Cycle “La comm’ responsable” #3 – Les réseaux sociaux, moteurs d’activisme toujours renouvelés

Ce que l’on retient des échanges :

  • Activisme de terrain et cyberactivisme ne sont pas exclusifs. Ils peuvent se nourrir mutuellement.
  • Le cyberactivisme implique l’identité virtuelle de l’individu. Pour éviter la dissonance cognitive, il peut ressentir le besoin d’agir concrètement et physiquement.
  • Adapter sa communication aux nouvelles plateformes permet de fédérer davantage, d’optimiser la portée de son message en faisant naître de nouvelles formes d’actions.

 

Autrefois exclusivement physique, l’action militante déferle désormais sur les plateformes numériques.  Mais peut-on aller jusqu’à parler d’activisme digital, ce militantisme pratiqué sur Internet? Et si oui, le cyberactivisme peut-il se suffire à lui-même?

 

Formes et acteurs du cyberactivisme

L’activisme digital se définit à la fois par ses supports et les acteurs qui s’en emparent. Pour Mireille Lalancette, Professeur titulaire en communication politique et spécialiste des réseaux sociaux à l’Université du Québec à Trois-Rivières (EGUQTR), « l’action, telle que la levée de fonds, peut s’opérer uniquement sur Internet ou au contraire s’organiser hors-ligne pour être ensuite propulsée sur les réseaux sociaux via un regroupement de personnes.» C’est cette dualité qui a permis aux plateformes de devenir des leviers fédérateurs.

Quant aux acteurs, ce sont autant des individus qui vont «liker ou signer une pétition» que des «activistes citoyens, institutionnels ou professionnels qui s’organisent pour se regrouper ou demander des financements pour agir directement.» Néanmoins, dans ce brouhaha communicationnel, « la difficulté aujourd’hui est d’identifier la source du message », souligne Leo Trespeuch, Professeur en science de gestion et spécialiste de l’activisme digital à l’Université du Québec à Trois-Rivières: «Ce ne sont parfois plus des humains qui interagissent, mais des machines qui vont faire ressortir des tendances.»

 

Évolution de l’activisme digital et actions innovantes

Comment les acteurs de l’activisme s’adaptent-ils aux innovations digitales? S’il est vrai que «les plateformes n’ont pas été créées pour faire de l’activisme», les militants s’approprient et s’adaptent à ces outils, y compris avec « la limite des algorithmes.», précise Mireille Lalancette. C’est face à une attention qu’il devient de plus en plus difficile de capter qu’intervient la distinction de Leo Trespeuch (EGUQTR) entre les «chapeaux blancs» qui s’adaptent à l’algorithme et les «chapeaux noirs» qui le déjouent et augmentent leur nombre de likes de façon moins « honnête » pour gagner plus facilement en visibilité. Bien que les «réseaux sociaux, média à part entière, aient un poids plus conséquent que les médias traditionnels, ils restent un lieu de diffusion dans lequel l’information peut rapidement être noyée», met en garde Benjamin Carboni, Fondateur du mouvement Cleanwalker.

 

Face à cette difficulté, la clé est d’être créatif et innovant, tout en s’adaptant. Les tendances, les formats et les plateformes se succèdent, des hashtags (déjà presque obsolètes) aux mèmes, de Facebook à TikTok. Pourtant, de nombreux militants parviennent à créer de véritables actions sur le web, à l’image de la campagne On est prêt (https://www.onestpret.com) ou encore du collectif noustoutes.org. Mireille Lalancette (EGUQTR) partage le concept de ParityBot (https://paritybot.com), un robot qui envoie des messages positifs aux femmes politiques pour les encourager à poursuivre malgré les nombreuses tentatives d’intimidation qu’elles peuvent subir en ligne. Benjamin Carboni (Cleanwalker) rappelle l’événement Z Event (https://zevent.fr), qui s’est tenu sur Twitch, mené par des streamers français qui ont récolté presque 6 millions d’euros en un week-end en faveur d’Amnesty International. Au milieu de ces initiatives, il s’agit aujourd’hui pour Léo Trespeuch (EGUQTR), «d’identifier les leaders d’opinions ou micro-influenceurs pour les rallier à sa cause, et parallèlement, d’utiliser les données massives pour identifier les relais clé qui participent à la diffusion de l’information.»

 

Quand peut-on se considérer comme activiste digital?

«Je ne pense pas qu’il y ait d’activisme digital. Il s’agit surtout d’un outil de communication pour promouvoir ses actions sur le terrain. Si je ne change pas ma façon de vivre, il n’y a pas de cohérence.» Benjamin Carboni (CleanWalker)

A partir de quand sommes-nous donc activistes? Pour Benjamin Carboni (Cleanwalker), on ne peut parler d’activisme que dans l’action concrète du terrain : «Je ne pense pas qu’il y ait d’activisme digital. Il s’agit surtout d’un outil de communication pour promouvoir ses actions sur le terrain. Si je ne change pas ma façon de vivre, il n’y a pas de cohérence.»

