Cycle « Parcours utilisateurs » #3 : UX, UI, Nudge, marketing… Accompagner l’utilisateur

Ce que l’on retient des échanges : 

  • Avant tout, mettre l’utilisateur au centre de la culture d’entreprise,
  • Demeurer éthique en envisageant non pas un individu, mais le groupe,
  • Commencer, éprouver et conclure un processus sur le terrain.

 

Quand on évoque l’UX (User EXperience), d’UI (User Interface) ou de nudge (ou « coup de coude » en français), de quoi parle-t-on exactement ? Ces notions, difficilement démêlables, tendent à se recouper. C’était l’objet de ce troisième et dernier débat consacré au parcours utilisateur.

« J’ai toujours fait du nudge sans le nommer », Riyad Lounissi (RATP Smart systems).

Simon Duhil, Président  d’AKWO, en témoigne. « Quand j’ai découvert le nudge, je n’ai d’abord pas vu de différence avec l’UX. Avec le temps, la définition du nudge m’est devenue plus claire. En somme, il s’agit d’une incitation douce à faire changer nos comportements. Un ou des dispositifs créent une structure de choix encourageant des individus à prendre des décisions normalement bénéfiques pour eux-mêmes, la collectivité, ou la planète. » Mais aussi pour l’entreprise, car un nudge est un investissement limité mais peut engendrer un bénéfice non-négligeable. Par exemple, des autocollants de mouche au fond des toilettes pour hommes à Amsterdam ont réduit de 80% les éclaboussures d’urine, et de 8% les frais de nettoyage. Riyad Lounissi, qui vient juste de prendre le poste de Head of UX & stratégie MaaS (mobility as a Service) RATP Smart systems, voit déjà l’application du nudge dans les transports sur le civisme des usagers et ce qui est le « nerf de la guerre dans les transports : la gestion des flux de personnes sur les quais. »

Pour éclairer la distinction pour le moins subtile entre UX, UI et nudge, le président d’AKWO propose cette métaphore. « Prenez un bol de céréales. L’UI, c’est l’esthétique de la cuillère. Est-elle jolie ? Un beau design ? L’UX, c’est cette question : cette cuillère est-elle pratique et agréable pour manger ses céréales ? Maintenant, le nudge : quelle est la taille de ce bol de céréales ? S’il est grand, cela vous incite à verser bien plus que les trente grammes recommandés. Réduisez le bol, et par cette action vous favorisez le choix d’une meilleure alimentation. »

Pour Riyad Lounissi, la frontière entre le nudge et les UI et UX est moins tranchée. « En quoi le design persuasif est-il différent du nudge ? Le nudge a été théorisé, documenté, formalisé. Moi qui suis issu de l’ergonomie, dont l’évolution naturelle est l’UX, j’ai toujours été nourri des sciences cognitives et des biais comportementaux que l’on associe plutôt aujourd’hui au nudge. Et donc toujours fait du nudge sans le nommer. »

« Quoi qu’il en soit, pour avoir une idée de la complexité de la distinction entre UI-UX et nudge, il suffit d’aller voir le nombre de conversations qui y sont consacrées sur LinkedIn », sourit Jérémy Gaudin, Designer des services pour l’agence Insign. « Ces outils s’appuient sur trois piliers. D’abord, le savoir théorique (sociologie, neurosciences, ergonomie, etc.). Ensuite, la méthodologie (pour ces trois outils, elles sont souvent communes). Enfin – ce qu’on oublie souvent – la culture d’entreprise. Si l’entreprise n’a pas fait le virage client/user centric, elle ne parviendra pas à utiliser ces outils. »

« Je m’astreins à ne pas faire de captologie », Simon Duhil (AKWO).

