitale et e-réputation s’appuie sur deux KPIs : les vidéos vues et le taux de clics vers la plateforme : « on veut générer des vues sur MyCanal et des abonnements », résume Marie Laleian qui précise que 40% du trafic sur ce portail provient des campagnes social media. Plusieurs réussites de Canal + sur le digital en attestent : Clique, lancé en septembre, dont l’audience reste « confidentielle à l’antenne », est un « carton plein » sur les réseaux sociaux. L’une des surprises de cette émission est notamment la chronique de Clément Viktorovitch, qui a fait jusqu’à 12 millions de vues sur celle consacrée à la journaliste Julie Graziani[1]

Concernant la mesure des likes et partages, « ils sont importants pour les contenus en clair et les contenus uniquement digitaux » : deux programmes emblématiques en témoignent : Catherine et Liliane et, désormais, Broute, contenu uniquement digital passé à l’antenne aux vues de son succès. Par ailleurs, le service marketing digital de Canal + pratique le social listening afin de savoir comment sont accueillies les créations originales, les campagnes de publicité, les bandes-annonces… « l’analyse des commentaires permettent de savoir si l’offre a répondu à un besoin et si elle a été bien accueillie ». La viralité des posts, la rapidité de l’engagement généré, est également un indicateur tracké. En ce qui concerne les technologies utilisées, Canal + s’appuie sur les analytics des plateformes (Twitter, Facebook, Instagram) et les outils de social listening de Talkwalker.

Côté régie, Chloé Lechopier explique que Studio 71 France travaille avec des influenceurs : elle énumère les différentes plateformes (Youtube, Instagram, TikTok, Twitch, 21 Buttons) qui ont « chacune leurs KPIs, leur format, leur outil de social listening » : « c’est le jeu des plateformes d’avoir leurs propres metrics », souligne-t-elle. L’agence d’influence marketing dispose de ses propre outils de KPIs mais souligne qu’elle considère chaque influenceur comme un « média à part entière »: « le travail se fait autour de la personne ». Studio 71 France a les moyens d’évaluer la qualité d’une audience (payée ou non) et la socio-démographie d’une communauté, grâce à des modules gratuits qui permettent de calculer le score d’authenticité, le taux d’engagement, l’âge de l’audience… À partir de l’ensemble de ces données, « les KPIs dépendent de l’objectif du client », souligne Chloé Lechopier. Avec les influenceurs, exit les KPIs traditionnels du clic : ce qui compte, c’est le taux de complétion et de rétention en matière de vidéo. « on compte beaucoup sur l’organique », ajoute Chloé Lechopier. Pour la directrice de clientèle de Studio 71 France, la question de la réussite d’une campagne en tant que telle reste difficile à poser car « un influenceur, c’est de l’humain, ça ne peut pas être une science exacte ! ». Ainsi, la grosse partie du travail doit se faire en amont, sur la définition de l’objectif de la campagne et le choix de l’influencer adéquat pour la porter. 

Si, comme le rappelle Clément Brygier, le nombre de fans était il y a quelques années le KPI privilégié et la porte d’entrée vers le contenu, cela a désormais beaucoup évolué. Avec l’arrivée des micro et nano-influenceurs, Chloé Lechopier (Studio 71) parle non plus de reach mais d’affinités. Les outils de social listening permettent de produire des analyses qualitatives plutôt que quantitatives. Les problématiques de fausses audiences, les révélations de gonflement des chiffres  d’audience de la part de Facebook[2] ont ébranlé la confiance dans les données communiquées par les plateformes. C’est un défi supplémentaire à gérer pour les annonceurs et les agences. « Nous sommes conscients du problème, les plateformes sont opaques mais on ne peut rien y faire », constate Marie Laleian. Pour pallier ces manques, Canal + s’intéresse désormais davantage aux mesures de l’engagement liés aux comptes Instagram « on génère de plus en plus de contenus en stories qui demande de l’interaction (tap, sondage, swipe up…) On s’appuie aussi sur nos talents ambassadeurs qui ont la capacité de gérer un volume conversationnel incroyable, comme Mouloud Achour, M. Poulpe, et sur Twitter Cyril Hanouna… »

À la suite de ces premiers échanges avec nos deux invitées, un tour de table permet de continuer à dresser le panorama de l’état des KPIs du point de vue des annonceurs et des agences. Plusieurs tendances ressortent. La première est que, si les KPIs traditionnels demeurent, ces derniers sont souvent customisés, retravaillés voire créés pour les annonceurs au « cas par cas ». Ainsi, Kevin Colleaux de The Social Republic distingue les indicateurs en B2B (volume de clic sur lien, interactions) au B2C. Sur le chatbots, les metrics intéressants sont le taux de rétention, la durée moyenne de conversation, le taux d’ouverture des messages…Chez Bolt Influence, les KPI changent en fonction des clients, des critères de réussite de campagne : branding, drive to store, vente en e-commerce… Idem chez Edelman Intelligence, où Delphine Wibaux insiste qu’aucun KPI spécifique est utilisé : cela dépend des métiers et des besoins. Mais l’agence détecte un besoin de rationaliser les informations issues de la social data et de les ancrer dans le réel. La Netscouade lie ce besoin de KPIs spécifique à l’évolution des plateformes et de leurs algorithmes : « les messages passent de moins en moins bien donc on cherche à optimiser les KPIs. Pour certains clients, on crée même un propre outil de scoring avec quelques indicateurs » explique Marc L’Helgoual’c.