Leo Trespeuch (EGUQTR) établit de son côté trois grandes catégories de cyberactivisme: le courant du “slacktivisme” (soit «la volonté d’avoir le maximum d’impact avec un minimum d’effort ») selon lequel le cyberactivisme n’est pas de l’activisme réel, courant qui s’oppose à ceux qui estiment que c’est un premier pas vers l’activisme réel en s’appuyant sur les exemples du Printemps Arabe ou des Gilets Jaunes. Enfin, il y a les «actions virtuelles en interaction avec les actions de terrain, où Internet serait un support de l’activisme réel.» Le mouvement des Gilets Jaunes a d’ailleurs démontré qu’il n’est pas toujours nécessaire de connaître le fonctionnement des algorithmes des plateformes et d’endosser le rôle de professionnels des réseaux sociaux pour être efficace.

«Le Dark Social n’est pas visible mais est essentiel pour capter l’attention et augmenter sa visibilité », Leo Trespeuch (EGUQTR).

Mais l’activisme digital a également sa partie immergée. Quel poids les actions réalisées sur  le “Dark Social” représentent-elles? Le Dark Social, cet ensemble des partages de contenus qui échappent à la mesure, car effectués sur dans des échanges privés (groupes Whatsapp, Disiscord, groupes privés sur Snapchat, Telegram….) “n’est pas visible mais est essentiel pour capter l’attention et augmenter ensuite sa visibilité » sur les plateformes sociales, selon Leo Trespeuch.

 

Comment l’activisme digital s’articule avec l’action sur le terrain? 

«Les frontières entre le digital et le terrain physique disparaissent : les deux pratiques s’entremêlent et peuvent s’auto-influencer. Les groupes s’organisent grâce aux réseaux sociaux qui permettent ensuite l’action réelle.» Mireille  Lalancette (EGUQTR)

Les réseaux sociaux se contentent-ils d’être une simple caisse de résonance ou un véritable levier pour amener l’action sur le terrain?  «Tout dépend de la cause et du but, mais l’activisme digital et de terrain sont intimement liés voire complémentaires. Tout est question d’équilibre. Les réseaux sociaux peuvent être un levier de communication en facilitant par exemple la diffusion d’images de l’action », considère Benjamin Carboni (CleanWalker). Greenpeace incarne parfaitement ce nouveau militantisme hybride, c’est-à-dire un activisme de terrain – historique pour Greenpeace – qui se double d’un activisme digital, comme en témoigne leur dernière action des “Boulets du climat” (https://boulets-climat.greenpeace.fr).

Mireille Lalancette (EGUQTR) approuve: «Les frontières entre le digital et le terrain physique disparaissent : les deux pratiques s’entremêlent et peuvent s’auto-influencer. Les groupes s’organisent grâce aux réseaux sociaux qui permettent ensuite l’action réelle.»

Pour Leo Trespeuch (EGUQTR), au bout d’un certain temps, «le cyberactivisme ne suffit plus et le besoin d’agir concrètement et physiquement se fait ressentir», pour ne pas subir le poids de la dissonance cognitive entre le discours et les actes. Un point qui évoque la théorie de la “distance psychologique” entre l’individu et la cause pour laquelle il se bat, et qui peut être un frein à l’action.

 

Activisme et crise sanitaire

Mais justement, en matière environnementale, la crise sanitaire semble avoir en partie réduit cette distance psychologique entre l’individu et l’environnement. Dans les actes, on observe par exemple que l’achat local est plus courant dans certains pays. Pour Léo Trespeuch (EGUQTR), «la crise sanitaire a changé la donne et accéléré la prise de conscience.» Il est encore trop tôt pour mesurer si cette évolution sera durable.

 

D’autant que si le confinement a plongé de nouveaux acteurs dans l’activisme digital, incitant les individus, comme les entreprises et les organisations, à s’emparer des outils numériques pour militer, une question reste en suspens, soulevée par Leo Trespeuch : «l’activisme réel, de terrain existera-t-il toujours après la crise sanitaire ou resterons-nous derrière nos écrans?»

 

Sources évoquées durant la session:

The Platform society

https://global.oup.com/academic/product/the-platform-society-9780190889777?cc=ca&lang=en&

Theory of Psychological Distance

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3152826/

Green Nudge

https://www.pearson.fr/fr/book/?GCOI=27440100058340

La crise de la Covid-19, un moment décisif pour basculer vers une société plus responsable? http://leotrespeuch.com/Coronavirus-Covid19.pdf

nudge: la méthode douce pour inspirer la bonne décision

https://www.franceculture.fr/oeuvre/nudge-la-methode-douce-pour-inspirer-la-bonne-decision

Mickaël Dupré, Expert en recherche du développement des meilleurs outils d’incitation aux gestes écocitoyens:

https://mickaeldupre.com/