La question de l’éthique est centrale. Le nudge, rappelle Simon Duhil, a maille à partir avec les sciences comportementales et notamment la réflexion de Kahneman (Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, 2011). Il s’appuie sur plus de 150 biais cognitifs identifiés. « Pour ma part, ajoute Simon Duhil, je m’astreins à ne pas faire de captologie. Par exemple, comment Netflix encourage à ne pas s’arrêter à un seul épisode. » Simon Duhil le rappelle : « Un nudge est là pour inciter l’usager à prendre le bon choix, mais ce choix devait nécessairement être déjà en germe. Mais cet outil est puissant, et peut être utilisé à bon comme à mauvais escient. S’il vient à créer une volonté qui ne préexistait pas, on parle de dark nudge. »

Jérémy Gaudin rappelle qu’on définit l’expérience d’un individu avec trois niveaux : l’utilité (on répond à un besoin conscient ou non), l’utilisabilité (on rend les choses faciles) et le mémorable (on crée un souvenir d’expérience positif). « Avec ces critères-là, la matière la plus adéquate pour un instrument de cuisine, c’est le plastique. Mais si on se place du côté du bien commun, et qu’on regarde non pas l’expérience d’un individu mais la somme des expériences d’individus, le plastique n’est plus le bon choix. Pour avoir une démarche éthique, il faut considérer l’impact de ce qu’on fait sur un individu, puis un groupe, puis un groupe plus gros. » Autre exemple : « La programmation neuro-linguistique (PNL) est fustigée. A tort, selon moi. C’est un système qui permet à deux personnes de mieux communiquer. Si on l’utilise dans ce sens-là, ce n’est pas de la manipulation, mais un échange bénéfique aux deux parties. »

« Un bon designer est d’abord un designer qui se lève de sa chaise », Jérémy Gaudin (Insign).

Le risque, que soulève Jean-Maxence Granier (président fondateur de Think-Out et animateur de ce webinar), est le suivant : à force de s’appuyer sur le scientifique, les marques ne risquent-elles pas d’aboutir au même résultat ?  « Quid, alors, de la différenciation des marques », s’interroge-t-il. Deux premiers éléments de réponse sont apportés par Riyad Lounissi : « D’abord, l’hyperpersonnalisation, qui procède par segment, mais aussi via le wording et l’adressage, avec des applications qui apprennent de l’usager. D’autre part, des suppléments d’âme peuvent être donnés par du design et participer à construire une impression d’unicité. ».

Il est aussi possible d’intégrer l’utilisateur dans le processus. Pour Jérémy Gaudin, « un bon designer est d’abord un designer qui se lève de sa chaise. » S’il est parfois difficile d’avoir les moyens techniques ou financiers de récolter de la data expérimentale, il est possible, suggère-t-il, d’identifier parmi ses proches ceux qui ressemblent à ses utilisateurs, ou bien d’appeler son service après-vente, pour avoir une idée des tendances à l’œuvre. Riyad Lounissi renchérit : « on peut capter le bruit ambiant qui est constitutif de l’expérience d’un usager, et construire des personae que l’on affiche dans le bureau : l’essentiel, c’est de partir du terrain pour revenir sur le terrain. » Attention, toutefois : « Une persona va nécessairement évoluer », prévient Jérémy Gaudin. « Le test and learn est essentiel, convient Riyad Lounissi, et doit être répété. »

Dans un second temps, la modélisation de ces données est essentielle, pour soi et son équipe, comme pour les équipes auxquelles on livre l’analyse. Simon Duhil insiste sur ce dernier point : « On ne livre pas quelque chose, il faut le faire vivre. La génération d’empathie est essentielle pour transmettre aussi justement que possible l’expérience de l’utilisateur et la comprendre. Par exemple, j’ai déjà écrit une pièce de théâtre pour faire comprendre la vie d’une station de ski ou encore créé une expérience en RV pour se mettre dans la peau d’une fille de 14 ans. » L’émotion de l’usager est au centre de l’UI-UX, or, il est parfois difficil de l’identifier avec précision. Pour comprendre la crainte d’une chute dans le métro d’une personne en situation de handicap, on peut, par exemple, « traduire » la situation en une situation équivalente pour un « valide ». Un défi, certes, mais un défi souhaitable selon Simon Duhil, « car il dit tout de l’importance de l’humain dans le métier ».