La deuxième tendance est celle d’isoler des KPIs de l’engagement recensant les interactions positives, dans une perspective de branding. Ainsi Bruce Hoang d’Orange France explique mettre en place des KPIs permettant de se comparer avec les concurrents, de générer de la considération chez le public pour la marque. En terme d’engagement, l’enjeu est de créer du bruit positif autour d’une opération, d’un produit ou d’une entreprise. Cela rejoint le travail fait avec les influenceurs, dont la créativité, quand on lui permet de s’exprimer, peut jouer le rôle d’ambassadeur et donc installer un partenariat sur le long terme sur des sujets d’intérêts communs à l’annonceur et à la communauté de l’influenceur. Chez The Adecco Group, on reconnaît ainsi s’intéresser à la tonalité des posts et on souligne la démarche d’employee advocacy : « lorsque nos ambassadeurs parlent directement, l’effet ricochet est beaucoup plus important : l’engagement généré est plus grand que lorsque les marques s’expriment », décrypte Lucas Garcia. 

Enfin, l’une des fortes tendances est la recherche de la performance et la rationalisation de la social data. De plus en plus, cette dernière n’est plus considérée uniquement comme de la communication mais comme partie prenante du marketing. Dès lors que l’aspect financier entre en jeu, les KPIs doivent être posés et acceptés en interne pour l’équation budgétaire. « On est passé d’une culture de communication branding à une interaction avec la dimension marketing, qui justifie un cracking de performances, de mesures de connection… C’est de plus en plus prégnant chez les annonceurs », pointe Daniel Lemin de SoLocal. Un constat confirmé par Bruce Hoang de Orange France : « l’objectif est de valoriser les KPIs auprès du Comex : il faut faire en sorte que le social apporte un réel intérêt business. » Chez Orange, on met en place une différenciation entre « fast KPIs » et « slow KPIs ». Les « fast KPs  » renvoient à la visibilité, l’objectif de générer du bruit autour de la marque. Les slow KPIs s’intègrent dans une logique trimestrielle de résultats : ils doivent contribuer au ROI des ventes. Grâce aux « fast KPIs », « l’évaluation en temps réel permet de rectifier les messages pour générer de la préférence de marque et, in fine, des ventes ». 

Même constat du côté de l’agence Bolt Influence : « Le social media grignote du budget de campagne média classique. Nous sommes donc obligés de justifier auprès de la direction que le social media est intéressant d’un point de vue business ». En amont, le social listening permet de mettre en place le planning stratégie, justifier le choix de l’influenceur, le budget, estimer un reach, un CPV, un CPC etc détaille Chloé Lechopier (Studio 71 France). Pour autant, il convient de nuancer et mettre en garde contre cette évolution marketing, comme le fait Daniel Lemin de SoLocal : « les actions marketing peuvent saturer les cibles. Il faut pouvoir donner des moments de respiration et inciter à la créativité. » Récemment, Simon Peel, le Global Media Director d’Adidas a reconnu avoir commis une erreur en orientant sa stratégie de création digitale sur l’e-commerce et en délaissant la notion de branding et de préférence de marquer.

Chez Canal +, le social media est de plus en plus intégré dans la communication des audiences. Les contenus digital native et les audiences de la plateforme remontent plus vite à la direction et sont mieux entendus qu’avant. Ce constat incite à penser que, malgré les évolutions des plateformes (comme la disparition du like sur Instagram), la social data continuera à trouver sa place. Chloé  Lechopier évoque en conclusion les nouveaux usages sociaux liés à l’audio et à la voix : podcasts, assistants vocaux… Une autre façon d’envisager le social media émerge et, avec elle, de nouveaux KPIs à définir, analyser et intégrer dans les stratégies social media. Si cet univers des KPIs était auparavant très strict, il apparaît aujourd’hui beaucoup plus mouvant. Ce qui incite à une agilité grandissante de la part des acteurs, dès maintenant et encore plus à l’avenir. 

 

[1] https://www.facebook.com/watch/?v=2693792697327135

[2] https://www.forbes.com/sites/annabellewoodward1/2019/10/07/facebook-to-pay-advertisers-40-million-settling-hard-fought-class-action-lawsuit/#207e1cf21d72